Le dualisme juridictionnel français, fondé sur la séparation des autorités administratives et judiciaires, fait l’objet de critiques qui, bien que de plus en plus ténues, restent récurrentes : lourdeur, complexité, conflits de compétence, inégalité d’accès au juge… Ces griefs, souvent formulés au nom d’une justice dite “plus simple” (c’est-à-dire, entendue comme plus lisible, plus accessible, voire plus unifiée) traduisent une aspiration légitime à la clarté procédurale, mais ignorent les nécessités fonctionnelles de spécialisation et d’adaptation à la diversité des justiciabilités.
Pour autant, une lecture purement institutionnelle ou historique du dualisme ne suffit pas à en rendre compte. Il est possible d’en proposer une approche fonctionnaliste, centrée non sur sa structure, mais sur son utilité normative. Ainsi, c’est à travers une analyse du concept de justiciabilité, que cet article entend démontrer que le dualisme juridictionnel peut être lu comme une architecture de la sujétion au droit, c’est-à-dire une modalité technique et organique de réalisation de la normativité dans une société démocratique. La coexistence de deux ordres juridictionnels n’est alors ni redondante, ni obsolète : elle est l’expression différenciée d’un même objectif d’efficacité.
I. La justiciabilité comme matrice du système juridictionnel.
La justiciabilité désigne la qualité d’une norme ou d’une situation juridique à pouvoir être soumise au contrôle effectif d’un juge compétent, en vue de produire un effet juridique contraignant sur les sujets concernés. Elle suppose l’articulation de trois éléments indissociables : une norme prescriptive dotée de force obligatoire, Un sujet juridiquement habilité à en réclamer l’effet, Une autorité juridictionnelle investie du pouvoir de contraindre à sa mise en œuvre. Elle ne se réduit pas à la recevabilité d’un recours, mais s’analyse comme le processus par lequel le droit devient opératoire, à travers un aller-retour entre la normativité (Kelsen), la qualité de justiciable (Motulsky), et la fonction juridictionnelle.
Dans cette perspective, la justiciabilité constitue le moteur silencieux de l’État de droit. À ce titre, elle réalise la sujétion au droit en assurant que toute norme puisse produire un effet, et que tout sujet puisse en exiger l’exécution.
La notion de justiciabilité offre une perspective nouvelle pour analyser l’architecture du dualisme juridictionnel. En dépassant les critiques usuelles et les explications institutionnelles, elle permet de comprendre comment les systèmes juridictionnels organisent et garantissent la sujétion au droit dans une société démocratique. En effet, la justiciabilité, bien que souvent sous-estimée, se révèle être une matrice essentielle par laquelle le droit s’inscrit concrètement dans la réalité sociale, articulant ainsi la norme à son application effective par les juges.
A. Une notion négligée mais structurante.
Dans les manuels de droit processuel, la notion de « justiciabilité » n’apparaît que marginalement. Elle ne figure explicitement ni dans le Code de l’organisation judiciaire, ni dans le Code de justice administrative. Pourtant, en pratique comme en théorie, elle constitue un élément fondateur : une situation juridique est « justiciable » lorsqu’elle peut être soumise à l’examen d’un juge. Cela implique à la fois l’existence d’un recours effectif, et la capacité du juge à exercer un contrôle juridictionnel pertinent sur ladite situation.
Cette notion combine deux dimensions :
- Fonctionnelle, lorsqu’elle désigne l’accès effectif à une autorité juridictionnelle compétente.
- Normative, lorsqu’elle traduit la capacité d’une norme à produire un effet juridique opposable.
Elle est donc au fondement du procès, au sens où elle articule la norme, le sujet de droit, et l’organe de contrôle. Elle conditionne non seulement l’effectivité du droit, mais également la légitimité de l’autorité juridictionnelle.
B. Le mouvement aller-retour du droit.
Inspirée de la théorie de la causalité normative développée par Hans Kelsen, la justiciabilité peut être pensée comme un mouvement à double sens :
1. Le mouvement aller : le droit prescrit un comportement conforme à une norme, c’est le processus d’observance. Cette observance peut être spontanée, mais elle suppose l’existence d’un organe apte à imposer la réalisation du droit en cas de transgression.
2. Le mouvement retour : le sujet de droit est habilité à exiger l’effet juridique de la norme, selon la conception de Motulsky. Il peut ainsi saisir le juge pour demander l’application du droit, en raison de sa qualité de justiciable.
Dans ce cadre, le juge est le garant de la signification normative. Il est celui qui fait exister la norme dans le réel. Le système juridictionnel est donc indissociable de la capacité à instituer, encadrer, et contrôler la sujétion au droit.
II. Le dualisme juridictionnel comme réponse à une pluralité de justiciabilités.
Le dualisme juridictionnel incarne une réponse pragmatique à la complexité croissante des rapports juridiques et à la diversité des justiciabilités, entendue comme la pluralité des modes d’accès au droit selon les normes mobilisées, les sujets concernés, et les régimes de sujétion applicables. Il s’appuie sur la différenciation des ordres juridictionnels pour répondre avec précision à la diversité des litiges et des besoins normatifs. Ce mécanisme, loin d’être une simple fragmentation institutionnelle, vise à garantir l’adéquation entre la nature des conflits juridiques et les outils procéduraux disponibles.
A. Une diversité d’objets, de sujets et de normes.
L’organisation juridictionnelle ne peut être pensée indépendamment de la diversité des justiciables et des rapports juridiques. Le droit civil, le droit pénal, le droit administratif, le droit fiscal, le droit constitutionnel ne relèvent ni des mêmes finalités, ni des mêmes régimes normatifs, ni des mêmes logiques d’effectivité. En conséquence, la pluralité des normes et des sujets de droit implique une pluralité des mécanismes de contrôle. Il ne saurait exister un traitement juridictionnel unique de toutes les formes de litiges, sans risquer une inadaptation profonde entre la nature du litige et les outils procéduraux disponibles. Le dualisme juridictionnel répond à une exigence de cohérence fonctionnelle, en ce qu’il garantit une répartition des compétences juridictionnelles fondée sur la nature des normes applicables, la spécificité des rapports juridiques en cause, et l’adéquation entre les missions du juge et les instruments procéduraux nécessaires à leur réalisation. Le juge judiciaire et le juge administratif ne sont pas les gardiens de deux justices parallèles, mais les deux expressions d’un même besoin : faire droit à des justiciabilités différenciées, selon la nature du droit en cause et la qualité des parties.
B. La spécialisation comme gage d’efficacité.
La spécialisation des ordres juridictionnels permet à chacun de développer des instruments adaptés :
- L’ordre administratif dispose de techniques telles que le recours pour excès de pouvoir, le référé-liberté, ou le contrôle de proportionnalité propres à l’action publique.
- L’ordre judiciaire manie le contradictoire, les modes alternatifs de résolution des litiges, ou les voies d’exécution civiles, centrés sur les rapports interpersonnels.
Le dualisme, en ce sens, n’est pas un obstacle à l’unité du droit, mais une modalité de sa mise en œuvre rationnelle. Il ne divise pas le droit en blocs autonomes, mais en organise l’application selon la nature des rapports juridiques en cause, les types de normativité mobilisée, et la qualité des parties concernées. Cette différenciation n’est pas un morcellement, mais une spécialisation : elle permet à chaque ordre juridictionnel de mobiliser les instruments procéduraux et les techniques de contrôle les plus pertinents au regard de la finalité du litige.
Ainsi, lorsque l’on est confronté à un acte administratif unilatéral contesté pour excès de pouvoir, c’est la logique de légalité objective qui prédomine, et le juge administratif est équipé pour contrôler l’exercice de la puissance publique en préservant l’intérêt général. Inversement, dans les litiges civils, c’est la logique de protection des droits subjectifs, d’équilibre contractuel ou de réparation des préjudices qui domine, justifiant l’intervention du juge judiciaire, garant des libertés individuelles.
Cependant, autant que faire se peut, cette distinction traditionnelle entre une logique de légalité objective, relevant du juge administratif, et une logique de protection des droits subjectifs, relevant du juge judiciaire, bien qu’encore structurante, tend à s’estomper sous l’effet des évolutions jurisprudentielles et des mutations du droit contemporain. En effet, les frontières s’adoucissent : le juge administratif protège les libertés fondamentales (référé-liberté, invocabilité des droits de l’homme), tandis que le juge judiciaire n’hésite plus à censurer l’action publique (responsabilité de l’État, contrôle du service public économique). La spécialisation demeure, mais les fonctions convergent.
Dans certains contentieux complexes (santé publique, environnement, numérique, sécurité, bioéthique…), les deux ordres apparaissent moins comme des juridictions concurrentes que comme des collaborateurs aux logiques différentes mais interdépendantes. Ils ne sont plus les gardiens de domaines imperméables, mais les co-artisans d’un même État de droit, œuvrant chacun avec ses outils, mais dans une logique de complémentarité.
Ce sont, pourrait-on dire, les Dupond et Dupont du droit juridictionnel français : semblables dans leur mission, différents dans leur méthode, et parfois comiquement dissonants dans leurs interprétations mais reliés par une finalité commune : donner effet au droit dans le respect des garanties procédurales et des intérêts en présence.
En adaptant la réponse juridictionnelle à la spécificité du litige, le dualisme maximise la capacité de contrainte normative du droit. Il permet au système juridictionnel, dans son ensemble, d’assurer une sujétion au droit différenciée mais complète, en fonction des finalités poursuivies. Loin d’être une entorse à l’unité du droit, il en est le mécanisme opératoire, garantissant que toute norme puisse être appliquée efficacement, dans le cadre juridictionnel qui lui est le plus adapté.
III. Les critiques du dualisme : entre confusion et complexité.
Malgré ses avantages indéniables, le dualisme juridictionnel français n’est pas exempt de critiques. À mesure que les contentieux se diversifient et que les exigences d’une justice juridiquement et socialement efficace (c’est-à-dire lisible, accessible, rapide et pleinement exécutoire) s’intensifient, des voix s’élèvent contre les lourdeurs qu’il peut générer. Entre complexité procédurale, tensions de compétence et zones d’ombre dans l’application des normes, le système dualiste révèle parfois des failles qui méritent une attention particulière. Ces critiques mettent en lumière les défis liés à la coexistence des deux ordres et soulignent la nécessité d’une réflexion sur leur articulation et leur coordination.
A. Des zones grises à réguler (les contentieux mixtes) : révélateurs des tensions fonctionnelles du dualisme.
Les critiques récurrentes adressées au dualisme juridictionnel (complexité procédurale, conflit de compétences, inégalités d’accès au juge) trouvent leur manifestation la plus aiguë dans ce que l’on appelle les contentieux “mixtes”, situés à l’intersection des logiques de droit public et de droit privé. Ces situations hybrides ne relèvent pas d’un désordre accidentel : elles traduisent une évolution structurelle du droit, de plus en plus interstitiel, pragmatique et fonctionnel, où les cloisons classiques entre ordres s’effacent au profit de logiques d’interaction.
Parmi ces cas, on peut citer :
- Les délégations de service public à des opérateurs privés, qui soulèvent des interrogations sur la compétence en matière de responsabilité contractuelle ou de contentieux du travail ;
- Les contrats d’assurance souscrits par des collectivités, à mi-chemin entre marchés publics et relations commerciales ordinaires ;
- Les litiges relatifs aux SPIC, où les agents relèvent parfois du droit privé, mais le gestionnaire agit sous contrainte publique ;
- Ou encore les recours en responsabilité dans le cadre de partenariats public-privé ou de groupements d’intérêt public (GIP).
Ces situations produisent de véritables effets de brouillage normatif : le justiciable peut se retrouver confronté à des voies de recours concurrentes ou incertaines, à des délais spécifiques non harmonisés, voire à des jurisprudences divergentes sur des situations de fait identiques. Loin de garantir une lisibilité du droit, le système dual peut alors apparaître comme un obstacle à l’effectivité de la protection juridique.
Cependant, comme vous le soulignez dans votre thèse, la cause de cette complexité n’est pas le dualisme en tant que tel, mais le défaut de coordination entre les deux ordres. Autrement dit, ce n’est pas l’existence de deux logiques juridictionnelles qui pose problème, mais leur articulation déficiente : manque de passerelles, absence de procédure unifiée, rareté des renvois préjudiciels, disparités dans les standards de motivation.
B. Le Tribunal des conflits : garant d’un pluralisme juridictionnel maîtrisé.
C’est précisément le rôle du Tribunal des conflits, instance paritaire et juridiction autonome, que d’assurer la sécurité juridique dans un système marqué par le dualisme juridictionnel. Par sa mission spécifique de règlement des conflits de compétence, il évite les chevauchements, les dénis de justice et stabilise les frontières juridictionnelles. Institué dès 1848 et consolidé par la loi du 24 mai 1872, ce tribunal atypique traduit la juridictionnalisation d’un dialogue institutionnalisé entre les ordres judiciaire et administratif.
Mais son rôle va au-delà de l’arbitrage. Il matérialise un paritarisme dialectique, où les membres issus des deux ordres sont mis en situation d’écoute réciproque et de persuasion mutuelle. Cette configuration, renforcée par la réforme de 2015, vise non seulement la conciliation, mais aussi la coproduction d’une solution juridique commune, incarnant une forme d’autorité participative. Le paritarisme devient ici un outil de légitimation, en ce qu’il permet à chaque ordre d’être entendu, mais surtout de co-construire une réponse juridiquement robuste, débarrassée des crispations propres aux cloisonnements institutionnels.
Les jurisprudences récentes illustrent cette volonté croissante de dialogue : motivations enrichies, emprunts croisés de raisonnements, reconnaissance de principes partagés comme le droit au procès équitable (art. 6 §1 CEDH) ou le droit à un recours effectif. Ce n’est donc plus une logique d’opposition, mais de coopération maîtrisée qui se dessine entre les juges. Le Conseil d’État s’approprie certaines catégories issues du droit privé, comme le trouble anormal de voisinage, tandis que la Cour de cassation n’hésite plus à raisonner en termes d’intérêt général ou de légalité administrative, notamment en matière de services publics.
Ce pluralisme juridictionnel maîtrisé évite ainsi la fragmentation anarchique du droit. Il garantit une lecture cohérente, sans pour autant nier la spécialisation fonctionnelle des ordres. Mieux encore, il devient l’un des garants de l’unité du droit par la diversité organisée des réponses juridictionnelles, adaptées à la nature du litige.
À terme, ce dialogue pourrait justifier une évolution structurelle du Tribunal des conflits, avec l’émergence d’un rôle pour le juge constitutionnel. Celui-ci, à l’instar du Conseil constitutionnel avec la QPC, occupe déjà une fonction méta-juridictionnelle [1], garant des équilibres et des principes fondamentaux. En présidant - ou en inspirant - le Tribunal des conflits, il pourrait devenir l’ultime médiateur des compétences, assurant que la répartition entre juges judiciaire et administratif reste conforme à l’exigence constitutionnelle d’une bonne administration de la justice.
IV. Pour une réforme pragmatique : ni fusion ni statu quo.
Le débat sur le dualisme juridictionnel, bien qu’ancien, reste d’une actualité brûlante. Alors que certains plaident pour une fusion des ordres judiciaire et administratif afin de fluidifier le système, d’autres soutiennent le statu quo, défendant la préservation de la spécialisation qui caractérise ces ordres. Pourtant, une voie médiane mérite d’être explorée : celle d’une réforme pragmatique qui, sans bouleverser l’équilibre structurel, vise à renforcer l’accessibilité du système tout en respectant ses spécificités intrinsèques. Une telle approche pourrait concilier efficacité et diversité, permettant à la justice de mieux répondre aux attentes des justiciables et aux exigences de l’État de droit.
A. Renforcer l’accessibilité, sans sacrifier la spécialisation.
La diversité des ordres juridictionnels ne devrait pas signifier désorientation pour le justiciable. L’objectif n’est pas de nier les logiques distinctes qui structurent le droit public et le droit privé, mais de rendre leur coexistence compréhensible et praticable.
Pour cela, plusieurs leviers peuvent être activés :
- La vulgarisation juridique ciblée, notamment par des plateformes publiques interactives ;
- La création de guichets uniques, capables de recevoir toute requête et de la rediriger sans perte de droit ou de délai ;
- L’harmonisation des règles procédurales, notamment des délais de recours et des conditions de recevabilité, afin d’éviter les ruptures d’égalité entre justiciables.
Ces mesures ne visent pas à abolir le dualisme, mais à en rationaliser les effets, en assurant une meilleure continuité entre les parcours juridictionnels.
B. Un pluralisme juridictionnel assumé : l’émergence du Conseil constitutionnel comme instance transversale.
La question fondamentale n’est pas celle du nombre d’ordres juridictionnels, mais de la fonction qu’ils remplissent au sein de l’État de droit. Le dualisme est avant tout un dispositif technique de sujétion juridictionnelle, permettant de contraindre juridiquement l’ensemble des acteurs sociaux, y compris l’administration, en tenant compte de la nature des rapports et des normes en cause.
Le droit ne se réduit pas à une mécanique uniforme. Il est un système de rapports différenciés, porteurs de logiques normatives distinctes. En ce sens, l’unicité juridictionnelle serait une fiction réductrice. Le dualisme, bien compris, permet de respecter cette pluralité des justiciabilités à condition d’en maîtriser l’articulation.
L’un des apports centraux de cette analyse réside dans la mise en lumière d’un rééquilibrage progressif de l’architecture juridictionnelle, marqué par le rôle croissant du Conseil constitutionnel dans l’ordonnancement général du droit.
Depuis l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) [2], le Conseil constitutionnel n’est plus simplement le gardien abstrait de la norme suprême. Par sa capacité à trancher non seulement la validité des lois applicables, mais aussi, de manière incidente, leur interprétation au regard des droits et libertés constitutionnels dans le cadre des litiges en cours, le Conseil constitutionnel s’érige en juge transversal de la normativité. Il ne se limite plus à un contrôle abstrait en amont, mais s’insère au cœur du contentieux ordinaire, au croisement des ordres administratif et judiciaire, dont il transcende les clivages par une lecture constitutionnelle unifiée du droit applicable.
Cette compétence, qui s’exerce sur renvoi des juridictions ordinaires, confère au Conseil une fonction de régulation systémique car il ne juge pas un litige particulier, mais la compatibilité d’un cadre normatif avec les droits et libertés constitutionnels, impactant l’ensemble des contentieux en aval.
En parallèle, le Tribunal des conflits, dans sa mission de résolution des conflits positifs et négatifs de compétence, joue un rôle tout aussi central dans l’architecture juridictionnelle. Il veille à la lisibilité des frontières entre les ordres et garantit que la dualité ne se transforme pas en confusion.
Ensemble, ces deux institutions exercent une fonction méta-juridictionnelle dans la mesure où elles ne s’inscrivent pas dans un ordre au sens strict, mais œuvrent à la cohérence du système juridictionnel dans son ensemble, en assurant la compatibilité des compétences, la stabilité des articulations, et l’unité des principes fondamentaux. Ce mécanisme confère au Conseil une fonction méta-juridictionnelle en surplombant sans remplacer, régule sans absorber, oriente sans dicter. Il ne juge pas les litiges, mais les conditions de validité du cadre normatif dans lequel ils se déploient. Par là, il transcende les frontières du dualisme.
Faut-il dès lors penser l’organisation juridictionnelle en termes de tripartition fonctionnelle droit public, droit privé, droit constitutionnel et non plus simplement de dualisme structurel ?
Une telle lecture met en lumière la pluralité des justiciabilités contemporaines, et la nécessité d’une autorité centrale régulatrice, garante de l’unité du droit sans nier sa diversité.
Penser la justice aujourd’hui, ce n’est plus choisir entre unité et dualité ; c’est reconnaître la complexité organisée du droit, et construire une architecture juridictionnelle cohérente, articulée, et fonctionnellement efficace. Le dualisme n’est pas un vestige à abolir, mais un modèle à perfectionner, à condition d’en assurer la gouvernance intelligible.
Dans cette perspective, le Conseil constitutionnel, au croisement des logiques contentieuses, apparaît non comme un troisième ordre, mais comme le garant de l’équilibre entre les deux.
Ainsi se dessine, peut-être, une nouvelle carte juridictionnelle, non plus figée mais dynamique, une justice à la fois multiple dans ses instruments et unifiée dans sa finalité : garantir l’effectivité de la règle de droit à l’égard de l’ensemble du corps social, au moyen de voies juridictionnelles spécialisées mais complémentaires.