Commande publique : limiter le nombre de lots attribués à un même opérateur, un outil stratégique mais à manier avec précaution.

Par Laurent Thibault Montet, Docteur en droit.

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L'allotissement est la règle en commande publique, permettant une attribution de marchés en lots séparés. Des exceptions existent pour limiter les lots attribuables à un même opérateur, selon le Code de la commande publique et la jurisprudence. Cela favorise la concurrence tout en préservant la diversité des fournisseurs.
Description rédigée par l'IA du Village

La limitation du nombre de lots attribuables à un même opérateur est un outil important de la commande publique. Inscrite à l’article L2113-10 du Code de la commande publique et consacrée par la jurisprudence, de Biomnis (2013) à Pampelonne (2025), elle permet de diversifier les titulaires, d’ouvrir l’accès aux PME et de sécuriser les approvisionnements. Mais son efficacité suppose une mise en œuvre rigoureuse : clauses précises, mécanismes de cascade transparents, seuils chiffrés de sauvegarde et prévention des ententes anticoncurrentielles. Entre stratégie concurrentielle et efficacité économique, cette règle apparaît comme un levier d’achat à la fois technique et politique, au service d’une commande publique plus équitable et plus résiliente.

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L’allotissement est la règle en commande publique. Par conséquent, les marchés doivent être passés en lots séparés, sauf exceptions strictement définies à l’article L2113-11 du Code de la Commande publique (CCP) [1] mais une question persiste : un opérateur peut-il se voir obligatoirement attribuer tous les lots ?

Le Code de la commande publique [2] et la jurisprudence [3] du Conseil d’État ont progressivement clarifié la réponse. L’acheteur peut limiter le nombre de lots attribuables ou même le nombre de lots pour lesquels une offre peut être déposée, sous réserve de transparence, justification et proportionnalité.

Cependant, si cet outil constitue un levier stratégique pour favoriser la concurrence, il comporte aussi des risques économiques (hausse des coûts, ententes).

I. Le cadre juridique et jurisprudentiel de la limitation du cumul de lots.

La limitation du nombre de lots attribuables à un même opérateur ne peut se concevoir sans un ancrage juridique solide et une lecture fine de la jurisprudence. Longtemps incertaine, cette faculté a été encadrée progressivement par le législateur et par le juge administratif. D’un côté, le Code de la commande publique fixe désormais une base légale claire, en autorisant explicitement l’acheteur à restreindre le nombre de lots présentés ou attribués. De l’autre, le Conseil d’État a apporté une interprétation déterminante. Dans un premier temps, en matière de marchés publics, avec l’arrêt Biomnis de 2013. Dans un second temps, en matière de concessions, avec l’arrêt Pampelonne de 2025. L’étude de ces deux sources éclaire les conditions et les limites d’un tel dispositif.

La faculté de limiter le nombre de lots attribuables à un même opérateur économique repose désormais sur un fondement textuel explicite. Il s’agit de l’article L2113-10 du Code de la commande publique dispose que « L’acheteur peut limiter le nombre de lots pour lesquels un même opérateur économique peut présenter une offre ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique ».

Cette disposition, issue de l’ordonnance n°2018-1074 du 26 novembre 2018 et consolidée par la loi n°2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, consacre une possibilité qui jusque-là n’était admise que par voie jurisprudentielle [4]. Ainsi, il est offert aux acheteurs publics une base légale solide pour encadrer le cumul des lots, en conciliant la logique d’allotissement avec la nécessité d’éviter une trop forte concentration entre les mains d’un seul opérateur.

1. Une articulation avec les règles relatives aux offres variables.

Le principe posé par l’article L2151-1 du CCP interdit, en cas d’allotissement, aux opérateurs économiques de présenter des offres variables [5] selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus. Autrement dit, un candidat ne peut conditionner son prix global ou proposer un rabais en fonction du nombre de lots qu’il remporterait.

Toutefois, une dérogation [6] est prévue pour les entités adjudicatrices lorsqu’elles lancent une procédure de passation qui atteint un seuil fixé par l’article D2151-7-1 du CCP, c’est à dire 10 millions d’euros HT. En effet, dans ce seul cas, les entités adjudicatrices [7] peuvent autoriser la présentation d’offres variables. Ce mécanisme vise à tenir compte des économies d’échelle [8] qu’un opérateur peut réaliser s’il exécute plusieurs lots.

Ainsi, dans une certaine mesure, la combinaison entre limitation du nombre de lots et possibilité de formuler des offres variables peut contribuer à un équilibre recherché par le droit de la commande publique. En effet, d’un côté, la limitation du nombre de lots attribuables [9] permet de préserver la diversité des titulaires et d’éviter une concentration excessive des marchés entre les mains d’un seul opérateur, renforçant ainsi la concurrence et la résilience de l’approvisionnement.
Cette dernière locution, « La résilience de l’approvisionnement », désigne la capacité d’une organisation publique à assurer la continuité et la fiabilité de ses approvisionnements, même en cas de difficulté affectant un ou plusieurs titulaires de marché. En effet, lorsque tous les lots d’un marché sont attribués à un seul opérateur, l’acheteur devient dépendant de lui. Par conséquent, si cet opérateur connaît un problème (défaillance financière, difficultés techniques, grève, rupture de stock, etc.), l’ensemble de l’exécution est compromis. Cela dit en passant, cette configuration peut également créer une dépendance (plus mou moins forte) de l’opérateur vis-à-vis de l’acheteur voire conditionner sa santé financière aux délais de paiement et appauvrir sont effort créatif socle d’une dynamique concurrentielle. Ainsi, si l’acheteur limite le nombre de lots attribués à un même opérateur, il diversifie ses fournisseurs. Cette diversification accroît la résilience en cas de défaillance d’un titulaire, les autres continuent d’assurer leurs prestations, réduisant l’impact global sur le service public.

En outre, la faculté d’autoriser des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus [10], bien que strictement encadrée et réservée aux seules entités adjudicatrices pour les marchés atteignant le seuil de 10 millions d’euros HT, permet d’intégrer une logique économique de mutualisation. Elle tient compte des économies d’échelle qu’un opérateur peut réaliser en exécutant plusieurs lots, par exemple en rationalisant ses coûts de structure, en optimisant la mobilisation de ses équipes ou en amortissant ses investissements logistiques et matériels. Néanmoins, il convient de souligner que cette faculté reste exceptionnelle et ne bénéficie pas aux pouvoirs adjudicateurs, qui demeurent soumis à l’interdiction générale des offres variables. L’équilibre opéré par le Code de la commande publique repose donc sur une ligne de partage consistant pour les pouvoirs adjudicateurs, de ne pouvoir utiliser que la limitation du cumul de lots sans compensation par des offres variables ; alors que les entités adjudicatrices, lorsque l’achat atteint le seuil fixé, elles peuvent intégrer la combinaison des deux outils afin d’optimiser l’articulation concurrence/efficacité économique.

2. Les garanties exigées.

La mise en œuvre d’une limitation du nombre de lots attribuables ne peut se concevoir que dans le respect de plusieurs garanties essentielles, qui conditionnent sa légalité comme sa légitimité.

En premier lieu, l’acheteur doit veiller à ce que la règle soit clairement annoncée dans les documents de la consultation. Cet impératif de transparence constitue une exigence cardinale car il ne saurait être question que les candidats découvrent a posteriori une contrainte qui influe directement sur leur stratégie d’offre. Dès lors, le règlement de consultation, voire l’avis d’appel à la concurrence, doivent donc indiquer sans ambiguïté le nombre maximal de lots qu’un opérateur peut obtenir et les modalités de redistribution en cas de dépassement.

En second lieu, cette limitation doit être justifiée par des motifs objectifs et en lien direct avec l’objet du marché. La sécurité de l’approvisionnement pourrait constituer un premier fondement, dans la mesure où en diversifiant les titulaires, l’acheteur réduit sa dépendance à un seul opérateur et renforce la résilience de l’exécution en cas de défaillance. Dans ce même ordre d’idée, la diversité concurrentielle pourrait être un autre motif objectif ayant pour finalité de limiter le cumul des lots afin d’élargir l’accès à la commande publique et de garantir la présence de plusieurs acteurs sur le marché, ce qui évite un effet de concentration nuisible à la dynamique concurrentielle.

Enfin, l’équilibre économique global du marché justifie aussi cette pratique. En effet, il s’agit de prévenir le risque d’une domination excessive d’un opérateur qui, à terme, pourrait fragiliser l’efficacité et la soutenabilité de la commande publique.

En tout état de cause, la limitation doit demeurer proportionnée. À ce titre, l’acheteur ne peut édicter une règle si restrictive qu’elle reviendrait à exclure artificiellement certains candidats ou à priver la collectivité de l’offre économiquement la plus avantageuse. L’impératif de proportionnalité impose de calibrer la limitation en tenant compte de la nature des prestations, du nombre de lots, de la taille du secteur économique concerné et des capacités réelles des entreprises. Ainsi, le texte codifié ne se contente pas d’autoriser une pratique déjà reconnue par le juge, il en fixe également le cadre et l’articule avec le régime spécifique des offres variables.

Cette articulation permet d’assurer un équilibre subtil entre, d’un côté, l’efficacité économique recherchée à travers la possibilité d’optimiser les coûts par des offres variables dans certains cas limités, et de l’autre, l’ouverture de la commande publique et la garantie d’une concurrence effective par la limitation du nombre de lots attribuables à un même opérateur.

B. L’apport de la jurisprudence du Conseil d’État.

La jurisprudence du Conseil d’État a joué un rôle décisif dans la construction et la sécurisation du régime de la limitation du nombre de lots attribuables. Elle a d’abord ouvert la voie en matière de marchés publics, avant d’étendre le raisonnement aux concessions, là où le Code de la commande publique était resté silencieux.

1. Le premier jalon.

L’arrêt du Conseil d’État en date du 20 février 2013, « Société Laboratoire Biomnis », (n°363656) constitue le premier jalon. En l’espèce, le ministère de la Justice avait lancé un marché divisé en trois lots géographiques pour l’analyse de prélèvements biologiques, en prévoyant qu’un même soumissionnaire ne pourrait obtenir plus d’un lot. Le juge des référés du tribunal administratif avait annulé la procédure au motif que cette restriction constituait un critère de jugement irrégulier au sens de l’article 53 du Code des marchés publics (actuellement abrogé). Le Conseil d’État a censuré ce raisonnement en affirmant que la limitation du nombre de lots ne constitue pas un critère de jugement [11], mais bien une modalité d’attribution [12] relevant de l’allotissement.

En d’autres termes, cette règle n’intervient pas dans le processus d’évaluation des offres mais dans la répartition finale des lots, et elle est donc parfaitement licite dès lors qu’elle est annoncée dans les documents de la consultation et qu’elle repose sur des justifications objectives, telles que la préservation de la concurrence ou la sécurité des approvisionnements. Cette décision a eu un effet fondateur car elle a légitimé une pratique des acheteurs jusque-là incertaine et l’a replacée dans une logique cohérente avec le principe même d’allotissement.

2. L’extension du dispositif aux contrats de concession.

La jurisprudence a ensuite franchi une étape supplémentaire avec l’arrêt du Conseil d’État en date du 15 juillet 2025, « Commune de Ramatuelle dit “Pampelonne” », (n° 490592) rendu à propos de la concession du service public balnéaire sur la célèbre plage varoise. Dans cette affaire, la commune avait limité le nombre de lots pour lesquels les candidats pouvaient déposer une offre. Or, le Code de la commande publique ne contient aucune disposition équivalente à l’article L2113-10 pour les concessions. La question était donc de savoir si, en l’absence de base textuelle, une telle règle pouvait être légalement posée. Le Conseil d’État a confirmé la faculté pour l’autorité concédante, au nom de la liberté d’organisation de sa procédure, de pouvoir limiter le nombre de lots offerts ou attribués, à condition que la règle soit annoncée clairement dès la consultation, qu’elle soit justifiée par l’objet de la concession ou les nécessités propres du service public délégué, et qu’elle demeure proportionnée. En l’espèce, la limitation à deux lots par candidat visait à préserver l’équilibre concurrentiel et à faciliter l’analyse des offres, ce que le Conseil d’État a jugé conforme aux principes d’égalité de traitement, de transparence et de liberté d’accès.

Ainsi, la jurisprudence « Biomnis » (février 2013) et « Pampelonne » (juillet 2025), bien qu’intervenues dans des contextes distincts (marchés publics d’un côté, concessions de l’autre), dessinent un cadre convergent. La limitation du cumul des lots est une mesure possible, mais elle n’est jamais absolue. Elle ne saurait être mise en œuvre qu’en respectant des conditions de transparence, de justification objective et de proportionnalité.

Le Conseil d’État a ainsi apporté une double contribution. D’abord, il a légitimé la pratique dans le champ des marchés publics, en l’inscrivant dans la logique de l’allotissement. Puis, il l’a étendue aux concessions, démontrant que le silence du texte ne faisait pas obstacle à une telle faculté, dès lors qu’elle se rattache aux grands principes de la commande publique.

II. Les conditions pratiques de mise en œuvre et les outils pour les acheteurs.

Si le cadre légal et jurisprudentiel autorise désormais clairement la limitation du nombre de lots attribuables, encore faut-il savoir comment en assurer une application concrète et sécurisée.

La question n’est plus celle de la licéité du dispositif, mais de ses conditions pratiques de mise en œuvre. Celles-ci impliquent un double effort de la part de l’acheteur. D’une part, respecter les principes de transparence, de justification et de proportionnalité qui conditionnent la validité de la clause. D’autre part, se doter d’outils opérationnels (clauses adaptées, mécanismes de cascade, garde-fous contre l’arbitraire ou les ententes, etc.) permettant de concilier la diversité concurrentielle avec l’efficacité économique.

C’est dans cette perspective que doivent être envisagées les modalités d’application du dispositif et les instruments à la disposition des acheteurs publics.

A. Principes de légalité et limites économiques.

La limitation du nombre de lots attribuables n’est juridiquement possible qu’à la condition de respecter trois exigences fondamentales. La première est celle de la transparence. La règle doit être annoncée de manière claire et cohérente, tant dans l’avis d’appel public à la concurrence que dans le règlement de consultation. Une divergence ou une ambiguïté entre ces deux documents peut créer un contentieux, à moins que l’incohérence ne soit aisément détectable par un candidat attentif, comme l’a rappelé la jurisprudence. La deuxième exigence est celle de la justification. En effet, l’acheteur doit être en mesure d’expliquer pourquoi il choisit de limiter le cumul des lots, qu’il s’agisse de garantir la diversité des titulaires, de sécuriser l’exécution en réduisant la dépendance à un seul opérateur, ou encore de faciliter l’analyse et le suivi des offres. La troisième exigence est celle de la proportionnalité. Autrement dit, la limitation doit rester adaptée à l’objet et aux besoins du marché. Elle ne peut avoir pour effet d’écarter artificiellement des opérateurs compétents ou de priver l’acheteur d’une offre économiquement et techniquement avantageuse.

Ces conditions juridiques, si elles sécurisent le dispositif, n’en gomment pas pour autant les risques économiques qui peuvent en résulter.

Le premier risque tient à l’impact potentiel sur le coût et la qualité. C’est-à-dire que lorsque la règle de limitation est appliquée en cascade, un lot initialement remporté par le candidat le mieux classé peut revenir à un candidat classé deuxième ou troisième. Si l’écart de prix ou de qualité entre ces offres est important, l’acheteur se trouve confronté à une perte économique ou qualitative non négligeable. Pour limiter ce risque, il est possible d’intégrer dans le règlement de consultation des seuils chiffrés déclenchant automatiquement une dérogation à la règle de limitation. Par exemple, si l’écart de prix dépasse 15% ou si la note technique diffère de plus de dix points sur cent, l’attribution du lot peut malgré tout être confirmée au candidat premier classé. Ce mécanisme, fondé sur des seuils objectifs, permet de concilier la préservation de la concurrence et l’optimisation de la dépense publique sans ouvrir la porte à l’arbitraire.

Le second risque est celui de l’entente anticoncurrentielle. En limitant le nombre de lots attribuables, l’acheteur peut involontairement inciter les opérateurs économiques à se répartir le marché, chacun concentrant son offre sur un lot distinct afin d’éviter la concurrence frontale. Ce type de comportement constitue une entente prohibée par le Code de commerce et le droit européen de la concurrence, et il expose les entreprises concernées à des sanctions lourdes. Pour se prémunir contre ce risque, l’acheteur peut insérer dans les documents de la consultation une clause d’avertissement rappelant l’interdiction des pratiques concertées et précisant que toute suspicion d’entente pourra conduire à l’exclusion des offres et, le cas échéant, à une saisine de l’Autorité de la concurrence. Il peut également interdire les offres conditionnelles du type « je ne maintiens mon offre que si je n’obtiens pas tel autre lot », qui sont particulièrement propices aux stratégies de répartition artificielle.

Concrètement, si la limitation du cumul des lots répond à une logique de bonne gestion et d’ouverture de la commande publique, elle doit être mise en œuvre avec prudence. La sécurité juridique suppose le respect des principes de transparence, de justification et de proportionnalité, tandis que la sécurité économique impose d’encadrer les effets de la cascade et de prévenir les comportements collusoires. C’est à cette condition que l’acheteur peut transformer cet outil en véritable levier stratégique, au service d’une commande publique à la fois concurrentielle et efficiente.

B. Outils pratiques : variantes de clauses types.

Si les principes de légalité fixent le cadre dans lequel la limitation du cumul des lots peut s’exercer, encore faut-il donner aux acheteurs les moyens concrets de l’appliquer. L’efficacité du dispositif repose en grande partie sur la qualité des clauses insérées dans les documents de la consultation. Celles-ci doivent traduire, de manière claire et opérationnelle, les choix de l’acheteur, c’est-à-dire le nombre maximal de lots attribuables, les modalités de départage en cas de classement multiple, les mécanismes de cascade et, le cas échéant, clauses de sauvegarde pour éviter des effets économiques indésirables. La rédaction de ces stipulations est décisive car si elle est trop vague, elle ouvre la voie à l’arbitraire et au contentieux ; Si trop rigide, elle peut priver la collectivité de la meilleure offre.

D’où l’intérêt de proposer des variantes de clauses types, adaptées aux marchés publics (et accord-cadre) comme aux concessions, permettant aux acheteurs de sécuriser leurs procédures tout en conservant une marge d’efficacité économique.

1. Marchés publics.

Dans le champ des marchés publics, la rédaction d’une clause limitant le nombre de lots attribuables doit concilier deux impératifs : garantir la transparence et l’égalité de traitement entre les candidats, tout en offrant à l’acheteur des garanties suffisantes contre les effets pervers du dispositif. La clause proposée répond à cet objectif. Elle précise d’abord la règle de limitation en indiquant explicitement le nombre maximum de lots qu’un même candidat peut obtenir. Elle organise ensuite un mécanisme de choix prioritaire pour le candidat classé premier sur plusieurs lots, assorti d’un délai de réponse qui évite tout blocage de la procédure. Enfin, elle prévoit un système de cascade permettant d’attribuer les lots restants aux candidats suivants, ainsi qu’une clause de sauvegarde chiffrée destinée à prévenir une dégradation excessive du coût ou de la qualité. Ce triple encadrement (limitation, cascade, sauvegarde) assure à la fois la sécurité juridique et l’efficacité économique du dispositif :

« Chaque candidat peut présenter une offre pour un ou plusieurs lots. Toutefois, conformément aux dispositions du Code de la commande publique, un même candidat ne pourra se voir attribuer plus de X lot(s).
Dans l’hypothèse où un candidat serait classé premier sur plusieurs lots, il lui sera notifié de choisir, dans un délai de 48 heures, le lot pour lequel il souhaite être attributaire. À défaut de réponse, l’attribution se fera automatiquement sur le lot prioritaire défini par l’acheteur (ordre précisé dans le RC).
Les lots restants seront attribués, en cascade, aux candidats classés 2e puis 3e. En cas de pluralité, la même procédure sera appliquée successivement.
Si, après application de ce mécanisme, certains lots demeurent sans attributaire, l’acheteur pourra soit les attribuer au mieux classé restant dans le podium, soit déclarer ces lots sans suite et relancer une procédure.
Par dérogation, lorsque l’écart entre l’offre du 1er et celle du 2e est supérieur à 15% en prix ou à 10 points en note technique, l’acheteur attribuera le lot supplémentaire au candidat classé 1er
 ».

L’ajout d’une dérogation fondée sur des seuils objectifs [13] constitue une véritable clause de sauvegarde. Elle vise à éviter que l’application mécanique de la règle de limitation ne produise des effets économiquement défavorables pour l’acheteur. En pratique, lorsque l’offre du candidat classé premier est nettement plus avantageuse que celle du deuxième, tant sur le plan financier que qualitatif, l’écarter au seul motif de la limitation reviendrait à pénaliser la collectivité.

Le choix de seuils chiffrés [14] permet d’objectiver la décision. L’attribution d’un lot supplémentaire au premier candidat n’est plus le fruit d’un arbitraire [15] mais d’un pouvoir discrétionnaire [16] de l’acheteur, résultat d’un mécanisme prédéfini et transparent, connu de tous les candidats dès le lancement de la procédure.

Cette clause présente donc un double intérêt : elle sécurise juridiquement le dispositif en proscrivant tout arbitraire et elle préserve l’efficacité [17] économique de la commande publique, en garantissant que l’offre la plus performante n’est pas sacrifiée à une logique concurrentielle excessive.

2. Concessions.

Dans le domaine des concessions, la question de la limitation du nombre de lots attribuables présente une spécificité particulière. Contrairement aux marchés publics (ou accord-cadre), le Code de la commande publique ne comporte pas de disposition équivalente à l’article L2113-10 permettant expressément à l’autorité concédante de restreindre le cumul des lots. C’est donc la décision du Conseil d’Etat en date du 15 juillet 2025, « Pampelonne » qui est venue combler ce silence, en validant la possibilité de poser une telle règle dès lors qu’elle est annoncée dans les documents de la consultation, justifiée par l’objet de la concession ou les besoins du service public, et proportionnée. La clause type proposée s’inscrit dans ce sillage : elle traduit de manière opérationnelle cette faculté en précisant la limite fixée par l’autorité concédante, les modalités de choix offertes au candidat classé premier sur plusieurs lots, le mécanisme de cascade pour les lots restants, ainsi qu’une clause de sauvegarde chiffrée destinée à prévenir toute dégradation excessive du coût ou de la qualité. Elle vise ainsi à concilier la préservation de la diversité concurrentielle et l’efficacité économique du service public concédé.

« Chaque candidat peut présenter une offre pour un ou plusieurs lots de concession. Toutefois, afin de préserver la diversité concurrentielle et de garantir la qualité du service public, un même candidat ne pourra se voir attribuer plus de X lot(s).
Si un candidat est classé premier sur plusieurs lots, il sera invité à choisir, dans un délai de 48 heures, le lot qu’il souhaite se voir attribuer. À défaut, l’autorité concédante procédera à l’attribution sur le lot jugé prioritaire au regard de l’intérêt du service public.
Les autres lots seront attribués en cascade aux candidats classés 2e puis 3e. En cas de pluralité, la même procédure sera appliquée successivement.
Si certains lots demeurent non attribués, ils pourront être confiés au mieux classé restant dans le podium, ou déclarés infructueux et relancés.
Par exception, si l’application stricte de la règle conduit à un écart objectif supérieur à 15% en prix ou à 10 points en note technique, le lot concerné sera attribué au candidat 1er classé
 ».

En tout état de cause, la limitation du cumul de lots est solidement fondée dans le Code de la commande publique [18] et enrichie par la décision du Coneil d’Etat du 15 juillet 2025, « Commune de Ramatuelle dit “Pampelonne” », (n° 490592). Elle s’affirme comme un outil stratégique, capable de favoriser l’accès des PME, de garantir la diversité des titulaires et de renforcer la sécurisation des approvisionnements. Mais son efficacité suppose un usage mesuré et rigoureux consolidé par la transparence des règles, la proportionnalité des limitations, les mécanismes de cascade encadrés et les garde-fous contre les ententes anticoncurrentielles.

L’enjeu n’est pas seulement de répartir les lots de manière équilibrée car il s’inscrit plus largement dans une politique publique d’ouverture de la commande aux petites et moyennes entreprises à l’instar de l’article R2171-23 [19] du CCP, qui impose qu’une part minimale de 20% de l’exécution des marchés globaux [20] soit confiée à des PME ou à des artisans lorsque le titulaire n’en est pas lui-même une. Cette exigence réglementaire témoigne d’une orientation claire qui est que la commande publique doit être un levier de structuration du tissu économique, en particulier dans les territoires où les grandes entreprises peuvent rapidement occuper une position dominante.

Dès lors, la limitation du cumul de lots peut être lue comme le pendant naturel de cette exigence de répartition dans la mesure où elle empêche (autant que faire se peut) la concentration excessive des marchés et vise à favoriser un partage équitable des opportunités. À l’avenir, la convergence entre ces deux mécanismes (limitation des lots et part réservée aux PME) pourrait être renforcée par des ajustements législatifs ou jurisprudentiels, de manière à offrir aux acheteurs un véritable arsenal de régulation concurrentielle.

Dans un contexte où la commande publique est appelée à conjuguer efficacité économique, soutien aux acteurs locaux et responsabilité sociale, la limitation du cumul des lots ne doit pas être envisagée comme une contrainte, mais comme une opportunité stratégique si elle permet de réinventer l’allotissement pour en faire un vecteur d’innovation, de résilience et de justice économique.

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Notes de l'article:

[1Article L2113-11 Ccp : « L’acheteur peut décider de ne pas allotir un marché dans l’un des cas suivants : 1° Il n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ; 2° La dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations ; 3° Pour les entités adjudicatrices, lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse. Lorsqu’un acheteur décide de ne pas allotir le marché, il motive son choix en énonçant les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de sa décision ».

[2Article L2113-10.

[3Décision du Conseil d’État du 15 juillet 2025, n°490592 ; Décision du Conseil d’État du 20 février 2013, n°363656.

[4CE, n°363656, 20 févr. 2013, Biomnis.

[5On entend par « offres variables » les propositions commerciales par lesquelles un opérateur économique présente des prix ou des conditions différents selon le nombre de lots qu’il est susceptible d’obtenir. En principe interdites en cas d’allotissement (art. L2151-1 CCP), elles sont exceptionnellement autorisées pour les entités adjudicatrices lorsque le marché atteint un seuil de 10 millions d’euros HT (art. L2151-1 et D2151-7-1 CCP).

[6Art. L2151-1 et D2151-7-1 CCP.

[7Les entités adjudicatrices (Art. L1212-1 à L1212-4 CCP) sont des personnes morales de droit public ou privé qui exercent une activité d’opérateur de réseaux (eau, énergie, transports, services postaux, etc.) ou qui répondent à des besoins d’intérêt général dans des secteurs spéciaux. Elles sont soumises à un régime spécifique du Code de la commande publique, distinct de celui applicable aux pouvoirs adjudicateurs, et bénéficient de certaines dérogations, notamment en matière d’offres variables.

[8Production ou d’exécution obtenue lorsqu’un opérateur réalise une activité sur une plus grande échelle (ex. plusieurs lots ou un volume accru). En commande publique, elles expliquent qu’un même opérateur puisse proposer un prix plus bas s’il obtient plusieurs lots, en mutualisant ses moyens techniques, humains ou logistiques.

[9Art. L2113-10 CCP.

[10Art. L2151-1 et D2151-7-1 CCP.

[11Un critère de jugement des offres est un élément objectif fixé par l’acheteur public pour évaluer et comparer les offres des candidats, en vue d’identifier l’offre économiquement la plus avantageuse (ex. prix, valeur technique, performance environnementale). Il se distingue des simples modalités d’attribution. Les critères participent à l’analyse des offres, tandis que les modalités encadrent leur répartition finale.

[12Une modalité d’attribution désigne une règle organisationnelle fixée par l’acheteur pour encadrer la répartition finale des lots ou la procédure de désignation des titulaires. Contrairement aux critères de jugement, elle n’intervient pas dans l’évaluation des offres, mais détermine les conditions selon lesquelles les résultats du classement seront traduits en attributions concrètes (ex. limitation du nombre de lots par candidat, règles de cascade).

[13« Par dérogation, lorsque l’écart entre l’offre du 1er et celle du 2e est supérieur à 15% en prix ou à 10 points en note technique, l’acheteur attribuera le lot supplémentaire au candidat classé 1er ».

[14Par exemple un écart de prix supérieur à 15% ou une différence de plus de 10 points sur la note technique.

[15L’arbitraire se définit comme une décision prise sans fondement objectif, ni critères préétablis, traduisant un choix personnel ou subjectif de l’autorité. En droit de la commande publique, il est prohibé car contraire aux principes de transparence, d’égalité de traitement et de sécurité juridique. L’arbitraire se distingue ainsi du pouvoir discrétionnaire : ce dernier suppose une liberté d’appréciation encadrée par la loi et par des critères annoncés à l’avance, alors que l’arbitraire relève d’une absence de règles et de contrôle.

[16Le pouvoir discrétionnaire désigne la faculté reconnue à l’administration de choisir librement entre plusieurs solutions légales pour satisfaire l’intérêt général. Contrairement au pouvoir lié, il laisse à l’autorité une marge d’appréciation. En commande publique, son exercice doit rester encadré par les principes de transparence, d’égalité de traitement et de non-discrimination, afin d’éviter toute décision arbitraire.

[17L’efficacité économique de la commande publique renvoie à la capacité de l’achat public à maximiser la valeur obtenue pour la collectivité, en conciliant la qualité des prestations, le coût global supporté par l’acheteur et la soutenabilité budgétaire. Elle implique non seulement la recherche du meilleur rapport qualité/prix, mais aussi l’optimisation des ressources publiques, la rationalisation des procédures et la prise en compte des externalités (innovation, développement durable, impact social).

[18Art. L2113-10 du CCP consécration de la décision du Conseil d’Etat du 20 février 2013, « Société Laboratoire Biomnis », n° 363656.

[19Art. R2171-23 CCP : « Si le titulaire d’un marché global n’est pas lui-même une petite ou moyenne entreprise ou un artisan, la part minimale qu’il s’engage à confier, directement ou indirectement, à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans, en application de l’article L2171-8, est fixée à 20% du montant prévisionnel du marché, sauf lorsque la structure économique du secteur concerné ne le permet pas ».

[20Les marchés globaux sont des contrats publics qui dérogent au principe d’allotissement en regroupant plusieurs prestations au sein d’un même marché (ex. conception-réalisation, marchés globaux de performance, marchés sectoriels). Autorisés par le Code de la commande publique (Art. L2171-1 et s.), ils visent à assurer une meilleure coordination technique ou une optimisation économique, mais doivent, en contrepartie, réserver une part minimale de leur exécution aux PME ou artisans lorsque le titulaire n’en est pas un (Art. R2171-23 CCP).

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