La chambre sociale de la Cour de cassation adoptait historiquement une position stricte sur la recevabilité les enregistrements clandestins, considérant que ces derniers constituaient des preuves déloyales et, par conséquent, irrecevables en justice. Cette position reposait sur le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, découlant de l’article 9 du Code de procédure civile.
Dans un arrêt du 20 novembre 1991, la Cour a jugé par exemple que « tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à l’insu des salariés constitue un mode de preuve illicite » [1].
Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises, notamment pour des enregistrements de conversations téléphoniques.
Sous l’impulsion de la jurisprudence européenne, la chambre sociale a par la suite évolué et commencé à admettre que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet.
Dans un arrêt du 25 novembre 2020, elle a jugé que le juge devait apprécier si l’utilisation de la preuve portait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et le droit au respect de la vie privée [2]. Cette approche a été confirmée dans plusieurs décisions ultérieures, notamment en 2021 et 2023.
Puis, par un arrêt du 22 décembre 2023, la Cour de cassation a jugé que « dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».
Le juge doit désormais mettre en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, en vérifiant si la production de la preuve est indispensable à l’exercice de ce droit et si l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi [3].
Cet arrêt constitue un revirement majeur en matière de recevabilité des preuves obtenues de manière déloyale ou illicite.
Par un arrêt du 6 juin 2024, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation applique pour la première fois cette solution au contentieux des accidents du travail.
Elle approuve la cour d’appel d’avoir jugé qu’un salarié peut produire un enregistrement audio effectué à l’insu du gérant avec qui il a eu une altercation, afin de voir reconnaître le caractère professionnel de l’accident résultant de cette altercation et la faute inexcusable de l’employeur [4].


