Village de la Justice : Que signifie être juriste de l’environnement en 2023 ?
Mireille Klein : « C’est un aboutissement et une nécessité.
Ce droit transverse est éminemment technique et émerge de toutes parts actuellement dans des textes, dédiés ou non, ainsi qu’au travers de la jurisprudence. Il est aujourd’hui mis en avant, 30 ans après l’émergence des principaux textes (loi de 1976 sur la protection de la nature, loi de 1975 sur les déchets, loi de 1979 sur les installations classées…).
Les questions liées à l’environnement sont, au surplus, actuellement fortement médiatisées.
Il est donc essentiel de disposer d’informations et d’analyses à ce sujet et de bien anticiper les effets des réglementations en la matière pour prévenir toute défaillance et d’éventuelles poursuites en justice.
Un juriste de l’environnement intégré à une entreprise pourra impulser –en interne- les bons réflexes et saura se rendre pédagogique pour sécuriser l’activité à ce titre ».
Selon vous, qu’apporte cette fonction à une entreprise ? Que cela signifie-t-il pour elle ?
« L’activité de toute entreprise est susceptible d’être concernée fortement par la réglementation liée à la préservation de l’environnement ou à la santé humaine.
Il s’agit donc -via cette fonction- de permettre une veille spécifique (et les textes sont nombreux et très diffus) ainsi qu’une prise en compte optimale des obligations légales environnementales, dans un contexte où l’éco-responsabilité est devenue un enjeu sociétal, une nécessité juridique et un instrument de valorisation d’image et d’attractivité commerciale.
Que ce soit pour la prise en compte des obligations en la matière dans les processus opérationnels ou au travers de la gestion de contentieux de plus en plus nombreux en lien avec les responsabilités fortes induites, je suis convaincue que le métier de juriste de l’environnement fait partie des nouveaux métiers émergents au même titre que l’écologue et qu’il est appelé à prendre… sa vraie place ».
En plus d’être responsable juridique, vous êtes également référente environnement pour votre DJ ? En quoi cela consiste-t-il (missions, objectifs...) ?
« En qualité de juriste d’entreprise, je suis appelée à conforter sur le plan juridique l’ensemble des actions de l’entreprise sur mon ressort – tout le Nord-Est- (en immobilier neuf, cela revient à accompagner les opérationnels depuis la prospection et l’achat du foncier jusqu’au contentieux pré ou post livraisons, en passant par la sécurisation du montage, les négociations, le contrôle des actes d’acquisition et de vente, les questions fiscales...).
La dimension environnementale fait aujourd’hui partie intégrante des éléments de process des entreprises. Si tant est qu’on est en connaissance des textes, encore faut-il en comprendre leurs logiques et objectifs et surtout savoir les appliquer et en anticiper les impératifs.
Dans le domaine de l’immobilier, ne pas procéder à une étude d’impact alors qu’elle s’avère nécessaire peut coûter 4 à 12 mois de retard sur le processus d’une opération, ne pas anticiper une décision au titre de la loi sur l’eau peut nécessiter 9 mois supplémentaires, des amendes et/ou des poursuites judiciaires sont encourues en cas de mauvaise gestion des déchets ou terres polluées, la sous-estimation des besoins de financement nécessaires à la mise en compatibilité d’un terrain pollué peut induire la non rentabilité d’une opération…
Ces exemples illustrent bien l’utilité d’un juriste au fait des questions environnementales et en capacité de conseil et d’accompagnement opérationnels sur ces questions ».
Comment selon vous, les fonctions de responsable juridique et référente environnement s’articulent t-elles avec la RSE ?
« La RSE est obligatoire dans toutes les entreprises depuis 2019 et est devenue une dimension incontournable en termes de séduction des actionnaires, des partenaires et de la clientèle. Les banques, la Poste, l’alimentaire, l’immobilier… tous les secteurs sont concernés.
La prise en compte optimisée des obligations réglementaires en la matière permet donc à l’entreprise :
de démontrer sa bonne attitude/ses bonnes pratiques en ce qui concerne les préoccupations d’ordre environnemental ;
de conforter financièrement sa position ;
de soigner son image et de séduire la clientèle ou les partenaires soucieux d’affichage d’actions éco-responsables ».
Pour occuper un tel poste faut-il être militant voire activiste ?
« Je dirais qu’il faut avoir de la technique, de la conviction et de la passion.
En effet, cette matière est très complexe et à ce jour, la prise en compte de l’environnement apparaît encore comme un frein ou une obligation relative.
Tous les opérateurs n’ont pas encore pleine conscience et mesure du fait que l’oubli de cette dimension peut avoir des répercussions d’envergure sur le déroulement d’une opération ou sur l’image de la société.
Il est vrai qu’on a fait « sans » pendant presque 30 ans, depuis les années 1970 jusqu’à 2020, année où –outre les épisodes Covid- les exigences réglementaires se sont développées [1] et année charnière à partir de laquelle beaucoup d’opérations ont été freinées et/ou attaquées sous ce prisme et souvent sévèrement sanctionnées, faute de réflexions suffisantes sur le sujet.
Il s’agit donc d’inverser des tendances et de créer de nouveaux réflexes et on connaît la résistance moyenne au changement….
Faire comprendre avec le sourire est donc vital et suppose de la persévérance et de la persuasion ».
La formation en ce domaine est-elle suffisamment connue des étudiants en Droit ?
« Je suis titulaire d’une Maîtrise en droit général et d’un DESS (on dirait aujourd’hui M2 !) en Droit de l’environnement obtenus à la Faculté de Droit de Strasbourg en 1989. On m’a souvent trouvée précurseur ces derniers temps, mais cette formation existe à Strasbourg depuis 1976…
Rares et méconnues sont toujours encore les formations juridiques dédiées à l’environnement aujourd’hui (alors que les formations d’ingénieur ont, par exemple, très vite évolué en ce sens). Elles balayent les différents champs du droit (droit civil, droit européen, droit comparé, droit pénal de l’environnement…) cette matière étant éminemment et nécessairement transverse.
A Strasbourg, l’obtention du diplôme juridique nécessite -en complément- la validation d’un diplôme scientifique éclairant sur les logiques écosystémiques ou les phénomènes naturels et/ou de pollution.
Beaucoup de personnes formées dans ce droit –certes récent à l’échelle des autres droits- n’ont pas exercé dans leur champ de prédilection, faute d’importance suffisante donnée à cette dimension jusqu’à il y a peu.
J’ai pourtant eu -pour ma part- la chance de décrocher mon premier poste sur la base même de cette formation en 1990, chargée alors de rédiger un nouveau rapport de présentation du Plan d’Occupation des Sols de Strasbourg, ce dernier venant d’être annulé sur la base de son insuffisance en matière de prise en compte de l’environnement.
A mon sens, aucune formation de droit ne peut plus aujourd’hui se dispenser de prendre en compte le champ réglementaire de l’environnement.
En tant qu’enseignante, j’ai bien entendu d’ores et déjà introduit ces éléments dans mes interventions.
La prise en compte de l’environnement est devenue incontournable dans toutes les entreprises et au travers de toutes les activités économiques et ne peut, en particulier, plus être ignorée dans les formations liées à l’urbanisme, l’aménagement ou la construction ».