Licenciement pour inaptitude : la connaissance de l’origine professionnelle par l’employeur reste déterminante.

Par Xavier Berjot, Avocat.

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La protection des salariés pour inaptitude professionnelle dépend de l'origine professionnelle de leur accident ou maladie, et de la connaissance que l'employeur en a au moment du licenciement. Les juges évaluent ces éléments en fonction des preuves présentées.
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La Cour de cassation (Cass. soc. 10-9-2025, n° 24-15.017) confirme qu’un employeur qui ignore, au moment du licenciement, l’origine professionnelle de l’inaptitude d’un salarié ne méconnaît pas les règles protectrices, même si ce dernier avait déclaré une maladie professionnelle refusée par la caisse.
L’arrêt illustre l’importance de la connaissance effective par l’employeur du caractère professionnel de l’affection pour déclencher l’application du régime protecteur.

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1. Les conditions d’application de la protection liée à l’inaptitude professionnelle.

1.1. Le principe jurisprudentiel constant.

Les règles protectrices des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles s’appliquent lorsque deux conditions cumulatives sont réunies.

D’abord, l’inaptitude du salarié doit avoir, au moins partiellement, pour origine l’accident du travail ou la maladie professionnelle, quel que soit le moment où cette inaptitude est constatée ou invoquée [1].

Ensuite, l’employeur doit avoir eu connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement [2].

Cette double exigence vise à concilier la protection du salarié avec la sécurité juridique de l’employeur, qui ne saurait être tenu de respecter des règles protectrices dont il ignorait légitimement l’applicabilité.

1.2. Le moment d’appréciation de la connaissance.

Selon une jurisprudence constante, c’est au jour de la notification du licenciement que s’apprécie la connaissance par l’employeur de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie dont le salarié est victime.

Dès lors que l’employeur n’a eu connaissance du caractère professionnel de l’accident subi par le salarié que postérieurement à son licenciement, il ne saurait lui être reproché d’avoir rompu le contrat de travail en méconnaissance des dispositions protectrices du Code du travail [3].

Cette règle s’applique même si la procédure de licenciement a été engagée avant que l’employeur n’ait connaissance de la prise en charge de la maladie au titre des maladies professionnelles, dès lors qu’il en a connaissance au moment du licenciement [4].

2. Les modalités d’établissement de la connaissance par l’employeur.

2.1. Le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Les juges du fond apprécient souverainement la réalité du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie et de la connaissance ou non par l’employeur de ce caractère, en fonction des circonstances propres à chaque espèce et des éléments de preuve qui leur sont soumis.

Justifie sa décision de condamner l’employeur pour non-respect de la protection prévue par le Code du travail la cour d’appel ayant estimé, par une appréciation souveraine des preuves, que celui-ci avait été informé du caractère professionnel de l’accident survenu au salarié avant la notification du licenciement [5].

En cas de contentieux, les juges sont tenus de rechercher si l’inaptitude a au moins partiellement pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle et si l’employeur avait connaissance de cette origine au moment du licenciement [6].

2.2. Les éléments de preuve admissibles.

Plusieurs éléments peuvent établir la connaissance par l’employeur du caractère professionnel de l’affection.

La déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle constitue un élément probant lorsque l’employeur en a été informé avant le licenciement, notamment par l’intermédiaire d’une lettre de la caisse primaire d’assurance maladie l’informant de cette déclaration [7].

L’employeur viole les dispositions du Code du travail lorsqu’il savait, au moment du licenciement, qu’une procédure avait été engagée par le salarié pour faire reconnaître le caractère professionnel de son accident ou de sa maladie [8].

Justifie légalement sa décision la cour d’appel qui déclare nul le licenciement d’un salarié prononcé au cours de la suspension de son contrat de travail après avoir relevé que l’intéressé avait, précédemment à son licenciement, transmis à son employeur un certificat médical valant demande d’établissement de maladie professionnelle [9].

Lorsqu’un accident survient au temps et au lieu de travail, l’employeur ne peut pas prétendre ignorer l’origine professionnelle de la suspension du contrat de travail, cet élément suffisant à établir sa connaissance du caractère professionnel de l’arrêt de travail [10].

3. L’autonomie du droit du travail par rapport aux décisions de la caisse.

3.1. Le principe d’autonomie et ses conséquences.

Le principe de l’autonomie du droit du travail par rapport au droit de la Sécurité sociale a pour conséquence que les juridictions du travail ne sont pas tenues par les décisions des caisses primaires d’assurance maladie lorsqu’elles ont à statuer sur la question de savoir si un accident ou une maladie a ou non une origine professionnelle connue de l’employeur.

Les dispositions du Code du travail sont autonomes par rapport au droit de la Sécurité sociale et il appartient aux juges du fond de rechercher eux-mêmes l’existence du lien de causalité entre l’origine professionnelle de l’affection et l’activité du salarié [11].

L’application des dispositions protectrices du Code du travail n’est pas subordonnée à l’accomplissement des formalités de déclaration de l’accident du travail à la caisse primaire d’assurance maladie [12].

3.2. La portée limitée des décisions de reconnaissance.

Le fait que l’arrêt de travail du salarié ait été pris en charge par la Sécurité sociale au titre des accidents du travail n’est pas de nature à constituer à lui seul la preuve, qu’il appartient à l’intéressé d’apporter en cas de contestation, du lien de causalité entre cet arrêt de travail et un accident de travail antérieur [13].

Toutefois, lorsque la caisse primaire d’assurance maladie a reconnu une maladie professionnelle ou un accident du travail par une décision non remise en cause, cette décision s’impose au juge prud’homal pour l’application des règles protectrices des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles [14].

Le juge doit simplement se prononcer sur le lien de causalité entre cet accident ou cette maladie et l’inaptitude, et sur la connaissance par l’employeur de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie.

3.3. L’effet du refus de prise en charge.

Le refus de prise en charge de la caisse ne suffit pas pour écarter la connaissance par l’employeur de l’origine professionnelle de l’accident ou de la maladie.

Les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’employeur a connaissance de l’origine professionnelle de la maladie ou de l’accident, alors même qu’au jour du licenciement, l’employeur était informé d’un refus de prise en charge par la Sécurité sociale au titre du régime des accidents du travail ou des maladies professionnelles [15].

La reconnaissance par le juge de l’origine professionnelle de l’inaptitude du salarié et de la connaissance par l’employeur de cette origine n’est pas subordonnée à la prise en charge par la caisse de Sécurité sociale de l’affection du salarié au titre des risques professionnels [16].

4. L’application des principes à l’espèce du 10 septembre 2025.

4.1. Les faits de l’espèce.

Un salarié avait adressé le 9 octobre 2018 une déclaration de maladie professionnelle à sa caisse primaire d’assurance maladie pour une sciatique par hernie discale.

La caisse avait, dans une décision du 6 septembre 2019, refusé la prise en charge de cette maladie au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le médecin du travail avait déclaré le salarié inapte le 3 août 2020 à l’occasion d’une visite de reprise, et l’employeur l’avait licencié le 9 octobre 2020 pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.

Le salarié soutenait que son employeur avait connaissance de l’origine professionnelle de sa maladie puisqu’il avait été informé de la demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle, la décision de refus de prise en charge lui ayant été notifiée le 9 septembre 2019.

4.2. La solution retenue par les juges.

La cour d’appel a débouté le salarié en constatant que l’employeur n’avait pas été informé du recours formé contre la décision de refus de prise en charge par la caisse de la pathologie du salarié au titre d’une maladie professionnelle.

Elle a également relevé qu’aucun des avis du médecin du travail ne faisait référence à une maladie professionnelle.

Pour la cour d’appel, il n’était pas établi que l’employeur ait été informé, après la décision de refus de la caisse, d’un lien même partiel entre la hernie discale du salarié et son activité professionnelle, de sorte que l’employeur n’avait pas connaissance de l’origine professionnelle de l’inaptitude au moment du licenciement.

La Cour de cassation a confirmé cette solution, considérant que le salarié ne bénéficiait pas de la protection offerte par la maladie professionnelle en matière de licenciement.

Cette décision constitue le pendant symétrique de l’arrêt du 18 septembre 2024 qui impose au juge prud’homal la décision de reconnaissance d’une maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie [17].

Dans cette affaire, il s’agissait à l’inverse d’une décision de non-reconnaissance de la maladie professionnelle par la caisse, dont l’employeur ignorait qu’elle était contestée, les juges ayant donc recherché si l’employeur avait connaissance de l’origine professionnelle de la maladie, qui en l’occurrence n’était pas établie.

Xavier Berjot,
Avocat Associé au barreau de Paris,
Sancy Avocats.
xberjot chez sancy-avocats.com
https://bit.ly/sancy-avocats
LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

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Notes de l'article:

[1Cass. soc. 12-6-2024, n° 22-22.276 / Cass. soc. 10-7-2002, n° 00-40.436.

[2Cass. soc. 5-5-2021, n° 20-13.551 / Cass. soc. 13-4-2023, n° 22-10.758.

[3Cass. soc. 1-3-1989, n° 86-41.673 / Cass. soc. 22-10-2015, n° 14-16.241.

[4Cass. soc. 18-2-2015, n° 13-19.973.

[5Cass. soc. 18-10-1989, n° 85-41.935 / Cass. soc. 19-3-2008, n° 06-45.994.

[6Cass. soc. 7-5-2024, n° 22-10.905 / Cass. soc. 18-9-2024, n° 22-24.703.

[7Cass. soc. 19-3-2008, n° 06-45.994.

[8Cass. soc. 3-3-1994, n° 89-44.974 / Cass. soc. 10-7-2002, n° 00-44.796.

[9Cass. soc. 17-1-2006, n° 04-41.754.

[10Cass. soc. 29-6-2011, n° 10-11.699.

[11Cass. soc. 23-5-1996, n° 93-41.940 / Cass. soc. 28-4-2011, n° 09-43.550.

[12Cass. soc. 30-9-1992, n° 89-40.453 / Cass. soc. 16-2-1999, n° 96-45.351.

[13Cass. soc. 31-3-1993, n° 89-40.711.

[14Cass. soc. 18-9-2024, n° 22-22.782.

[15Cass. soc. 29-6-2011, n° 10-11.699.

[16Cass. soc. 19-3-2008, n° 06-45.817.

[17Cass. soc. 18-9-2024, n° 22-22.782.

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