Ciao Kombucha : une stratégie de protection perfectible.
Courant mai 2025, le lancement commercial de la boisson « Ciao Kombucha », [1] portée par l’influenceur Squeezie, s’est accompagné d’une exposition médiatique particulièrement significative. Ce lancement, appuyé par une stratégie de communication à large diffusion, s’est rapidement trouvé confronté à une problématique de droit de la propriété intellectuelle, liée à la perception d’une proximité visuelle entre cette nouvelle gamme de produits et celle de la marque préexistante « Rise kombucha » [2].
Bien que l’analyse chronologique des événements permette de relativiser toute intention délibérée de reproduction ou de parasitisme, cette situation soulève une question centrale : celle des conséquences juridiques d’un dépôt de marque limité à sa seule dimension verbale, sans articulation avec une stratégie de protection plus globale intégrant notamment les éléments visuels du produit.
Cette absence d’anticipation a révélé des vulnérabilités structurelles, tant sur le terrain de la contrefaçon que sur celui de la concurrence déloyale, invitant à une réflexion plus large sur la sécurisation juridique des lancements commerciaux à forte visibilité.
I - Un dépôt initial limité à une marque verbale.
La marque « Ciao Kombucha » a été déposée le 23 juillet 2024 auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), sous forme exclusivement verbale. Ce dépôt visait uniquement la protection de la dénomination, excluant expressément toute élément graphique, figuratif ou visuel.
Une telle option, si elle peut s’expliquer par des considérations pratiques, se révèle insuffisante lorsque la stratégie commerciale repose sur des éléments visuels distinctifs.
En l’espèce, la première présentation publique de la charte graphique du produit, intervenue le 3 mai 2025, a dévoilé un univers visuel affirmé : packaging coloré, typographie spécifique et codes graphiques constants [3].
Toutefois, l’absence d’enregistrement d’une marque semi-figurative ou de dépôt de dessins et modèles a eu pour effet de laisser ces éléments totalement en dehors du périmètre de protection juridique conféré par le dépôt initial.
Dans ce contexte, l’absence de protection visuelle a constitué une zone de vulnérabilité juridique, privant le titulaire de tout fondement d’action en cas d’imitation ou d’appropriation de l’identité graphique par un tiers.
A noter que dans un cas de contrefaçon, les seules voies de recours potentielles en l’état seraient une action en concurrence déloyale ou bien l’invocation du droit d’auteur. Mais les exigences probatoires qu’elles impliquent, combinées à l’absence de sécurisation préalable, en limitent fortement l’efficacité pratique.
II - Une protection lacunaire ouvrant la voie à des risques de contrefaçon.
La limite de la protection conférée par la marque verbale « Ciao Kombucha » est apparue de manière particulièrement manifeste quelques semaines après la sortie de la boisson.

En effet, des internautes ont souligné une certaine proximité visuelle entre la gamme « Ciao Kombucha » et le nouveau positionnement graphique de la marque « Rise Kombucha » [4].
Chronologiquement, il est permis de supposer que l’identité graphique du produit était déjà élaborée à la date du dépôt de la marque, bien que le design ait été révélé publiquement le 3 mai 2025 selon la communication officielle de la marque. En parallèle, la marque Rise Kombucha, enregistrée depuis le 19 décembre 2016, a opéré un rebranding dévoilé sur les réseaux sociaux le 26 avril 2025.
Si cette simultanéité de diffusion ne révèle a priori aucun acte de reproduction délibéré, elle a mis en lumière les carences de la stratégie de protection initiale : bien que médiatiquement exposée, la société ne disposait d’aucun fondement juridique permettant d’agir en réaction.
En l’absence de dépôt figuratif ou de dessins et modèles, l’ensemble des éléments graphiques du produit n’était pas juridiquement opposable. Une action en contrefaçon de marque se révélait donc inenvisageable, faute d’atteinte à un signe enregistré.
L’imitation d’un univers visuel, aussi manifeste soit-elle, demeure étrangère au champ d’application de la contrefaçon dès lors qu’elle ne concerne pas un signe protégé.
Les recours alternatifs, bien que théoriquement envisageables, demeuraient eux aussi difficilement mobilisables. Le fondement en concurrence déloyale, prévu à l’article 1240 du Code civil, exige la démonstration d’une faute. Considérant la temporalité des diffusions des boissons respectives, tel n’apparait pas être le cas.
Quant au droit d’auteur, il impose la preuve d’une création originale, d’une antériorité documentée et de la titularité des droits, autant de critères souvent difficiles à satisfaire lorsque la démarche de protection n’a pas été anticipée.
Cette affaire illustre combien une protection incomplète limite les possibilités d’action, même en présence d’un risque de confusion manifeste.
Elle démontre que la simple notoriété d’un projet ne suffit pas à en assurer la défense : seule une protection rigoureusement structurée permet de sécuriser les actifs immatériels en cas de conflit.
La propriété intellectuelle est un actif immatériel à part entière, qui doit être pensé en amont et encadré par un professionnel.
III - La rectification de trajectoire par un dépôt de dessins et modèles.
Face aux failles juridiques révélées par l’absence de protection visuelle, la société titulaire de Ciao Kombucha a corrigé sa stratégie en procédant, le 16 mai 2025, au dépôt de 19 dessins et modèles auprès de l’INPI. Cette fois, cette démarche a été conduite avec un professionnel du droit, démontrant une volonté claire de renforcer la sécurité juridique du projet.
En effet, le dépôt de dessins et modèles, régi par les articles L511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, constitue un outil de protection essentiel, permettant de couvrir l’apparence des produits (formes, contours, couleurs, texture, agencement graphique, etc.) pour une durée initiale de cinq ans, renouvelable jusqu’à vingt-cinq ans.
Au-delà de sa fonction de protection, ce mécanisme joue un rôle central dans la consolidation d’un portefeuille de droits. Il permet de transformer une identité visuelle, souvent perçue comme une composante accessoire de la communication, en un actif juridique opposable, valorisable, transmissible et susceptible d’être défendu en justice.
En dotant la marque d’une protection autonome et complémentaire à la marque verbale, le titulaire renforce sa capacité à sécuriser ses investissements, dissuader les comportements parasitaires et encadrer ses partenariats ou licences futures.
Le dépôt effectué en mai 2025 a pu s’inscrire dans le cadre du délai de grâce de douze mois prévu à l’article L511-6 CPI. Ce dispositif autorise le créateur à procéder à une première divulgation publique de son design, tout en conservant la possibilité de le protéger par un dépôt dans l’année qui suit, sans perte de nouveauté. Ce mécanisme, encore trop peu exploité, s’avère particulièrement pertinent pour les projets à forte visibilité médiatique.
En consolidant ainsi sa stratégie de propriété intellectuelle, la société exploitant « Ciao Kombucha » est désormais capable de fonder une action en contrefaçon ou de prévenir efficacement les risques concurrentiels.



Discussion en cours :
Analyse économique des activités d’influence
https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/squeezie-serial-entrepreneur-a-la-longevite-exceptionnelle-2110098