Un sujet proposé par la Rédaction du Village de la Justice

Les jurisprudences les plus audacieuses en matière de défense de l’environnement.

Par Jochen Bauerreis, Avocat et Clémence Lindauer, Juriste.

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Explorer : # droit à un environnement sain # protection environnementale # jurisprudence européenne # contentieux climatique

Ce que vous allez lire ici :

La jurisprudence de la CEDH évolue vers un droit à un environnement sain en interprétant des articles existants. Cela inclut la protection des droits fondamentaux face aux atteintes écologiques. En parallèle, le Conseil d'État français renforce son rôle dans la lutte climatique, illustrant un changement de paradigme dans le droit environnemental.
Description rédigée par l'IA du Village

Les enjeux environnementaux ne se résument plus aux discussions diplomatiques ou législatives : ils trouvent désormais un terrain d’expression dans les prétoires. En effet, face à l’ampleur de la crise environnementale et climatique, les juridictions saisies par des particuliers, des associations ou même des collectivités publiques, deviennent des lieux essentiels pour la préservation de l’environnement et la lutte contre les dérèglements climatiques. La protection de l’environnement, longtemps perçue comme un domaine marginal, est aujourd’hui reconnue comme un droit fondamental qui remet en question les droits traditionnels, la recevabilité des actions collectives et le rôle du juge. Dans ce contexte, certaines juridictions ont su faire preuve d’audace en réinterprétant les textes à la lumière des défis environnementaux actuels, élargissant ainsi la notion de qualité pour agir et renforçant l’efficacité des mesures prises. Cette audace se manifeste de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après CEDH), qui construit progressivement les contours d’un droit à un environnement sain, à la juridiction administrative française, qui reconfigure les outils contentieux classiques autour de la défense de l’environnement, en passant par certaines cours suprêmes étrangères, qui érigent la justice intergénérationnelle en principe constitutionnel.

Dans cet article, nous verrons comment les juridictions ont su adapter le droit aux défis environnementaux contemporains, ouvrant la voie à de nouvelles perspectives en la matière.

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I. L’invention d’un droit à un environnement sain par la CEDH.

L’idée d’un droit à un environnement sain, aujourd’hui au cœur des préoccupations contemporaines, ne s’est pourtant pas imposée d’emblée dans le paysage juridique européen. Au sein du système de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après ConvEDH), ce droit ne figure pas expressément dans le texte fondateur.

C’est donc par le biais d’une construction jurisprudentielle progressive que la CEDH a ouvert la voie à une protection environnementale sans équivalent à l’échelle régionale, en étendant l’interprétation des droits existants aux enjeux liés à la protection de l’environnement.

1. La protection d’un droit à un environnement sain sous l’angle de l’article 8 ConvEDH.

L’article 8, garantissant le respect de la vie privée et familiale ainsi que du domicile, s’est ainsi imposé comme le vecteur principal de cette extension. Dans l’arrêt Powell c. Royaume-Uni (1990) [1], les requérantes se plaignaient des nuisances sonores engendrées par la proximité d’un aéroport. Si la CEDH n’a pas reconnu de violation, elle a néanmoins posé les bases d’un lien entre environnement et qualité de vie, ouvrant la voie à une lecture environnementale de l’article 8. Ce lien s’est renforcé dans l’arrêt Lopez Ostra c. Espagne (1994) [2], où la CEDH a cette fois admis une violation de la Convention en raison des nuisances causées par une station d’épuration. L’État n’avait pas su trouver un équilibre satisfaisant entre les impératifs économiques de la ville et les droits fondamentaux des requérants, marquant ainsi un tournant en faveur d’une meilleure protection des individus face aux atteintes environnementales. Cette tendance s’est poursuivie dans l’affaire Hatton c. Royaume-Uni (2003) [3], relative à l’augmentation des vols de nuit à proximité de l’aéroport d’Heathrow. Si la Chambre avait d’abord conclu à une violation de l’article 8, la Grande Chambre a finalement estimé que le Royaume-Uni n’avait pas excédé sa marge d’appréciation. Ce revirement a suscité des débats, notamment sous la plume de Linos-Alexandre Sicilianos, ancien président de la CEDH, qui s’interroge sur la pertinence de la méthode traditionnelle de mise en balance entre intérêts publics et droits individuels. Selon lui, l’ampleur croissante des enjeux environnementaux devrait conduire à restreindre la marge d’appréciation laissée aux États, au profit d’une protection plus rigoureuse de l’environnement. L’arrêt Cordella et autres c. Italie (2019) [4] marque une étape importante dans cette évolution. La CEDH y condamne l’inaction des autorités italiennes face à une pollution industrielle prolongée dans le temps, considérant qu’elle mettait gravement en danger la santé des requérants. En exigeant la mise en place d’un plan environnemental efficace, la CEDH ne se contente plus d’un simple contrôle de proportionnalité : elle consacre l’environnement comme un objectif légitime en soi, susceptible de prévaloir sur d’autres droits ou intérêts concurrents.

2. La protection d’un droit à un environnement sain sous l’angle de l’article 1 du Protocole n°1.

Cette dynamique ne se limite plus à l’article 8. Elle s’étend désormais à d’autres dispositions de la Convention. L’article 1er du Protocole n°1, relatif à la protection de la propriété, a ainsi été mobilisé sous un angle environnemental. Dans l’affaire Yasar c. Roumanie (2019) [5], la CEDH a jugé que la confiscation d’un navire impliqué dans des activités de pêche illégale ne portait pas atteinte de manière disproportionnée au droit de propriété du requérant, les exigences de préservation des ressources biologiques l’emportant sur les droits individuels.

3. La protection d’un droit à un environnement sain sous l’angle de l’article 2 ConvEDH.

De même, l’article 2, garantissant le droit à la vie, a servi de fondement dans des contextes de catastrophes naturelles. Dans l’affaire Boudaïeva c. Russie (2008) [6], la CEDH a reconnu la responsabilité de l’État en raison de son inaction face à une coulée de boue meurtrière, affirmant ainsi l’existence d’une véritable obligation positive de prévention des risques environnementaux.

4. La protection d’un droit à un environnement sain sous l’angle de l’article 6 ConvEDH.

Enfin, l’accès à la justice environnementale trouve un écho dans l’article 6 §1, garant du droit à un procès équitable. Dans L’Erablière c. Belgique (2009) [7], la CEDH a constaté une violation de ce droit en raison d’une restriction injustifiée de l’accès à un tribunal dans un contentieux environnemental. Ce faisant, elle souligne que les procédures relatives à la protection de l’environnement doivent bénéficier d’un contrôle juridictionnel effectif.

Ces évolutions convergentes traduisent une réorientation plus globale du droit européen des droits de l’Homme : la CEDH devient progressivement un levier de ce que certains qualifient de « démocratie environnementale », dans laquelle les droits fondamentaux sont relus à l’aune des enjeux écologiques.

II. L’élargissement de l’accès au juge : vers une démocratisation procédurale du contentieux environnemental.

1. La redéfinition progressive de la notion de victime par la CEDH.

L’un des développements les plus marquants de la jurisprudence européenne récente en matière environnementale réside dans l’évolution de la notion de « victime » au sens de l’article 34 de la ConvEDH. Traditionnellement, la CEDH imposait une interprétation stricte de cette notion, subordonnant la recevabilité d’une requête à l’existence d’un lien personnel, direct et actuel entre le requérant et la violation alléguée. Une telle exigence rendait difficile, voire impossible, l’introduction de requêtes concernant des atteintes environnementales affectant de manière collective et souvent indéterminée les populations. Toutefois, dans un souci d’adaptation aux enjeux contemporains, la CEDH a opéré un assouplissement progressif de ce critère, tout en affirmant son refus de consacrer une véritable actio popularis.

Dès 2000, dans l’affaire Athanassoglou et autres c. Suisse [8], la CEDH admet qu’un groupe de requérants puisse se prévaloir d’un droit de recours en raison de l’impact potentiel d’une autorisation de centrale nucléaire sur leur santé et leur environnement. Bien qu’elle conclue à l’irrecevabilité, cette affaire marque un premier tournant : la CEDH ne rejette pas en bloc l’idée qu’une atteinte environnementale puisse, sous conditions, permettre à un individu de se constituer en victime.

L’arrêt Stop Melox et Mox c. France (2006) [9] constitue une étape charnière : pour la première fois, la CEDH admet la recevabilité d’une requête introduite par une association de protection de l’environnement, même en l’absence de victime spécifique identifiable. Elle reconnaît ainsi l’intérêt général comme fondement de la qualité pour agir, dans le contexte spécifique de la protection environnementale. Ce glissement s’est accentué récemment, notamment dans les affaires KlimaSeniorinnen c. Suisse (2024) [10], Carême (2024) [11] et Duarte Agostinho (2024) [12], qui introduisent un contentieux climatique à l’échelle européenne.

2. Une démocratisation sélective : les associations comme acteurs privilégiés du contentieux climatique.

Dans l’affaire KlimaSeniorinnen c. Suisse (2024), la Grande Chambre reconnaît à une association, et non à ses membres individuels, la qualité pour agir devant la CEDH, en raison de l’exposition des femmes âgées qu’elle représente aux effets du changement climatique. La Cour constate une violation des articles 8 et 6 §1 de la Convention, estimant que les autorités suisses ont manqué à leur obligation positive de protection. Ce faisant, elle reconnaît implicitement que le changement climatique est susceptible d’engendrer une atteinte suffisamment grave à la santé et à la qualité de vie pour justifier la recevabilité d’une requête fondée sur l’intérêt collectif. Pour autant, elle reste vigilante à ne pas franchir la ligne de l’actio popularis, qu’elle continue à rejeter expressément comme incompatible avec le mécanisme du recours individuel garanti par l’article 34. Cette volonté d’équilibre se manifeste dans les critères stricts qu’elle pose. Une association requérante doit être légalement constituée dans l’État défendeur, poursuivre statutairement un but en lien direct avec la protection des individus exposés, et démontrer un lien représentatif réel avec les personnes concernées. La CEDH précise également que dans le domaine du changement climatique, l’association n’est pas tenue d’établir, pour chaque individu qu’elle représente, la qualité de victime au sens classique de l’article 34. Ce pragmatisme traduit une volonté de ne pas entraver inutilement l’accès au prétoire, tout en préservant l’interdiction de recours qui ne sont pas liés directement à des situations concrètes.

Dans les affaires Carême (2024) et Duarte Agostinho (2024), en revanche, la CEDH déclare les requêtes individuelles irrecevables : les requérants n’ont pas démontré une exposition « intense » aux effets du changement climatique ni un besoin « impérieux » de protection individuelle. Ce durcissement des critères applicables aux personnes physiques contraste donc avec l’assouplissement relatif consenti aux associations dans le contexte climatique. Cela montre que la CEDH adapte les exigences procédurales à la spécificité des contentieux climatiques, tout en évitant une ouverture incontrôlée, ce qui pourrait nuire à l’efficacité des recours individuels.

3. Un accès au juge élargi mais réservé au contentieux climatique.

Cette évolution de l’accès au juge favorable aux associations environnementales connait néanmoins des limites. En effet, dans l’affaire Cannavacciuolo et autres c. Italie (2025) [13], la CEDH refuse à une association environnementale la qualité pour agir en matière de pollution industrielle. Elle précise que l’assouplissement des conditions de recevabilité, reconnu dans l’affaire KlimaSeniorinnen c. Suisse, demeure circonscrite au contexte du changement climatique, en raison de son caractère global et différé. Il ne s’agit donc pas d’une généralisation à l’ensemble des atteintes environnementales. Dans Cannavacciuolo et autres c. Italie (2025), la CEDH maintient une conception classique de l’intérêt à agir des associations dans les cas de pollution locale, distinguant encore ce contentieux du régime plus souple applicable au changement climatique.

4. Conclusion.

En définitive, la CEDH semble consacrer une forme de statut procédural semi-privilégié aux associations environnementales dans le domaine climatique, tout en réaffirmant les principes fondamentaux de la subsidiarité et du recours individuel.

Cette position médiane s’inscrit dans une vision réaliste du rôle de la CEDH : permettre aux acteurs de la société civile de jouer un rôle dans la défense des droits fondamentaux menacés par les crises environnementales, sans pour autant transformer la CEDH en instance abstraite de contrôle des politiques publiques. Certains, comme François Voeffray, saluent cette prudence, estimant que l’actio popularis risquerait de brouiller la mission de la CEDH. L’efficacité de la protection des droits environnementaux dépend davantage de l’exécution des arrêts et de la responsabilisation des États que de la multiplication des requêtes.

III. La complémentarité croissante entre la CEDH et la CJUE : convergence des audaces juridictionnelles.

La CEDH et la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) suivent des logiques procédurales et matérielles distinctes, issues de leurs ordres juridiques respectifs. Pourtant, un mouvement de convergence s’est peu à peu affirmé entre elles, notamment dans leur manière d’interpréter les obligations pesant sur les États et dans la prise en compte croissante des enjeux environnementaux.

1. L’extension des obligations des États par la CEDH.

La CEDH a développé une jurisprudence centrée sur les obligations positives des États. Dans l’affaire Cordella c. Italie, la CEDH a jugé que l’État italien avait manqué à ses obligations de protection au titre de l’article 8 de la Convention, en n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour limiter la pollution dans la région de Tarente, où une ancienne entreprise sidérurgique privatisée causait des dommages sanitaires avérés. Les requérants ont été considérés comme victimes en raison de leur résidence dans une zone géographique définie, dans laquelle les taux de cancer étaient significativement plus élevés que dans d’autres régions comparables. La CEDH a reconnu le droit des habitants à une protection effective de leur vie privée et familiale, imposant à l’État de réagir par des mesures concrètes. À travers l’article 46, elle a souligné l’urgence et l’importance des travaux d’assainissement, tout en s’abstenant de prescrire des mesures précises, en cohérence avec la nature de son rôle.

2. L’approche prescriptive adoptée par la CJUE.

La CJUE, de son côté, se montre tout aussi exigeante sur les obligations environnementales mais dans une approche davantage prescriptive. Dans l’affaire C.Z. et autres de 2024 [14], elle interprète la directive 2010/75 relative aux émissions industrielles à la lumière des articles 35 et 37 de la Charte des droits fondamentaux, imposant aux États membres d’intégrer une évaluation préalable des effets sur la santé et l’environnement dans la procédure de délivrance et de réexamen des autorisations d’exploitation. La CJUE insiste sur la nécessité de prendre en compte l’ensemble des substances nocives scientifiquement identifiées, même si elles n’avaient pas été envisagées initialement. Elle s’oppose explicitement à toute prolongation répétée des autorisations d’exploiter des installations présentant des dangers graves pour la santé ou l’environnement. À la différence de la CEDH, la CJUE n’hésite pas à formuler des prescriptions directes aux États, en s’appuyant sur le droit dérivé de l’Union.

3. Des différences sur le plan procédural entre la CEDH et la CJUE.

Malgré cette complémentarité sur le plan substantiel, les approches procédurales des deux cours diffèrent profondément. La CEDH adopte une interprétation souple de la qualité de victime. Dans l’affaire Klimaseniorinnen c. Suisse, elle a reconnu la recevabilité d’une association de femmes âgées dénonçant les effets du changement climatique sur leur santé. La CEDH a admis que, dans un contexte aussi particulier, les associations environnementales devaient pouvoir agir en justice pour représenter les personnes vulnérables face à un phénomène d’ampleur globale. Elle s’est appuyée notamment sur la Convention d’Aarhus, qui est un accord international signé en 1998 et visant à une « démocratie environnementale » et sur l’idée que le changement climatique constitue un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière, justifiant une forme d’exception à ses exigences habituelles de recevabilité.

La CJUE, en revanche, reste fidèle à une interprétation rigide de la qualité pour agir. Dans l’affaire Armando Carvalho (2021) [15], des requérants individuels ont tenté d’obtenir l’annulation de plusieurs actes législatifs européens relatifs aux émissions de gaz à effet de serre. La CJUE a rejeté leur recours, considérant que les intéressés ne remplissaient pas la condition d’affectation individuelle requise par l’article 263, paragraphe 4, du TFUE, telle qu’interprétée dans l’arrêt Plaumann (1963) [16]. Elle a estimé que les effets différenciés du changement climatique, aussi réels soient-ils, ne suffisaient pas à individualiser les requérants au sens du traité. En réponse à l’invocation de l’article 47 de la Charte, elle a rappelé que le droit à un recours effectif ne saurait remettre en cause les conditions de recevabilité expressément prévues par les traités européens.

4. Complémentarité des rôles entre les deux juridictions.

Ainsi, la CEDH tend à assouplir les conditions d’accès au juge au nom de la protection effective des droits dans des contextes globaux, tandis que la CJUE reste fidèle aux traités tout en imposant des obligations précises aux États membres de l’Union.

Malgré leurs approches différentes, les deux jouent des rôles complémentaires : la CJUE contribue à encadrer les États par des obligations précises, tandis que la CEDH ouvre le contentieux à des acteurs collectifs ou non étatiques.

IV. Les juges français et étrangers à l’avant-garde : réinventer le droit face aux défis environnementaux et contentieux.

1. L’affirmation par le Conseil d’état d’une obligation d’agir.

Alors que la scène contentieuse européenne révèle une montée en puissance des juridictions supranationales, le juge administratif français s’inscrit dans cette dynamique en affirmant également une position audacieuse. L’affaire de la Commune de Grande-Synthe (2021) [17] en fournit une illustration majeure. Saisi par une commune littorale directement exposée aux conséquences du changement climatique, le Conseil d’état admet la recevabilité du recours au regard de l’intérêt direct et certain de cette collectivité à demander l’adoption de mesures destinées à infléchir la trajectoire nationale des émissions de gaz à effet de serre. Il écarte toutefois, de manière classique, l’intérêt à agir du maire en son nom personnel, jugeant que son intérêt, en tant que simple citoyen, n’est ni suffisamment spécial ni certain. L’ouverture procédurale est notable : la haute juridiction admet également les interventions des villes de Paris et Grenoble, ainsi que de plusieurs associations, en raison de leur intérêt suffisant à défendre la cause climatique. Le juge administratif fait preuve d’une ouverture inédite à la défense des enjeux environnementaux.

Sur le fond, le Conseil d’état reconnaît la portée normative des engagements climatiques pris par la France, non pas au titre des traités internationaux, qui ne sont pas dotés d’effet direct, mais par l’effet des instruments internes de mise en œuvre (Stratégie nationale bas-carbone etc). En relevant le dépassement des budgets carbone et la révision à la baisse de la trajectoire de réduction des émissions par décret, le juge administratif engage l’État dans une obligation d’action. Dans sa décision du 1ᵉʳ juillet 2021, le Conseil d’état franchit une étape décisive : il enjoint au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles dans un délai déterminé.

L’approfondissement de ce contentieux s’illustre dans la troisième décision Grande-Synthe du 10 mai 2023 [18] : le juge de l’exécution peut désormais, sur la base d’une analyse actualisée des données scientifiques et réglementaires, apprécier la pertinence des mesures adoptées et, le cas échéant, ordonner des mesures complémentaires, voire prononcer une astreinte. Le juge devient ici technicien, s’appuyant sur les travaux d’expertise du Haut Conseil pour le Climat, du Conseil économique, social et environnemental ou encore du Conseil général de l’environnement.

2. Vers une justice climatique transnationale.

Cette dynamique s’inscrit dans un contexte global de multiplication des recours climatiques devant les juridictions nationales. L’exemple de l’affaire Urgenda (2015) aux Pays-Bas [19], de décisions similaires en Allemagne [20] ou de la reconnaissance de droits de la nature dans certaines juridictions latino-américaines montre l’émergence d’un mouvement transnational dans lequel la France s’inscrit pleinement. Toutefois, ce contentieux ne saurait être lu uniquement sous l’angle de l’effectivité du droit. Il est aussi l’expression d’une judiciarisation croissante du politique, selon une logique que certains auteurs, comme Julien Bétaille, n’hésitent pas à qualifier d’instrumentalisation stratégique de la justice. Les requérants, souvent des ONG ou des collectivités locales, y trouvent un espace de reconnaissance symbolique et de médiatisation de leurs revendications, autant qu’un levier contentieux. Le juge devient ainsi, malgré lui, un co-constructeur de la norme environnementale, garant d’un équilibre entre légalité et urgence environnementale.

3. La reconnaissance par le juge administratif du préjudice environnemental : du constat à la mise en œuvre effective.

L’affaire dite de l’Affaire du siècle [21] témoigne également de cette évolution. Dans son jugement du 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique résultant du dépassement du premier budget carbone, engageant ainsi la responsabilité partielle de l’État. S’appuyant sur les articles 1246 et suivants du Code civil, il consacre l’autonomie du préjudice écologique, défini comme une atteinte non négligeable à l’environnement, réparable par priorité en nature. Cette réparation écologique se traduit ici par une injonction ordonnée à l’État de prendre toutes mesures nécessaires pour résorber le surplus d’émissions, dans un délai fixé au 31 décembre 2022. La demande indemnitaire, symbolique (1 euro), n’avait d’autre but que de fonder la recevabilité du recours. Elle révèle une mutation profonde de la logique contentieuse, où le recours pour plein contentieux devient un moyen détourné d’obtenir une injonction, rejoignant ainsi les finalités du recours pour excès de pouvoir. Cette convergence brouille les catégories classiques du contentieux administratif, dans une perspective d’objectivation de l’action en justice.

Le parallèle avec la jurisprudence Les Amis de la Terre est également éclairant. Dans une série de décisions allant de 2017 à 2023 [22], le Conseil d’état a progressivement durci son contrôle sur l’État en matière de qualité de l’air, allant jusqu’à prononcer des astreintes à l’encontre de l’administration. Le juge y exerce un contrôle étroit sur l’exécution de ses propres décisions, s’assurant de la réalité et de l’efficacité des mesures adoptées.

Ainsi, à travers la figure du juge climatique, le droit administratif français révèle sa capacité d’adaptation aux enjeux contemporains. Le contentieux climatique devient alors un laboratoire d’innovation procédurale et substantielle, où s’esquisse une nouvelle forme de justice environnementale, à la fois technique, symbolique et stratégique.

Conclusion.

Pour conclure, les jurisprudences les plus audacieuses concernant la protection de l’environnement montrent un changement dans le droit vers une reconnaissance accrue des défis écologiques, tant sur le plan substantiel que procédural. Hors du contexte européen, quelques juridictions ont même accordé la personnalité juridique à des entités naturelles, tels que l’Amazonie en Colombie ou les fleuves sacrés Gange et Yamuna en Inde.

Ces avancées, bien qu’elles soient encore peu répandues, démontrent un mouvement global vers une vision du droit axée sur l’environnement. De façon convergente, les litiges climatiques, du cas Urgenda aux Pays-Bas à Juliana v. United States (2020) [23], esquissent une voie vers l’établissement d’un droit à un environnement sain en tant que norme transnationale émergente.

Jochen Bauerreis, M.A., D.E.A.
Avocat au barreau de Strasbourg
Avocat spécialisé en droit de l’arbitrage, droit international et de l’Union Européenne
jochen.bauerreis chez abci-avocats.com
Avocat associé & Rechtsanwalt (Partner)
ABC International Selarl
www.abci-avocats.com

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