
Sandrine Fiat

David Roguet
Village de la Justice : On constate une certaine crise des vocations pour devenir Bâtonnier en France : qu’en pensez-vous ? Le système du bâtonnat aurait-il vécu ?
Sandrine Fiat : Il est vrai que de moins en moins d’avocats souhaitent se porter candidats à la fonction de bâtonnier et même de membres du Conseil de l’Ordre. La charge est lourde, chronophage, et parfois ingrate parce qu’elle est exigeante, souvent dans l’ombre, et implique de prendre des décisions qui ne font pas toujours consensus.
Cette réticence traduit également une réalité : la profession est soumise à des contraintes économiques et à des évolutions rapides qui mobilisent déjà énormément les confrères dans leur exercice quotidien.
Pourtant, la fonction reste essentielle : elle incarne la défense de l’indépendance de la profession, la cohésion du barreau et la relation avec les institutions.
David Roguet : La crise des vocations est une réalité partagée dans tous les Barreaux de France. Beaucoup de confrères voient la fonction comme une charge écrasante, parfois ingrate, et qui éloigne de l’exercice quotidien. Ce n’est pas une crise du bâtonnat en soi, mais une crise de confiance dans les institutions représentatives.
Quelles réformes y apporteriez-vous ?
DR : Le Bâtonnier est effectivement un indispensable : l’avocat a besoin d’une voix, d’un représentant, d’un défenseur. Mais le modèle doit évoluer. Il ne peut plus reposer uniquement sur un imperium. Il faut inventer une gouvernance plus participative, plus collégiale, où les décisions sont partagées et les confrères davantage associés. À Grenoble, nous voulons montrer que c’est possible.
S.F : Oui, il faut réfléchir à une organisation plus collégiale et moderne : délégation plus forte aux commissions, valorisation des équipes, appui administratif renforcé.
La fonction doit être mieux reconnue et accompagnée. Elle ne doit pas être perçue comme un sacrifice, mais comme une mission au service de tous.
Enfin, il faut adapter l’ordre aux attentes des jeunes avocats, qui souhaitent transparence, efficacité et innovation.
V.J : Qu’est ce qui vous a motivé (voire re-motivé concernant Me Roguet), pour vous présenter aux fonctions de Bâtonnier et Vice-Bâtonnier ? D’ailleurs, était-ce une condition pour vous : un binôme ? Existait-il d’autres « conditions » pour que vous vous lanciez ?
S.F : Je me suis présentée parce que je crois profondément en la force du collectif et en la nécessité que chacun s’investisse à un moment pour le bien commun. J’ai la conviction que la profession d’avocat ne se résume pas à l’exercice individuel. Elle s’incarne aussi dans une communauté qui doit rester soudée et forte.
J’ai déjà exercé 2 mandats de membre du Conseil de l’Ordre (dont l’un sous le bâtonnat de David Roguet). Parce que la tâche de bâtonnier est lourde, que je ne souhaite pas mettre en péril l’équilibre de mon cabinet, je me suis tout naturellement tournée vers David pour lui proposer de se présenter en binôme. Il a déjà l’expérience de la fonction, même si en 6 ans l’exercice est déjà différent, et j’ai pu apprécier ses qualités humaines et son sens des responsabilités. Le Barreau de Grenoble a déjà connu un binôme incarné par Jean-Yves Balestas, Bâtonnier et sa vice-bâtonnière Sylvia Rizzi.
D.R : J’ai en effet déjà exercé la fonction en 2018 et 2019. J’en connais les difficultés, mais aussi la richesse. Ce qui m’a décidé à revenir, c’est d’abord la rencontre avec Sandrine Fiat et notre volonté commune d’unir nos expériences. Le choix d’un binôme n’était pas une condition de principe, mais une évidence : nous voulons un bâtonnat de dialogue, d’équilibre, où l’on se soutient et où l’on partage les responsabilités.
La seule véritable autre "condition", c’était de pouvoir porter un projet tourné vers l’avenir : redonner confiance, soutenir les jeunes confrères et préparer le barreau aux révolutions en cours, notamment celle de l’intelligence artificielle.
V.J : Qu’est-ce qui est particulièrement motivant dans un barreau comme le vôtre ?
S.F : Notre barreau, même s’il fait partie des 100 plus grands barreaux, a la chance d’être à taille humaine et d’être ancré dans un territoire dynamique. Cela favorise la proximité et la solidarité.
Les confrères sont engagés, passionnés et prêts à se mobiliser pour des causes communes.
Par ailleurs, nous avons su tisser un lien particulier avec nos juridictions et nos partenaires institutionnels, ce qui permet d’agir concrètement.
DR : Grenoble est un barreau riche, jeune, diversifié. Et il est à l’image de notre société : confronté à des difficultés, mais aussi porteur d’initiatives et de talents. C’est ce dynamisme qui rend la tâche motivante, même si elle est chronophage.
Alors si la tâche de Bâtonnier est chronophage, en quoi est-elle également gratifiante ?
S.F : Oui, c’est une charge lourde : disponibilité quasi permanente, gestion de conflits, prise de décisions parfois incomprises.
Mais, ce qui peut sembler ingrat est en réalité une mission noble : être la voix de ses confrères, défendre leur indépendance, accompagner les plus jeunes comme les plus anciens, protéger la profession face aux pressions extérieures.
Ce n’est pas seulement une fonction administrative, c’est un rôle de soutien, d’écoute et de représentation. Et cela, c’est une richesse qui compense largement les difficultés.
DR : Être bâtonnier, c’est être à la fois "l’avocat des avocats", et le gardien de l’indépendance de la profession. C’est un honneur unique de porter la voix de ses confrères, de défendre leur place dans la cité, de protéger les plus fragiles, d’anticiper les évolutions. C’est ce qui rend la fonction profondément gratifiante : on a la conviction de servir l’intérêt collectif, de préparer la profession pour demain.


