Contrat de « conception-réalisation » d’une statue : la concurrence boute Jeanne d’Arc hors du parking...

Par Romain Denilauler, Avocat.

1080 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # marché public # mise en concurrence # œuvre d'art

Ce que vous allez lire ici :

Une régie de stationnement a passé un marché pour créer une statue de Jeanne d'Arc sans mise en concurrence, que le préfet a contesté. Le tribunal a annulé ce marché, jugeant que les justifications fournies n’étaient pas suffisantes pour éviter la procédure standard de publicité et de mise en concurrence.
Description rédigée par l'IA du Village

Le Tribunal administratif de Nice (TA Nice, 14 janvier 2025, n°2400419) prononce l’annulation du contrat de « conception-réalisation » de la statue de Jeanne d’Arc, érigée au voisinage de l’église éponyme de Nice, conclu sans publicité ni mise en concurrence préalables.

-

Une régie dédiée au stationnement, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière, a conclu avec un atelier de sculpture un marché public pour la conception et la réalisation d’une statue de Jeanne d’Arc dans le cadre de l’aménagement de surface d’un parc de stationnement, sans publicité ni mise en concurrence, sur le fondement de l’article R2122-3 du Code de la commande publique.

Le préfet a entrepris de contester la légalité de ce marché, par un déféré assorti d’une demande de suspension de l’exécution du marché. En effet, en application de l’article L2131-6, alinéa 1 et 3, du Code général des collectivités territoriales : « Le représentant de l’État dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l’article L2131-2 qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. […] Le représentant de l’État peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois ». L’affaire était donc appelée à revenir deux fois devant le tribunal : devant le juge des référés, puis au fond.

Si le « déféré-suspension » a pu avoir des allures de Jargeau ou de Patay, le jugement sur le fond a tourné comme le siège de Compiègne…

Par une ordonnance n°2400418 en date du 23 février 2024, commentée [1], le juge des référés avait rejeté la demande de suspension, en considérant, notamment, « que le marché a été régulièrement passé en suivant la procédure de l’article R2122-3 du Code de la commande publique qui permet de contracter sans publicité ni mise en concurrence pour l’acquisition ou la création d’une œuvre d’art » au regard de la nature de l’œuvre commandée.

Sur le fond, le tribunal administratif prend le contre-pied du référé, et prononce l’annulation du marché, au motif antipodique que l’acheteur n’établissait pas « que des raisons artistiques particulières auraient exigé que la commande d’une sculpture monumentale devant être implantée sur le parking public, soit confiée exclusivement à l’Atelier Missor. Il suit de là que les conditions prévues par les dispositions du 1° de l’article R2122-3 du Code de la commande publique n’étant pas réunies, la Régie Parcs d’Azur ne pouvait légalement recourir à la procédure du marché sans publicité ni mise en concurrence préalables. Le préfet des Alpes-Maritimes est dès lors fondé à soutenir que le marché en litige a été passé en méconnaissance des dispositions du 1° de l’article R2122-3 du Code de la commande publique et, partant, en méconnaissance des principes de publicité et de mise en concurrence qui s’imposent, selon l’article L3 du même code, aux pouvoirs adjudicateurs dans la passation de leurs marchés ».

L’article R2122-3 1° prévoit que « L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes : 1° Le marché a pour objet la création ou l’acquisition d’une œuvre d’art ou d’une performance artistique unique ».

Ces dispositions, dès lors lors qu’elles prévoient la possibilité de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, font l’objet d’une interprétation stricte par le juge administratif, qui considère qu’elles ne sauraient avoir « pour objet d’instituer une dérogation générale permettant à la personne publique souhaitant commander la réalisation d’une œuvre d’art, de s’affranchir de toute procédure de publicité et de mise en concurrence, hormis le cas où la personne publique justifie de raisons artistiques particulières faisant obstacle à la mise en œuvre de cette procédure » (CAA Marseille, 30 septembre 2013, n°11MA00299) ; principe repris ad litteram par le jugement rapporté.

En d’autres termes, la commande relative à la réalisation d’une œuvre d’art est soumise, en principe, au respect d’une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable. Par exception, d’interprétation stricte, l’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence, à condition de démontrer que ledit marché ne peut être conclu qu’avec un seul et unique opérateur économique.

Encore faut-il, donc, pouvoir établir que le marché ne peut être réellement exécuté que par un opérateur économique déterminé.

Selon le jugement rapporté, l’acheteur évoquait deux motifs pour justifier la nécessité de recourir au seul opérateur choisi : d’une part, l’atelier sélectionné aurait été « le seul opérateur en capacité d’accomplir l’œuvre commandée au regard, en particulier, de sa maîtrise des techniques de transformation du bronze, des qualités et du style qui lui sont propres ainsi que de la vocation de cet atelier à réaliser des "personnages historiques qui relèvent d’une facture qui s’apparente aux sculpteurs qui se sont livrés à ce travail à une époque qui remonte à plusieurs siècles" » ; d’autre part, la circonstance que la statue litigieuse ferait écho « au bronze monumental de Napoléon dont cet atelier a fait don à la ville de Nice ».

La première justification avancée est la plus intéressante. L’acheteur semble vouloir se positionner tout à la fois sur le terrain de la technicité et sur celui du style propre de l’atelier retenu. Le tribunal rejette cette justification, au motif que ces circonstances ne relèveraient pas « de l’univers d’un artiste particulier » et ne suffiraient donc pas « à établir que l’Atelier Missor était le seul à pouvoir réaliser l’œuvre d’art en cause ».

La motivation retenue par le tribunal laisse le juriste en commande publique sur sa faim. D’une part, l’argumentation liée aux techniques de réalisation de l’œuvre est écartée, sans justification particulière, et ce alors même qu’il s’agissait du seul élément un tant soit peu susceptible d’être objectivé. D’autre part, la référence à « l’univers artistique d’un artiste particulier » apparaît incongrue, dès lors que la notion aura bien du mal à recevoir une définition juridique opérante. Interprétée au minimum, la notion aurait pu rejoindre celle d’originalité d’une œuvre au sens du droit de la propriété littéraire et artistique ; elle ne devrait alors conduire qu’à refuser l’achat direct d’une œuvre auprès de copistes, mais reviendrait, dans le même temps, à permettre la mise à l’écart de toute concurrence dès lors qu’il s’agirait d’acquérir une œuvre d’art. Ce n’est pas la démarche retenue par le tribunal. L’atelier sélectionné au cas d’espèce ne se borne pas à proposer des reproductions, mais fait bien œuvre de création. L’interprétation de la notion ne doit pas, en effet, neutraliser le principe de l’interprétation restrictive de l’exception à la mise en concurrence. La notion d’univers artistique propre à un artiste particulier est donc, pour l’heure, condamnée à rester évanescente. La sécurité juridique s’accommode mal de la caractérisation par l’acheteur d’une aura de l’œuvre qu’il se propose d’acquérir - au sens benjaminien du terme, pourrait-on dire - d’autant que, par définition, la reconnaissance d’une telle aura passe par sa disparition même. Envisagée de manière moins abstraite, la notion ne pourra que conduire à se raccrocher à des pis-aller : l’atelier retenu en l’espèce ne présenterait, pour le juge, pas d’univers propre eu égard, semble-t-il, au caractère historique du sujet de l’œuvre et à la tournure classique du style ; qu’en irait-il d’une œuvre à l’allure contemporaine ? Quid d’un ready-made ? Ou encore, faut-il s’attacher à la notoriété ou la renommée de l’artiste ? Autant d’indices qui n’en sont pas…

La seconde justification avancée, pour sa part, apparaissait plus fragile. L’acheteur invoquait « que la statue Jeanne d’Arc en litige fait écho au bronze monumental de Napoléon » dont le titulaire avait fait don à la ville de Nice. Le juge écarte en considérant : « la circonstance que l’Atelier Missor a réalisé une statue monumentale en bronze de Napoléon qu’il a offerte à la ville de Nice à laquelle la statue monumentale de Jeanne d’Arc en bronze réalisée par ce même atelier ferait écho grâce à une identité d’empreinte artistique, ne suffit pas davantage à établir que l’œuvre d’art commandée ne pouvait être conçue et réalisée que par l’Atelier Missor, alors qu’en outre le préfet soutient, sans être sérieusement contredit sur ce point, que la statue de Napoléon n’a pas, à ce jour, été installée ni exposée dans l’espace public ».

Au total, à défaut de démontrer que le marché ne pouvait être réalisé que par un opérateur économique déterminé, l’acheteur ne pouvait légalement recourir à un achat sans publicité ni mise en concurrence préalable sur le fondement de l’article R2122-3 du Code de la commande publique. S’agissant d’un marché public relatif à la « décoration des constructions publiques », sa passation était soumise aux règles particulières prévues aux articles R2172-7 et suivants du Code de la commande publique.

L’acheteur a annoncé avoir interjeté appel du jugement. Gageons que les motifs de l’arrêt sauront être plus éclairants…

Romain Denilauler
Avocat au Barreau de Toulouse
contact chez denilauler.fr
www.denilauler.fr

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

2 votes

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 670 membres, 28480 articles, 127 333 messages sur les forums, 2 560 annonces d'emploi et stage... et 1 500 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Chronique] Recrutement et marché de l'emploi dans les barreaux : la parole aux bâtonniers de Saint-Etienne, Marseille et Grenoble.

• 15e concours des Dessins de justice : "Les vacances des juristes" (appel à dessins).




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs