Au cours d’une vie d’artiste peintre, sculpteur ou performeur, il peut arriver que vous soyez obligés de passer devant les tribunaux allemands, si vous constatez qu’une de vos œuvres semble avoir été reproduite en Allemagne. Si les grands principes de la propriété intellectuelle y sont retranscrits dans la loi sur le droit d’auteur (I), certaines spécificités propres au droit allemand rendent la poursuite des plagiats plus difficile qu’en France (II), notamment quand on examine la jurisprudence en question (III).
I. La loi sur le droit d’auteur allemand - et ses voisins - peut paraître semblable au droit français.
Le droit allemand comporte, conformément à la Règlementation européenne, tout l’arsenal de protection du droit d’auteur. Le §1 de la loi sur le droit d’auteur et droits voisins allemande (ci-après, « UrhG ») rappelle la protection des auteurs d’œuvres artistiques, tandis que le §2 garantit expressément la protection des œuvres d’art. Le §15, quant à lui, rappelle que l’auteur possède le droit exclusif d’exploiter son œuvre sous une forme matérielle, ce qui comprend le droit de reproduction en d’autres exemplaires de l’œuvre de manière temporaire ou permanente, par quelque procédé que ce soit, et en nombre suffisant. L’atteinte au droit d’auteur est codifiée à au §97 de la UrhG, mais le §97a introduit une spécificité propre au droit allemand : le titulaire du droit d’auteur lésé doit, en principe, avant toute procédure judiciaire, effectuer une mise en demeure du potentiel contrevenant, qui lui donne l’occasion de régler le litige à l’amiable en faisant en sorte qu’il s’engage à ne plus violer le droit et en le soumettant à une amende civile [1].
II. Les notions d’« adaptation » et de « distance suffisante » du droit d’auteur allemand limitent dans la pratique la poursuite des plagiats.
La notion d’adaptation ou « Bearbeitung » est très en faveur de l’adaptateur au détriment de l’œuvre originale. En effet, l’ancien §24 de la UrhG, abrogé en 2021, disposait « qu’une œuvre indépendante créée en utilisant librement l’œuvre d’autrui peut être publiée et exploitée sans le consentement de l’auteur de l’œuvre utilisée » [2].
Or, l’esprit de cet article subsiste dans la nouvelle formulation du §23 : « les arrangements ou autres transformations d’une œuvre, y compris notamment d’une mélodie, ne peuvent être publiés ou exploités qu’avec l’autorisation de l’auteur. Si l’œuvre nouvellement créée conserve une distance suffisante par rapport à l’œuvre utilisée, il n’y a pas d’arrangement ou de transformation au sens de la première phrase » [3]. Afin d’évaluer cette « distance suffisante », les tribunaux allemands appliquaient un raisonnement en quatre temps : l’identification des caractéristiques objectives déterminant l’originalité de l’œuvre antérieure ; l’identification de celles de l’œuvre adaptée ; la détermination de la présence des caractéristiques de l’œuvre antérieure dans l’œuvre adaptée, puis enfin le verdict. Si la distance suffisante est retenue par les juges, il n’y aura pas atteinte au droit d’auteur !
III. Quelques exemples tirés des jurisprudences allemandes montrent que les adaptations libres sont entendues avec largesse.
- BGH, Urt. v. 08.6.1989 – I ZR 135/87 (OLG Schleswig ) "Emil Nolde".
Un collectionneur privé demanda l’expertise de deux aquarelles attribuées à Emil Nolde, peintre expressionniste allemand, auprès de la fondation dédiée à l’œuvre de l’artiste : mais les tableaux étaient des faux, et la fondation, ne voulant pas les restituer au collectionneur, souhaita les détruire. Le collectionneur décida alors de porter plainte contre la fondation. La Cour fédérale de justice allemande décida en dernier ressort que ces aquarelles ne constituaient pas des contrefaçons, car la reprise du style de Nolde dans ces copies était à différencier d’une reproduction trait pour trait d’une œuvre originale du peintre : il n’y avait pas en l’espèce de violation du droit d’auteur, invoquée par la fondation. En donnant raison au collectionneur privé, la cour a posé un principe clair : tant que l’œuvre contestée n’est pas une copie parfaite et est seulement exécutée « dans l’esprit » ou « à la manière de » l’artiste original, la contrefaçon n’est pas avérée.
- BGH, Urt. v. 16.5.2013 - I ZR 28/12 (OLG Düsseldorf) "Affaire Beuyz".
En 2009, une exposition présente dix-huit photographies reproduisant une performance de l’artiste Joseph Beuyz. Sa veuve, héritière des droits d’auteur, assigna le commanditaire de l’exposition pour violation des droits d’auteur. La cour estima que les photographies ne pouvaient à elles seules appréhender la complexité et la richesse de la performance de Joseph Beuyz. Elle a considéré que la modification de l’œuvre de base était si importante que la reproduction disposait d’une force d’expression créatrice propre, et que les traits personnels empruntés à l’original s’estompaient face à la spécificité de la reproduction, nous mettant ainsi en présence d’une œuvre indépendante. Soulignant en particulier que les séquences de la performance n’avaient pas été reproduites in extenso dans l’exposition, mais seulement en partie, la Cour fédérale de justice allemande considéra que les photos exposées constituaient bel et bien une œuvre indépendante, et qu’il n’y avait pas lieu de caractériser une atteinte au droit d’auteur de l’artiste Joseph Beuyz.
- BGH, Urt. v. 17.7.2013 - I ZR 52/12 (OLG Köln) - "Pippi-Langstrumpf-Kostüm".
Le titulaire des droits d’auteurs du roman pour enfants d’Astrid Lindgren, « Pippi Langstrumpf » (« Fifi Brindacier »), assigne un supermarché en violation des droits d’auteur, pour commercialisation de costumes de carnaval très proches de ceux du célèbre personnage éponyme. La Cour fédérale de justice allemande estima que le costume n’adoptait que certaines caractéristiques externes du personnage, et ne suffisait pas à lui seul, à reproduire la richesse du personnage et ses traits de caractère distinctifs : il n’y avait pas d’atteinte au droit d’auteur. De surcroit, le port de costumes restait une activité temporaire.
Bien que ces décisions aient été rendues en application de l’ancien §24 précité, son esprit est toujours présent dans les décisions rendues après 2021, sous l’empire du nouveau §23. Ainsi, la notion de « distance suffisante » qui infuse la jurisprudence et reste soumise à l’appréciation des juges, constitue un obstacle conséquent à la reconnaissance de l’atteinte au droit auteur en Allemagne.