Après nous être questionnés sur l’applicabilité de cette réforme en l’absence de textes d’application, nous nous intéressons aujourd’hui à la grande inconnue de l’équation anti-cadeaux : Les avantages indirects.
Pour mémoire, la publication des textes d’application a été amorcée par un décret de juin 2020 [1], suivi par les arrêtés d’août relatifs aux seuils au-delà desquels les avantages sont soumis à autorisation et en deçà desquels ils sont considérés comme de valeur négligeable [2], puis par l’arrêté de septembre relatif à la télé-procédure [3] et enfin, par la publication d’une note d’information de la Direction Générale de l’Offre de Soins (ci-après « DGOS ») en novembre 2020 [4].
Si le nouveau dispositif anti-cadeaux est aujourd’hui pleinement applicable, aucun de ces textes d’ordre réglementaire ne permet de clarifier la question du traitement pratique des avantages indirects.
Cette catégorie d’avantages, pourtant présente depuis l’origine [5] et successivement reprise après chaque réforme, n’a jamais été clairement définie. Ainsi, elle constitue, encore aujourd’hui, et après une énième occasion laissée au législateur d’éclairer les industriels de santé, une zone d’ombre persistante.
En effet, la mise en œuvre du dispositif anti-cadeaux en matière d’avantages indirects s’accompagne d’une succession d’interrogations …
Rappelons à titre préliminaire que :
est interdit le fait de recevoir (pour les professionnels de santé notamment) [6] et le fait d’offrir (pour les industriels de santé notamment) [7] des avantages en espèces ou en nature, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte ;
certains avantages, qu’ils soient directs ou indirects, sont autorisés par dérogation [8] et doivent faire l’objet d’une convention qui est soumise à une procédure de déclaration ou d’autorisation, auprès des ordres ou des Agences Régionales de Santé, en fonction des montants engagés ;
l’avantage indirect consiste à accorder un avantage à un bénéficiaire direct (soumis ou non au dispositif anti-cadeaux), qui bénéficiera, in fine, à un bénéficiaire indirect, soumis au dispositifs anti-cadeaux.
Partant, la première interrogation réside dans la notion même de bénéficiaire.
L’article L1453-8 du Code de la santé publique (ci-après « CSP ») prévoit l’obligation de conclure une convention entre « le bénéficiaire » et l’industriel qui octroie l’avantage sans préciser qui du bénéficiaire direct ou indirect est visé.
La lecture de l’article L1453-13 du CSP - d’interprétation stricte rappelons-le, s’agissant d’une loi pénale - semble indiquer que la convention doit être conclue avec le bénéficiaire direct de l’avantage [9]. D’ailleurs, le décret précise que la convention doit contenir les informations « permettant d’identifier les bénéficiaires indirects et finaux non signataires de la convention » [10].
Toutefois, la note d’information de la DGOS de novembre 2020 semble indiquer le contraire en précisant que les avantages
« doivent obligatoirement faire l’objet d’une convention écrite et signée entre la personne octroyant l’avantage et le bénéficiaire final de l’avantage, y compris lorsque l’avantage est fourni par l’intermédiaire d’autres personnes (organisme de formation, société d’évènementiel, etc.) ».
Sur ce point, la plateforme Ethique des professionnels de santé prévoit la possibilité de renseigner les intermédiaires à l’octroi d’un avantage.
De cette contradiction nait la deuxième interrogation relative au montant devant figurer dans la convention : faut-il prendre en compte le montant des avantages dont bénéficie la structure signataire / intermédiaire (y compris lorsque cette structure n’est pas soumise au dispositif anti-cadeaux) ? ou bien au contraire celui des avantages dont bénéficient individuellement les bénéficiaires finaux non-signataires ?
Des mécanismes de structuration contractuelle peuvent être mis en place pour permettre aux industriels de faire face à ces difficultés. Cependant des interrogations demeurent : que faire lorsque le montant des avantages qui bénéficient, in fine, à des professionnels de santé, bénéficiaires indirects, n’est pas connu au moment de la signature de la convention, à tout le moins par les industriels de santé ? Ou bien lorsqu’il n’est pas individualisable (quid des dividendes) ? La même question se pose lorsque l’identité même des professionnels de santé, bénéficiaires indirects / finaux, éventuels n’est pas connue ? Les industriels sont-ils tenus de solliciter et d’obtenir lesdites informations ? Les signataires sont-ils tenus de les fournir ? Des sanctions sont-elles encourues si tous les moyens n’ont pas été mis en œuvre ?
Dans ce contexte, le mot d’ordre reste : prudence.
Espérons tout de même que les actuelles discussions menées notamment par le LEEM avec la DGOS permettront d’apporter des réponses claires et concrètes.