Juliette Gagneur, Fonctionnaire au sein du ministère de la Justice.

La justice restaurative au bénéfice des mineurs : une utopie en marche.

Pour commencer, il convient de définir ce qu’est une mesure de justice restaurative. À la suite d’une première expérimentation de Rencontre Détenus-Victimes mise en place à la maison Centrale de Poissy en 2010 avec la participation de Robert Cario en tant que membre de la communauté et Paul Mbanzoulou en tant qu’animateur, l’entrée en vigueur de la loi du 15 août 2014 marque un nouveau tournant pour la justice restaurative française.
L’objet de cet article est de présenter ce processus et son développement plus spécifiquement auprès des mineurs.

Cette nouvelle pratique est pour la première fois officiellement reconnue et institutionnalisée au sein de l’article 10-1 du Code de procédure pénale. Cette loi s’applique autant pour les majeurs que pour les mineurs. La mesure de justice restaurative est définie comme :

« toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission ».

La justice restaurative au bénéfice des mineurs en France.

Le Code de Justice pénale des mineurs (CJPM), entré en vigueur le 30 septembre 2021 érige la justice restaurative comme l’un de ses principaux étendards avec la création de l’article L13-4 au sein de son titre préliminaire.
Celui-ci stipule que :

« peut être proposé à la victime et à l’auteur de l’infraction de recourir à la justice restaurative, conformément à l’article 10-1 du Code de procédure pénale, à l’occasion de toute procédure concernant un mineur et à tous les stades de celle-ci, y compris lors de l’exécution de la peine, sous réserve que les faits aient été reconnus ».

La première spécificité de ce nouveau paradigme est assujettie pour le mineur infracteur et pour la victime mineure à ce que les professionnels en charge de la mesure obtiennent au préalable l’accord de leurs représentants légaux avant de s’impliquer par la suite au sein du dispositif restauratif. La méthodologie et la déontologie ainsi que le rôle des animateurs-médiateurs formés à la justice restaurative sont analogues à ceux des personnes majeures. La participation à un espace d’échange nécessite de respecter plusieurs conditions sine qua non garantissant la sécurité et le respect des droits des personnes. La deuxième particularité est la présence obligatoire de l’avocat. Dans cette configuration, il informe l’adolescent sur son droit de s’impliquer au sein d’une mesure de justice restaurative, pareillement, il peut le soutenir avant et/ou pendant le processus si tel est le souhait du mineur.

Les mesures de justice restaurative doivent respecter impérativement les principes fondamentaux de l’article 10-1 du Code de Procédure Pénale et de l’article 13-4 du Code de la Justice Pénale des Mineurs pour leurs mises en œuvre.

Les différentes mesures de justice restaurative applicables à la délinquance juvénile.

Pour commencer, la médiation restaurative est définie comme étant un espace de dialogue entre plusieurs personnes liées par la même infraction afin de s’exprimer mutuellement sur les faits commis et d’être à l’écoute des répercussions de leur conflit avant, pendant et après le procès pénal.

Dans les mêmes dispositions, la conférence restaurative est plus élargie, puisqu’elle implique des personnes supplémentaires ayant un intérêt dans la régulation du conflit et la (re)construction des interconnexions brisées par le crime comme les personnes de confiance choisies par la victime et l’auteur, mais aussi les membres de la communauté [1].
A cela s’ajoutent, les cercles restauratifs judiciaires encore dénommés cercles des sentences ou cercles/conseils de détermination de la peine [2]. Ils ont comme souhait d’impliquer collectivement toutes les personnes impactées par le crime afin d’établir des liens de proximité entre les cultures et de partager l’exercice de la justice, en présence des aînés, sous le contrôle et avec le soutien, selon les pratiques, des avocats des parties et des représentants des institutions judiciaires. Dans cette configuration, les membres de la communauté ont une place fondamentale.

Il est également envisageable de réunir en groupe des personnes inconnues mais qui ont en commun le fait d’avoir commis ou subi des faits de nature identique comme les rencontres détenus/condamnés-victimes. Ces échanges ont lieu en présence des membres de la communauté.
« Ce que les uns et les autres viennent chercher : la libération des émotions négatives consécutives au crime, qui continuent de les submerger, à défaut d’avoir été effectivement prises en compte jusqu’alors par les professionnels du procès pénal et de l’application des peines » [3].

Pour terminer, les cercles restauratifs extra-judiciaires ou les rencontres de dialogue restauratif ont été imaginés par l’Institut Français pour la Justice Restaurative concernant les cas où la justice pénale contemporaine ne peut être introduite. Pour illustrer ce propos, en cas par exemple de refus du dépôt de plainte, du classement sans suite, ordonnance de non-lieu ou encore de prescription essentiellement.

Point d’appui et limite de la participation au dispositif restauratif pour les mineurs.

La participation du mineur infracteur, de la victime (et à leur famille et/ou leurs proches), aux membres de la communauté à une mesure de justice restaurative leur permet de rétablir une communication qui a été rompue par leur situation problématique. Les ateliers restauratifs (préparation des participants) et/ ou la rencontre sont des opportunités pour eux d’échanger à nouveau, ce qui favorise leur compréhension mutuelle afin de tenter de résoudre leur conflit. Également, cet espace de dialogue leur permet d’aborder ensemble les répercussions des faits (d’ordre intime, familial, culturel et/ou social principalement) pour mieux vivre à l’avenir. Ils laissent ainsi aux autorités judiciaires le règlement des conséquences pénales de l’infraction (sanction et indemnisation) qui sont tournées vers le passé de la faute. Dans le cas de la conférence restaurative, par exemple, les participants peuvent être soutenus tout au long de leur démarche par les personnes dignes de confiance de leur choix. Lorsqu’ils établissent un accord, ils ressentent un fort sentiment de satisfaction, puisqu’ils ont co-construit et trouvé eux-mêmes les modalités pratiques de régulation de leur conflit. Ils ont le sentiment d’avoir été traités de façon juste, ce qui accroît leur sentiment que la justice a été rendue équitablement. Ces mesures retissent leur relation en restaurant leur interconnexion, qui était endommagé par les faits. Cette réparation relationnelle favorise plus globalement la recréation du tissu social, elle redonne confiance à la victime pour l’avenir et l’auteur (re)trouve sa place au sein de la société.

Les premiers retours d’expériences des animateurs-médiateurs de justice restaurative concernant les auteurs-mineurs sont que la gratuité de la mesure semblerait ne pas être un frein à leur entrée au sein du dispositif.

De surcroît, elle déploierait leurs compétences psychosociales [4] qui favorisent leur santé physique, psychique et sociale tel que :

  • leur capacité à savoir résoudre des problèmes/savoir prendre des décisions ;
  • savoir communiquer efficacement/être habile dans les relations interpersonnelles ;
  • avoir conscience de soi/avoir de l’empathie ;
  • savoir réguler ses émotions/savoir gérer son stress.

Cet espace d’échange en conséquence stimulerait leurs désirs de réparer et ils s’inscriraient dans un processus de responsabilisation. Les bienfaits pour les victimes sont qu’elles se libèrent de leurs entraves grâce à notamment l’obtention des réponses à leurs interrogations qui améliorent leur qualité de vie tant psychique que psychique. Ces dialogues induisent ainsi réciproquement un véritable apaisement.

La participation à une mesure de justice restaurative n’est toutefois pas une solution « miracle » qui mènerait intrinsèquement au processus de désistance des mineurs bien qu’elle puisse la favoriser. En effet, il est essentiel de prendre en considération l’ensemble des facteurs de risques et de protection propre à chaque individu qui interagissent sur sa trajectoire. Les ressources mais aussi les obstacles qui y interfèrent sont complexes. Il est aussi indispensable de rappeler que l’entrée au sein du dispositif n’est pas destinée à être thérapeutique pour les participants. Pour terminer, nous attirons votre attention sur le fait qu’ils sont les seuls à décider de l’intérêt ou non pour eux de s’investir au sein d’une telle démarche, ça leur appartient. Les récents retours d’expérience de certains éducateurs devenus médiateurs-animateurs de justice restaurative témoignent d’une importante difficulté pour eux de mettre en œuvre ces mesures. En ce sens, ils indiquent un manque de portage institutionnel par les échelons territoriaux et/ou un manque de de temps et de moyen et/ou d’informations principalement.

De multiples engagements fleurissant au sein de la justice des mineurs.

Les professionnels qui mettent en œuvre les mesures de justice restaurative pour les mineurs sont en premier lieu les éducateurs de la Protection Judiciaire de la Jeunesse qui conduisent des interventions d’action d’éducation et d’investigation dans un cadre judiciaire auprès des mineurs et de leur famille. Pour ce faire, ils doivent être formés par l’Ecole Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou des associations de justice restaurative au sein de plusieurs modules.

Cette formation leur permet de devenir animateur-médiateur de justice restaurative.

En deuxième lieu, les praticiens spécialement formés par les associations de justice restaurative au sein des associations d’aide aux victimes subventionnées par le service de l’accès au droit, à la justice et à l’aide aux victimes peuvent également animer ces mesures.

La justice restaurative, lorsqu’elle est présentée aux professionnels de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et aux autres acteurs de la chaîne pénale dans le cadre par exemple de journée d’information ou de sensibilisation, est perçue comme particulièrement intéressante tant pour les mineurs (et leur famille et/ou leurs proches) que pour les praticiens. Elle impulse auprès d’eux le désir de se former et de s’engager dans cette nouvelle pratique professionnelle puisqu’elle place en son cœur la (ré)huminisation, la responsabilisation, la reconstruction et la restauration des personnes. Les professionnels formés informent les usagers (victime ou auteur) de leur droit à participer à une mesure de justice restaurative. Par la suite, ce sont eux qui cheminent sur leur souhait de s’impliquer ou non au sein du dispositif. En effet, c’est une décision particulièrement intime conjuguant le moi intérieur, ses attentes profondes, mais aussi indissociablement l’autre avec le même schéma en kaléidoscope : ses attentes, ses possibles.

La sortie récente du majestueux film de Jeanne Herry « Je verrai toujours vos visages » devrait permettre de rendre intelligible au monde (judiciaire) la richesse, la somptuosité, la puissance, (…) de la justice restaurative qui n’est possible qu’avec des formations, beaucoup de préparation et aucune improvisation.

NDLR : Juliette Gagneur est l’auteure de l’ouvrage « La justice restaurative au bénéfice des mineurs : une utopie en marche » aux Editions L’Harmattan [5].

Juliette Gagneur, Fonctionnaire au sein du ministère de la Justice.

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Notes de l'article:

[1Personnes vivant au sein de la même unité sociale ou ayant un intérêt commun : scolaire, professionnel, citoyen, sportif, essentiellement.

[2Robert Cario, La justice restaurative en France : une utopie créatrice et rationnelle, Paris, L’Harmattan,2020, pp. 80-81 et Robert Cario, « La justice restaurative. Plaidoyer pour un authentique humanisme pénal », In Histoire de la justice, 2022, p.174.

[3Robert Cario, « La justice restaurative. Plaidoyer pour un authentique humanisme pénal », In Histoire de la justice, 2022, p.176.

[4Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé proposée dans les années 1990.

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Discussion en cours :

  • par DUBOIS Sébastien , Le 11 avril à 17:46

    Excellent article permettant de comprendre ce qu’est la justice restaurative.
    Excellent travail de l’auteur Juliette GAGNEUR.

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