La loi du 16 juin 2025 visant à faciliter la transformation de bureaux en logements : analyse juridique et guide opérationnel.

Par Nicolas Maillard, Avocat.

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La loi "Daubié" de 2025 facilite la transformation de bureaux en logements, répondant à la vacance croissante des espaces de travail et au besoin de logements. Elle introduit des permis multi-destinations, des dérogations au PLU et des incitations fiscales, visant une reconversion immobilière durable et structurée.
Description rédigée par l'IA du Village

La loi n° 2025-541 du 16 juin 2025 refonde en profondeur les conditions juridiques de la transformation de bureaux en logements, introduisant des outils novateurs dont la portée pratique reste à préciser.
Le présent article propose une analyse juridique exhaustive de ces dispositifs, couplée à un guide opérationnel destiné aux praticiens, collectivités et porteurs de projets immobiliers.

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Introduction : un outil de réponse à une double crise immobilière.

La loi n° 2025-541 du 16 juin 2025 (Loi "Daubié") visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements, promulguée le 16 juin 2025 et publiée au Journal officiel le 17 juin 2025, est entrée en vigueur le 18 juin 2025, à l’exception de l’article 5 nécessitant un décret d’application.

Cette réforme doit constituer une réponse structurante à un paradoxe immobilier français caractérisé par une double tension.

D’une part, le développement du télétravail et le ralentissement de la croissance des emplois de bureau ont généré une augmentation significative du taux de vacance des bureaux. Le Consortium des bureaux de France estime qu’il y a plus de 9 millions de m² de bureaux immédiatement disponibles, dont 2 millions de m² vacants de manière durable.

D’autre part, le besoin annuel de création de logements s’élève à 370 000 unités pour répondre aux besoins démographiques et à la tension du marché immobilier résidentiel.

Force est de constater que les transformations de bureaux en logements demeurent marginales malgré ce potentiel considérable : seulement 5 300 logements créés annuellement entre 2013 et 2020.

Ce décalage entre le potentiel théorique et la réalité des opérations concrétisées révèle l’existence d’obstacles réglementaires, administratifs, juridiques et économiques que les dispositifs antérieurs n’ont pas suffisamment levés.

Le législateur, conscient de cette sous-exploitation du potentiel de reconversion, a conçu un dispositif ambitieux visant à lever ces obstacles. L’objectif affiché est double : transformer la donne pour mieux loger les Français et optimiser l’utilisation des bâtiments existants dans une logique d’urbanisme circulaire, c’est-à-dire « faire la ville sur la ville », valoriser les bâtis existants et accélérer la production de logements dans les zones tendues.

La loi s’adresse aussi bien aux porteurs de projet privés (promoteurs, investisseurs, bailleurs sociaux) qu’aux collectivités territoriales (communes, établissements publics de coopération intercommunale) et s’inscrit pleinement dans une dynamique d’urbanisme plus durable et efficace.

Elle apporte également des réponses et simplifications pour la réhabilitation du bâti en zone rurale, notamment le bâti vacant.

Si la proposition de loi initiale du député Romain Daubié, déposée en décembre 2023, se concentrait exclusivement sur les bureaux, son périmètre a été progressivement élargi au cours de l’examen parlementaire pour englober désormais « tout bâtiment de destination autre qu’habitation en bâtiment à destination d’habitation ».

Cette extension témoigne d’une volonté de maximiser le potentiel de reconversion du parc immobilier existant, qu’il s’agisse de bureaux, d’anciens bâtiments publics (écoles, casernes, hôpitaux), de locaux tertiaires, d’hôtels ou même de bâtiments agricoles désaffectés.

Cette approche extensive répond à une logique de valorisation maximale du patrimoine bâti existant et d’évitement de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, conformément aux objectifs de limitation de l’artificialisation des sols inscrits dans la loi Climat et Résilience du 22 août 2021.

I. Le permis de construire multi-destinations et multi-états : une innovation juridique majeure anticipant la réversibilité.

A. Le principe de réversibilité anticipée : destinations et états multiples.

Le permis multi-destinations peut être assorti d’un permis multi-états autorisant, pour une même construction, l’alternance de plusieurs destinations et, le cas échéant, de plusieurs états sur une durée pouvant aller jusqu’à vingt ans à compter de la délivrance du permis.

Pendant ces vingt années, les changements entre les destinations autorisées peuvent s’effectuer sans qu’une nouvelle formalité d’urbanisme ne soit requise, ce qui représente un gain considérable de formalités et de temps.

Les destinations autorisées : le permis doit mentionner explicitement les différentes destinations autorisées, par exemple bureaux, logements, équipements publics, commerce, artisanat. Les destinations sont celles définies par l’article R151-27 du code de l’urbanisme.

Les états successifs : le permis multi-états autorise les états successifs de la construction si les pièces fournies permettent de vérifier la conformité de ces états futurs du projet aux règles d’urbanisme applicables au moment de sa délivrance.

L’état initial de la construction se définit comme celui dans lequel il présente toutes les caractéristiques permettant son utilisation immédiatement après la délivrance du permis. Les états futurs correspondent aux caractéristiques qui assurent un usage conforme à sa destination ou son affectation envisagée dans les vingt ans de validité du permis.

Exemple pratique concret : un permis de construire pourrait autoriser la construction d’un immeuble de 12 mètres de hauteur à usage de bureaux (état initial), dont une partie pourrait ultérieurement être transformée en logements avec ajout de balcons en façade (état futur). L’état futur du permis porterait autorisation des travaux nécessaires à cette transformation, notamment les percements de façade et l’installation des balcons.

Un autre exemple pourrait concerner un immeuble comprenant des activités de bureaux, du logement et une crèche municipale, avec possibilité de faire évoluer la répartition des surfaces entre ces trois destinations pour tenir compte de l’évolution des besoins dans le quartier.

B. La stabilité juridique garantie : cristallisation des règles d’urbanisme.

La sécurité juridique du dispositif repose sur un principe fondamental : les modifications ultérieures des règles du plan local d’urbanisme relatives aux destinations demeurent sans incidence sur la validité du permis délivré pendant la période de vingt ans.

Cette cristallisation des règles d’urbanisme offre une prévisibilité juridique exceptionnelle pour les investisseurs : un permis multi-destinations délivré en 2025 autorise les changements entre destinations prévues jusqu’en 2045, quelles que soient les évolutions réglementaires intervenues entre-temps en matière de zonage ou de destinations autorisées.

Cette garantie de stabilité constitue un avantage compétitif majeur pour l’immobilier réversible et sécurise les investissements sur le long terme.

C. Un champ d’application territorialisé : la délimitation par les collectivités.

Le permis multi-destinations ne s’applique pas automatiquement sur l’ensemble du territoire national. Les secteurs où ces permis sont autorisés doivent être délimités par délibération de l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme.

Cette délimitation relève d’un choix politique et urbanistique stratégique des collectivités, qui identifient ainsi les zones où la réversibilité des usages est souhaitée : quartiers tertiaires, zones d’activités économiques, centres-villes, secteurs en mutation.

Lorsque l’établissement public de coopération intercommunale est compétent pour le plan local d’urbanisme, il recueille l’avis conforme du conseil municipal des communes concernées, garantissant ainsi le respect de l’autonomie communale.
Ces secteurs sont ensuite annexés au plan local d’urbanisme, assurant leur opposabilité et leur publicité.

Conseil pratique : les collectivités doivent anticiper la délimitation de ces secteurs lors de la prochaine révision ou modification de leur PLU. Une étude préalable identifiant les bâtiments tertiaires vacants, les zones d’activités économiques sous-occupées et les secteurs à enjeux de mixité fonctionnelle permettra de cibler les périmètres pertinents.

D. Les obligations déclaratives du propriétaire : la notification préalable obligatoire.

Le dispositif repose sur un équilibre entre flexibilité et contrôle. Tout changement de destination et d’état doit faire l’objet d’une notification préalable au maire (ou à l’autorité compétente en matière d’autorisation d’urbanisme si elle n’est pas le maire), au moins trois mois à l’avance, par le propriétaire.

Cette obligation de notification préalable constitue un point de vigilance majeur pour les praticiens : le délai de trois mois est impératif et conditionne la licéité du changement d’usage.

Cette notification permet à l’autorité administrative d’assurer un suivi effectif de l’utilisation des bâtiments sur son territoire et d’anticiper les besoins en équipements publics induits par les changements d’affectation (écoles, crèches, stationnement, espaces verts). Elle ne constitue toutefois pas une nouvelle autorisation : l’autorité compétente ne peut s’opposer au changement de destination dès lors qu’il est conforme au permis initialement délivré.

Conseil pratique : les propriétaires doivent mettre en place une procédure interne garantissant le respect de ce délai de notification. Un registre de suivi des changements prévus, avec alertes à trois mois et demi avant chaque transformation, permettra de sécuriser la conformité aux obligations déclaratives. La notification doit être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception et comporter les éléments suivants : identification du bien, référence du permis multi-destinations, destination initiale, destination future, date prévisionnelle du changement, et le cas échéant, description des travaux associés.

E. Les enjeux opérationnels de conception : anticiper la réversibilité dès l’origine.

La mise en œuvre du permis multi-destinations impose aux maîtres d’ouvrage et aux architectes concepteurs d’intégrer la réversibilité dès la phase de programmation et de conception. Cette anticipation se traduit par des choix architecturaux et techniques spécifiques visant à faciliter les transformations futures sans travaux structurels lourds.

Les critères de conception réversible :

  • Trame structurelle modulaire : adopter une trame de poteaux compatible avec différents usages (bureaux cloisonnables, logements avec pièces de dimensions standard).
  • Hauteur sous plafond généreuse : prévoir une hauteur minimale de 2,80 m (voire 3 m) pour permettre l’intégration de faux-plafonds techniques en configuration bureaux tout en conservant une hauteur d’habitation confortable une fois les faux-plafonds retirés.
  • Positionnement des noyaux techniques : centraliser les gaines techniques verticales et les circulations (escaliers, ascenseurs) pour libérer les plateaux périphériques et faciliter leur reconfiguration.
  • Dimensionnement des fluides et réseaux : surdimensionner les réseaux d’eau, d’électricité et de ventilation pour permettre une multiplication des points de puisage et de ventilation en configuration logements.
  • Préfiguration des percements de façade : identifier dès la conception les emplacements futurs des balcons, terrasses, fenêtres supplémentaires, et prévoir les renforts structurels nécessaires.
  • Isolation acoustique anticipée : prévoir une isolation acoustique entre niveaux compatible avec les exigences des logements (55 dB minimum), même en configuration bureaux initiale.

Conseil pratique : associer dès la phase d’esquisse un bureau d’études spécialisé en réversibilité pour élaborer une matrice de compatibilité des destinations envisagées et identifier les contraintes techniques à intégrer dès la conception. Cette démarche, certes coûteuse en phase amont, sécurise les transformations futures et évite des travaux lourds ultérieurs.

F. Le contenu documentaire du dossier de demande de permis multi-destinations (un lourd parcours).

Bien que les modalités d’application détaillées du permis multi-destinations doivent être définies par décret en Conseil d’État attendu pour l’année 2026, il est possible d’anticiper le contenu du dossier à partir de l’exigence légale de démonstration de la conformité de chaque état aux règles d’urbanisme.

Les pièces graphiques pour chaque état :

  • Plans de masse distincts : chaque état (initial et futurs) doit faire l’objet d’un plan de masse côté dans les trois dimensions, démontrant le respect des règles d’implantation, de prospect, de coefficient d’emprise au sol et de surfaces non imperméabilisées.
  • Plans des façades et toitures : les modifications architecturales entre états doivent être clairement identifiables. Si la transformation implique la création de balcons ou de nouvelles ouvertures, ces éléments doivent figurer sur les plans de l’état futur avec leurs dimensions, matériaux et aspects extérieurs.
  • Coupes transversales et longitudinales : les coupes doivent démontrer que chaque état respecte les règles de hauteur, de gabarit-enveloppe et de volumétrie, ainsi que les hauteurs sous plafond requises pour chaque destination.
  • Plans de niveaux pour chaque état : pour un permis multi-destinations bureaux/logements, les plans de niveaux de l’état initial montreront des plateaux de bureaux avec circulations, sanitaires collectifs et gaines techniques, tandis que les plans de l’état futur présenteront le découpage en logements.

Les notices explicatives :

  • Notice descriptive du projet : exposition des différentes destinations autorisées, logique de transformation d’un état à l’autre, modalités techniques de réversibilité. Elle doit préciser la destination initiale et, si l’autorité compétente le demande, justifier le choix de cette destination première.
  • Notice de conformité réglementaire : démonstration article par article de la conformité de chaque état aux règles d’urbanisme (implantation, hauteur, emprise au sol, aspect extérieur, stationnement, espaces verts).

Les études techniques spécifiques :

  • Étude de faisabilité structurelle : note technique démontrant que la structure porteuse permet les transformations envisagées, avec prise en compte des différences de surcharges d’exploitation entre destinations.
  • Étude de conformité aux normes d’accessibilité : pour chaque état et chaque destination, démonstration de la conformité aux règles d’accessibilité aux personnes handicapées.
  • Étude de conformité à la réglementation incendie : notice de sécurité spécifique à chaque état, décrivant les moyens de secours, dégagements, désenfumage et résistance au feu.
  • Étude thermique et énergétique : attestations de prise en compte de la réglementation thermique (RE 2020 ou réglementation applicable aux travaux de rénovation) pour chaque état.

Conseil pratique : Présenter le dossier de manière pédagogique avec un tableau synoptique comparant les états selon les critères du PLU. Cette présentation facilite l’instruction par les services et réduit les risques de demandes de pièces complémentaires susceptibles de retarder l’instruction du dossier.

II. Les dérogations encadrées aux règles de destination du PLU : un assouplissement maîtrisé.

A. Le fondement juridique : l’article L152-6-5 du Code de l’urbanisme.

L’introduction du nouvel article L152-6-5 du Code de l’urbanisme constitue une avancée décisive en permettant à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire, le plus souvent le maire, de déroger de manière encadrée aux règles de destination fixées par le plan local d’urbanisme pour autoriser le changement de destination d’un bâtiment non résidentiel en bâtiment à destination principale d’habitation.

Cette dérogation s’applique non seulement aux opérations de transformation de bâtiments existants, mais également aux travaux et constructions d’extension ou de surélévation faisant l’objet d’une autorisation d’urbanisme.

Cette possibilité de dérogation répond à une difficulté récurrente : de nombreux plans locaux d’urbanisme ont institué des zonages spécialisés (zones dédiées aux activités économiques, zones tertiaires) dans lesquels la destination logement est interdite ou très limitée. Ces zonages, pertinents lors de leur conception, peuvent devenir obsolètes face à l’évolution des besoins et à la vacance de certains bâtiments. La dérogation permet d’adapter ponctuellement les règles du PLU sans nécessiter une procédure lourde de modification ou de révision du document d’urbanisme.

B. L’instruction de la demande : un système d’avis obligatoires modulé selon les configurations.

La mise en œuvre de la dérogation repose sur un système d’avis obligatoires dont la nature et le nombre varient selon la configuration institutionnelle et la localisation du projet, afin de conserver une cohérence en termes de planification urbaine et rurale.

1. L’avis conforme de l’autorité compétente en matière de PLU.

Lorsque l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme n’est pas la même que celle qui délivre l’autorisation d’urbanisme (c’est le cas, pour les PLUi), un avis conforme de l’autorité compétente en matière de PLU est requis.
Cette disposition vise à maintenir une cohérence d’ensemble : l’autorité qui a élaboré le document d’urbanisme conserve un pouvoir de contrôle sur les dérogations apportées à ses règles.

Sur le plan opérationnel, cet avis conforme signifie que l’autorité délivrant le permis ne peut passer outre un avis négatif.

Conseil pratique : solliciter un rendez-vous préalable avec les services de l’intercommunalité (lorsque celle-ci est compétente en matière de PLU) pour présenter le projet, recueillir les premières observations et identifier les éventuels points de blocage. Cette concertation informelle permet d’adapter le projet avant le dépôt formel et augmente significativement les chances d’obtention d’un avis favorable.

2. L’avis simple du maire en cas de délégation de compétence.

Si le maire a délégué sa compétence de délivrance des autorisations d’urbanisme au président de l’établissement public de coopération intercommunale, un avis simple du maire de la commune d’implantation est nécessaire.

Bien que simple et non conforme, cet avis participe de l’association de la commune à la décision et permet au maire d’exprimer sa position sur un projet ayant des implications directes sur son territoire.

3. Les avis conformes renforcés en zones agricoles, naturelles ou forestières.

En zones agricoles (A), naturelles (N) ou forestières du plan local d’urbanisme, le législateur a institué un double verrou protecteur. Des avis conformes de la Commission Départementale de la Préservation des Espaces Agricoles, Naturels et Forestiers (CDPENAF) et de la Commission Départementale de la Nature, des Paysages et des Sites (CDNPS) sont requis.

Les commissions examinent l’impact du projet sur les intérêts qu’elles protègent : préservation du potentiel agricole pour la CDPENAF, protection des paysages et maintien de la biodiversité pour la CDNPS.

Sur le plan pratique, l’obtention de ces avis conformes allonge significativement les délais d’instruction (généralement trois à quatre mois supplémentaires) et impose au pétitionnaire de démontrer que son projet ne porte pas atteinte aux intérêts protégés.

Conseil pratique : Constituer un dossier documentaire solide comprenant : une analyse paysagère démontrant l’insertion du projet dans son environnement, une étude écologique identifiant les enjeux de biodiversité et les mesures d’évitement/réduction/compensation, une justification de l’absence d’alternative en zone urbaine, et le cas échéant, les bénéfices en termes de limitation de l’étalement urbain.

4. La condition spécifique aux bâtiments agricoles ou forestiers.

Pour les bâtiments anciennement affectés à des activités agricoles ou forestières situés dans ces zones, la dérogation n’est autorisée qu’à la condition que le pétitionnaire démontre leur inutilisation agricole ou forestière depuis plus de vingt ans.
Moyens de preuve recommandés : photographies aériennes successives de l’IGN ou de Géoportail, témoignages d’exploitants agricoles voisins ou d’élus locaux, attestations de la chambre d’agriculture, relevés cadastraux historiques démontrant l’absence de déclaration PAC, constats d’huissier établissant l’état de délabrement ou d’abandon du bâtiment.

C. La motivation obligatoire du refus : les motifs légaux limitativement énumérés.

L’autorité compétente doit motiver tout refus d’autorisation de dérogation, par des motifs limitativement énumérés par la loi.

1. Les risques de nuisances pour les futurs occupants.

Le premier motif de refus concerne les risques de nuisances. Cette notion englobe tant les nuisances sonores (proximité d’infrastructures bruyantes, d’établissements classés pour la protection de l’environnement) que les nuisances olfactives, visuelles ou sanitaires.

L’autorité administrative doit caractériser précisément la nature et l’intensité des nuisances redoutées et démontrer leur incompatibilité avec un usage d’habitation.

Conseil pratique : anticiper ce motif de refus en produisant des études acoustiques conformes aux normes applicables. Si le bâtiment est situé dans une zone d’activités, proposer des mesures d’isolation acoustique renforcées) et des mesures d’aménagement (orientation des pièces de nuit à l’opposé des sources de bruit, création d’écrans végétaux…).

2. L’insuffisance d’accessibilité par des transports alternatifs à l’automobile.

Le deuxième motif concerne le manque d’accessibilité par des transports autres que l’automobile. Ce critère s’inscrit dans les objectifs de limitation de l’étalement urbain et de réduction de la dépendance automobile portés par la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 et la loi Climat et Résilience de 2021.

L’autorité administrative peut refuser une dérogation pour un bâtiment situé dans un secteur mal desservi par les transports en commun, éloigné des services et équipements de proximité, ou dépourvu d’aménagements cyclables. L’appréciation de ce critère suppose une analyse multicritère : distance aux arrêts de transport en commun, fréquence des dessertes, amplitude horaire, présence de commerces et services de proximité (boulangerie, pharmacie, médecin), aménagements cyclables (pistes, bandes cyclables).

Conseil pratique : Produire une étude de mobilité démontrant l’accessibilité du site : cartographie des arrêts de transport en commun dans un rayon de 500 mètres, grilles horaires, temps de trajet vers les principaux pôles d’emploi et d’équipements, carte des commerces et services dans un rayon de 1 kilomètre (isochrone piéton de 10 minutes). Valoriser les efforts prévus en matière de mobilité durable : stationnement vélo sécurisé et couvert, bornes de recharge électrique, convention avec un opérateur d’autopartage ou de vélos partagés...

3. Les conséquences négatives sur la démographie scolaire.

Le troisième motif concerne les conséquences négatives sur la démographie scolaire.

Ce critère vise à éviter que des créations massives de logements dans des secteurs dépourvus d’équipements scolaires ou disposant d’écoles saturées ne conduisent à des situations de sur-occupation préjudiciables aux conditions d’accueil des élèves.
L’autorité administrative doit établir, sur la base de données objectives (taux d’occupation des établissements scolaires, prévisions démographiques, typologie des logements créés), que le projet aura un impact significatif sur la démographie scolaire et que les capacités d’accueil existantes ou programmées sont insuffisantes.

Conseil pratique : Produire une étude d’impact démographique appliquant les ratios standards de l’INSEE selon la typologie des logements créés. Par exemple, un studio génère en moyenne 0,05 enfant en âge scolaire, un T2 0,15 enfant, un T3 0,40 enfant, un T4 0,70 enfant. Recenser les capacités d’accueil des écoles du secteur auprès de la direction des services départementaux de l’éducation nationale et démontrer que l’impact du projet demeure absorbable. Si la typologie privilégie les petites surfaces (studios, T1, T2), mettre en avant le faible impact démographique...

4. Les conséquences négatives sur la mixité sociale et fonctionnelle.

Le quatrième et dernier motif concerne les conséquences négatives sur la mixité sociale et fonctionnelle. Ce critère vise à préserver l’équilibre des territoires et à éviter une mono-fonctionnalisation résidentielle de certains secteurs ou, à l’inverse, une gentrification excessive.

L’autorité administrative peut refuser une dérogation si la transformation d’un bâtiment tertiaire en logements conduit à supprimer les dernières activités économiques d’un quartier, à déséquilibrer la mixité fonctionnelle recherchée par le plan local d’urbanisme, ou à concentrer des populations fragiles ou au contraire aisées.

Conseil pratique : Réaliser une analyse socio-économique du secteur : proportion de logements sociaux, répartition des catégories socio-professionnelles, diversité des activités économiques, taux de vacance commerciale, vitalité économique. Démontrer que le projet contribue à la mixité sociale en créant des logements abordables (convention avec l’ANAH pour des logements intermédiaires, mise en place d’un bail réel solidaire) ou en maintenant des activités économiques en rez-de-chaussée (commerces, services, professions libérales).

D. Les implications pratiques : le formalisme de la demande et de la décision.

La demande de dérogation : bien que le texte ne précise pas le contenu exact du dossier de demande, la pratique administrative impose au pétitionnaire de formuler expressément sa demande de dérogation dans le dossier de permis de construire. Cette demande doit identifier précisément les règles du plan local d’urbanisme auxquelles il est demandé de déroger et justifier la nécessité de cette dérogation au regard de l’objectif de transformation en logements.

L’arrêté accordant la dérogation : l’arrêté doit mentionner expressément cette dérogation et viser le fondement juridique de l’article L152-6-5 du Code de l’urbanisme. En pratique, un visa et un considérant spécifiques doivent figurer dans l’arrêté motivant le bénéfice de la dérogation.

L’arrêté de refus : en cas de refus, l’arrêté doit comporter une motivation détaillée faisant référence à l’un ou plusieurs des quatre motifs légaux, étayée par des éléments factuels et objectifs.

L’absence ou l’insuffisance de motivation constitue un vice de forme susceptible d’entraîner l’annulation contentieuse de la décision de refus.

III. L’assouplissement des règles de copropriété : lever un obstacle déterminant.

A. La substitution de la majorité simple à l’unanimité : une révolution juridique.

Les règles de majorité en copropriété constituaient auparavant un obstacle majeur, souvent rédhibitoire, aux projets de transformation. L’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis a été modifié pour substituer à l’exigence d’unanimité une majorité simple pour la modification de la destination de parties privatives d’un lot en locaux d’habitation, même si cette modification est contraire au règlement de copropriété.

Cette majorité simple s’entend de la majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée générale, ou ayant voté par correspondance.

Sur le plan opérationnel, cet assouplissement transforme radicalement la faisabilité des projets de transformation dans les copropriétés mixtes.

Là où l’unanimité rendait les projets extrêmement vulnérables à l’opposition d’un seul copropriétaire (parfois motivée par des considérations étrangères au projet lui-même), la majorité simple permet de faire prévaloir la volonté de la majorité tout en respectant le principe démocratique du vote.

B. L’extension à la modification de la répartition des charges : une cohérence juridique.

L’assouplissement s’étend également à la modification de la répartition des charges de copropriété qui découle du changement de destination, laquelle relève désormais de la majorité simple au lieu de la majorité absolue précédemment requise.

Procédure pratique : le syndic doit faire établir par le conseil syndical ou un géomètre-expert une nouvelle répartition des charges tenant compte de la modification de destination. Cette nouvelle répartition, justifiée par des critères objectifs (surface, consommations prévisionnelles, coefficient d’utilité), est ensuite soumise au vote de l’assemblée générale à la majorité simple. Les copropriétaires dont les charges augmentent peuvent contester cette nouvelle répartition devant le tribunal judiciaire dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée générale, mais cette contestation n’est pas suspensive de l’exécution de la décision.

C. Le périmètre exact de l’assouplissement et les obligations résiduelles.

Il convient de préciser que cette disposition concerne exclusivement le changement d’une destination autre que d’habitation (hors locaux commerciaux) vers l’habitation. Le changement inverse (de logement vers bureaux) ou le changement vers un usage commercial demeurent soumis aux règles de droit commun, notamment à l’exigence d’unanimité si le règlement de copropriété l’interdit.

Par ailleurs, l’assouplissement ne dispense pas le copropriétaire du respect des autres obligations issues du statut de la copropriété ou du règlement de copropriété (autorisation pour les travaux affectant les parties communes, respect des servitudes, limitation des nuisances…).

Conseil pratique : préparer minutieusement l’assemblée générale en informant préalablement les copropriétaires du projet. Une présentation pédagogique exposant les bénéfices de la transformation (revalorisation de l’immeuble, réduction de la vacance, amélioration de la mixité fonctionnelle), les modalités de réalisation des travaux (planning, limitation des nuisances, assurances), et les impacts sur les charges permettra de convaincre les copropriétaires réticents. Le cas échéant, proposer des engagements ou contreparties : participation aux travaux sur parties communes, amélioration de l’accessibilité, végétalisation des espaces extérieurs.

IV. L’extension du projet urbain partenarial : un levier de financement des équipements publics.

A. Un outil de financement contractualisé étendu aux reconversions.

L’article L332-11-3 du Code de l’urbanisme, qui encadre le projet urbain partenarial, a été modifié pour étendre ce dispositif de financement contractualisé aux opérations de transformation de locaux d’activité en habitations.

Le PUP permet aux porteurs de projets (propriétaires, aménageurs, constructeurs) de participer au financement d’équipements publics (voiries, réseaux, espaces publics, équipements scolaires, crèches, équipements sportifs ou de proximité) rendus nécessaires par leur opération, notamment par l’accroissement de la densité de logements.

Cette participation s’effectue dans le cadre d’une convention conclue entre la collectivité (commune ou établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de PLU, représentant de l’État dans le cadre d’opérations d’intérêt national, ou certaines collectivités territoriales dans des cas spécifiques) et le ou les porteurs de projet.

B. Une extension cohérente avec les enjeux de la reconversion.

Auparavant circonscrit aux opérations d’aménagement et de construction, le PUP peut désormais être mobilisé pour financer la réalisation d’équipements publics rendus nécessaires par la transformation de bâtiments en logements.

Cette extension offre des ressources supplémentaires aux collectivités locales et aux établissements publics locaux pour accompagner l’accueil de nouveaux habitants sans supporter seules la charge des investissements publics induits.

Cette extension répond à une logique d’équilibre territorial et de justice contributive : la transformation d’un immeuble de bureaux de 5 000 m² en 70 logements génère l’arrivée de 150 à 200 habitants, induisant des besoins en équipements scolaires (places en maternelle et élémentaire), en modes de garde (places en crèche), en équipements sportifs et de loisirs, et en espaces publics. Le projet urbain partenarial permet de répartir cette charge entre la collectivité, qui assume les coûts d’investissement non imputables au projet, et le porteur de projet, qui finance les équipements rendus nécessaires par son opération.

C. Les modalités opérationnelles du PUP appliqué aux transformations.

Le contenu de la convention : la convention de projet urbain partenarial doit déterminer :

  • La nature des équipements publics à réaliser ou à financer.
  • Le coût prévisionnel de ces équipements, établi sur la base de devis ou d’estimations par des bureaux d’études.
  • Les modalités de financement et de répartition de la charge entre la collectivité et le ou les porteurs de projet. Cette répartition est négociée et peut reposer sur différents critères : clé de répartition proportionnelle à la surface de plancher créée, au nombre de logements, à la population nouvelle générée.
  • Le calendrier de réalisation ou de versement des participations financières.
  • Les modalités de révision de la convention en cas d’évolution du projet ou de dépassement des coûts prévisionnels.

Les modalités de participation : la participation du porteur de projet peut prendre trois formes :

  • Contribution financière : versement d’une somme déterminée à la collectivité, qui réalise elle-même les équipements.
  • Réalisation directe : le porteur de projet réalise lui-même les équipements publics, qui sont ensuite rétrocédés gratuitement à la collectivité.
  • Cession gratuite de terrains : le porteur de projet cède gratuitement à la collectivité des terrains nécessaires à la réalisation d’équipements publics.

Le séquençage temporel : la convention de PUP doit être conclue avant la délivrance de l’autorisation d’urbanisme. Cette exigence temporelle impose d’engager les discussions avec la collectivité dès la phase d’études préalables. En pratique, le porteur de projet transmet à la collectivité un dossier de présentation de l’opération comprenant le nombre de logements créés, la typologie, le phasage de réalisation, l’estimation des populations nouvelles et l’analyse des besoins en équipements.

D. L’articulation entre PUP et taxe d’aménagement.

La participation financière versée dans le cadre du PUP est déductible de la taxe d’aménagement due au titre de l’opération, évitant ainsi une double contribution pour le porteur de projet. Cette déductibilité s’opère selon les modalités suivantes : le montant de la participation au PUP est déduit du montant de la taxe d’aménagement lors de l’établissement du titre de perception par les services fiscaux. Si la participation au PUP excède le montant de la taxe d’aménagement, aucun remboursement n’est effectué.

Optimisation fiscale : si l’opération bénéficie de l’abattement de 50% sur la taxe d’aménagement pour les logements issus de transformation, l’articulation entre PUP et taxe d’aménagement doit être calibrée pour optimiser le coût fiscal global. Il peut être opportun de négocier un PUP d’un montant légèrement supérieur à la taxe d’aménagement réduite, afin de neutraliser totalement cette dernière, tout en contribuant significativement aux équipements publics.

V. Les leviers fiscaux incitatifs : optimiser l’équilibre économique des opérations.

A. L’assujettissement à la taxe d’aménagement avec abattement de 50%.

La loi de finances pour 2025 permet aux collectivités d’assujettir la transformation de bâtiments en logements à la taxe d’aménagement, tout en instituant un abattement de plein droit de 50% pour les locaux d’habitation issus du changement de destination.

Cet abattement constitue une incitation significative pour les porteurs de projets et vise à concilier les impératifs de financement des équipements publics (la taxe d’aménagement finance les équipements publics généraux) et l’attractivité économique des opérations de reconversion.

Modalités d’application : l’abattement s’applique automatiquement, sans démarche particulière du redevable. Lors du calcul de la taxe d’aménagement, l’assiette est constituée par la surface de plancher des constructions, multipliée par la valeur forfaitaire au m² fixée annuellement par arrêté (820 € hors Île-de-France et 929 € en Île-de-France pour 2025), puis réduite de moitié pour les logements issus de transformation. Les taux votés par la commune, le département et, le cas échéant, la région (en Île-de-France) s’appliquent ensuite à cette assiette réduite.

B. L’exonération de la taxe annuelle sur les bureaux : un régime conditionnel strict.

Une incitation fiscale particulièrement significative est mise en place via la possibilité d’exonérer les opérations de transformation de la taxe annuelle sur les locaux de bureaux, applicable en Île-de-France et en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Cette taxe, créée pour inciter à la modération de la construction de bureaux dans ces zones et pour financer les transports en commun, peut représenter des montants annuels substantiels (de 80 à 270 €/m² en Île-de-France selon les secteurs, de 3 à 33 €/m² en Provence-Alpes-Côte d’Azur).

Conditions d’exonération : l’exonération est conditionnée au respect d’un engagement de transformation en logements dans un délai de quatre ans. Le propriétaire doit prendre cet engagement par écrit auprès de l’administration fiscale et le respecter scrupuleusement.

Conséquences du non-respect : e non-respect de cette condition entraîne l’exigibilité rétroactive de la taxe due pendant la période d’exonération, assortie d’une majoration de 25%, sauf circonstances exceptionnelles justifiant le retard.

La notion de « circonstances exceptionnelles » n’est pas définie par la loi et devra être précisée par la doctrine administrative et la jurisprudence. On peut présumer qu’elle vise les cas de force majeure (procédures contentieuses, découverte d’amiante imposant des travaux de désamiantage lourds, défaillance de l’entreprise de travaux).

Enjeu économique : pour un immeuble de 3 000 m² de bureaux, situé à Paris intra-muros (taux maximal de 270 €/m²), la taxe annuelle s’élève à 810 000 € par an. L’exonération pendant trois ans (durée moyenne des travaux de transformation) génère une économie de 2 430 000 €, soit un impact majeur sur la rentabilité de l’opération.

Conseil pratique : intégrer une marge de sécurité dans le planning de réalisation pour respecter le délai de quatre ans. Prévoir des pénalités contractuelles substantielles en cas de retard de l’entreprise de travaux. Documenter méticuleusement l’avancement des travaux (procès-verbaux de réception, attestations d’achèvement, certificats de conformité) pour justifier du respect de l’engagement en cas de contrôle fiscal. Solliciter de l’administration fiscale une confirmation écrite de l’éligibilité du projet à l’exonération avant le démarrage des travaux.

C. L’exonération temporaire de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, par délibération prise avant le 1ᵉʳ octobre pour l’année suivante, exonérer de la taxe foncière sur les propriétés bâties les locaux à usage d’habitation affectés à l’habitation principale et issus de la transformation de locaux à usage de bureaux, pour une durée de cinq ans à compter de l’année qui suit celle de l’achèvement des travaux.

Portée de l’exonération : cette exonération porte sur la seule part revenant à la commune ou à l’EPCI. Elle entraîne l’exonération des taxes additionnelles perçues au profit de certains établissements publics, mais pas de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui continue d’être due.

Obligations déclaratives : le propriétaire doit adresser une déclaration au service des impôts avant le 1ᵉʳ janvier de la première année d’application, incluant les justificatifs d’affectation à l’habitation principale et de transformation (permis de construire, déclaration d’achèvement des travaux, attestation du locataire ou de l’occupant).

Cessation de l’exonération : l’exonération cesse si la construction est affectée à un usage autre que l’habitation principale ou si le logement est partiellement affecté à un usage professionnel (sauf usage professionnel accessoire autorisé).

Valorisation commerciale : pour un logement dont la taxe foncière annuelle s’élève à 2 000 €, l’exonération pendant cinq ans représente un avantage de 10 000 €. Cet avantage peut être valorisé commercialement auprès des acquéreurs comme argument de vente différenciant, réduisant le coût total d’acquisition pendant les premières années.

Conseil pratique : vérifier en amont du projet si la commune ou l’EPCI d’implantation a délibéré en faveur de cette exonération. Si ce n’est pas le cas, solliciter la collectivité pour qu’elle délibère, en mettant en avant les bénéfices de l’opération pour le territoire (création de logements, revalorisation urbaine, limitation de l’étalement urbain). Informer systématiquement les acquéreurs de cet avantage fiscal et les accompagner dans les démarches déclaratives auprès du service des impôts.

D. Le régime des plus-values de cession : un taux réduit d’IS.

L’article 210 F du Code général des impôts prévoit que les plus-values réalisées par les personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés lors de la cession de locaux à usage de bureaux peuvent bénéficier d’un taux réduit d’impôt sur les sociétés de 19% (au lieu du taux normal de 25%), à condition que le cessionnaire s’engage à transformer les locaux acquis en locaux à usage d’habitation.

Conditions d’application : Le cessionnaire doit prendre un engagement écrit de transformation dans un délai de quatre ans, avec possibilité de prolongation. Un délai de six ans a même été instauré pour les opérations de grande envergure nécessitant des travaux particulièrement complexes.

Intérêt fiscal : pour une plus-value de cession de 5 000 000 €, le taux réduit de 19% génère un impôt de 950 000 €, contre 1 250 000 € au taux normal de 25%, soit une économie d’impôt de 300 000 €. Cette économie peut être partiellement répercutée sur le prix de vente, rendant l’acquisition plus attractive pour le cessionnaire porteur du projet de transformation.

Conseil pratique : intégrer dans la promesse de vente ou l’acte authentique une clause par laquelle le cessionnaire s’engage formellement à transformer les bureaux acquis en logements dans le délai légal. Prévoir une clause résolutoire en cas de non-respect de cet engagement, permettant au cédant de récupérer le bien si le cessionnaire ne réalise pas la transformation, évitant ainsi la remise en cause du taux réduit d’IS par l’administration fiscale.

VI. La servitude de résidence principale : préserver l’habitat permanent.

A. Un outil de préservation de l’habitat permanent étendu aux transformations.

La loi du 16 juin 2025 s’articule avec la servitude de résidence principale introduite par la loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 (dite « Loi Le Meur »), codifiée à l’article L151-14-1 du Code de l’urbanisme. Les plans locaux d’urbanisme peuvent désormais délimiter, dans leur règlement, des secteurs où les logements issus de la transformation de bâtiments non résidentiels devront obligatoirement être affectés à l’usage de résidence principale, favorisant ainsi le maintien ou la reconquête de l’habitat permanent.

Il s’agit d’un élargissement de la servitude de résidence principale qui visait initialement à encadrer le développement des meublés de tourisme dans les zones en tension touristique.

En imposant un usage de résidence principale aux logements créés par transformation, cette servitude évite que les opérations de reconversion ne bénéficient exclusivement au marché des résidences secondaires ou des locations touristiques de courte durée, et garantit qu’elles contribuent effectivement à l’offre de logements permanents.

B. Les critères d’application et les communes éligibles.

Un logement est considéré comme résidence principale s’il est occupé au moins huit mois par an par le propriétaire ou le locataire à titre de résidence habituelle, sauf exceptions liées aux obligations professionnelles, raisons de santé ou cas de force majeure.

Les communes peuvent instaurer cette servitude si elles remplissent l’une des deux conditions cumulatives suivantes :

  • La taxe annuelle sur les logements vacants est applicable sur leur territoire, c’est-à-dire si la commune est située dans une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements (liste fixée par décret).
  • Les résidences secondaires représentent plus de 20% du nombre total d’immeubles d’habitation de la commune, attestant d’une pression touristique significative.

Ces critères visent à réserver l’outil aux communes confrontées à une attrition de l’habitat permanent, sans pénaliser les communes où la question ne se pose pas.

C. Une réponse à la gentrification touristique et à la raréfaction de l’habitat permanent.

Cette servitude vise à lutter contre plusieurs phénomènes observés dans les zones touristiques ou attractives : l’explosion des meublés de tourisme, l’acquisition de résidences secondaires et la vacance saisonnière : certains logements sont occupés seulement quelques semaines par an, constituant un gaspillage de ressources dans des zones où les besoins en logements permanents sont criants.

Son extension aux logements issus de la transformation garantit que les opérations de reconversion contribuent effectivement à maintenir ou reconquérir l’habitat permanent dans ces zones sous tension immobilière.

D. Les implications opérationnelles pour les porteurs de projets.

Impact sur le modèle économique : l’existence d’une servitude de résidence principale dans le secteur d’implantation du projet transformé contraint directement le modèle économique de l’opération. Le porteur de projet ne peut envisager une commercialisation en résidences secondaires ou une exploitation en locations touristiques meublées, qui peuvent constituer des débouchés plus rémunérateurs dans certaines zones tendues (prix de vente ou loyers à la nuitée supérieurs).

Le modèle économique doit donc reposer sur une commercialisation en résidences principales (vente à des primo-accédants ou investisseurs locatifs longue durée, location nue classique) ou sur une gestion en résidence principale avec services (résidences seniors, résidences étudiantes avec baux de 9 mois renouvelables).

Obligations juridiques : la servitude de résidence principale s’attache au logement et non à son occupant : elle perdure en cas de changement de propriétaire. L’acte authentique de vente doit mentionner expressément cette servitude, et le notaire doit attirer l’attention de l’acquéreur sur ses implications et sur les sanctions encourues en cas de non-respect. Le propriétaire ou le bailleur doit être en mesure de justifier à tout moment de l’occupation du logement à titre de résidence principale : bail d’habitation pour résidence principale, domiciliation fiscale de l’occupant, abonnements aux fluides (eau, électricité, gaz) à un niveau compatible avec une occupation permanente.

Sanctions du non-respect : le non-respect de la servitude expose le propriétaire à des sanctions administratives (mise en demeure de régularisation, astreinte journalière) et fiscales (taxation au taux de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, majoration de taxe foncière). La commune peut également engager une action en justice pour faire cesser l’usage irrégulier.

Conseil pratique : vérifier systématiquement, dès la phase d’étude de faisabilité, l’existence d’une servitude de résidence principale sur le secteur d’implantation en consultant le règlement du PLU et ses annexes. Si une servitude est instaurée, adapter le modèle économique en conséquence et intégrer les contraintes dans le business plan. Prévoir des clauses contractuelles dans les baux ou les actes de vente rappelant l’obligation d’affecter le logement à la résidence principale et les sanctions en cas de non-respect, afin de limiter la responsabilité du porteur de projet.

VII. Les leviers renforcés pour le logement étudiant.

La loi du 16 juin 2025 prévoit deux simplifications incitatives pour accroître et accélérer la production de logements étudiants abordables, répondant aux besoins criants dans les villes universitaires.

A. Le recours facilité à la conception-réalisation pour les CROUS.

Conformément à l’objectif d’accroître et d’accélérer la production de logements étudiants abordables, les Centres Régionaux des Œuvres Universitaires et Scolaires (CROUS) peuvent désormais recourir au marché de conception-réalisation, au même titre que les bailleurs sociaux, sans avoir à justifier de considérations techniques, énergétiques ou thermiques particulières.

Cette simplification procédurale, inspirée du régime applicable aux organismes HLM, vise à accélérer la réalisation des projets en limitant les interfaces et en favorisant la coordination entre conception et exécution.

Avantages du marché de conception-réalisation :

  • Réduction des délais : la conception et la réalisation étant confiées à un groupement unique composé d’un architecte et d’une entreprise de construction, les phases se superposent partiellement, réduisant le calendrier global.
  • Limitation des interfaces : l’absence de distinction entre concepteur et réalisateur réduit les risques de divergences d’interprétation, de surcoûts liés aux imprévus de chantier, ou de contentieux entre maîtrise d’œuvre et entreprises.
  • Optimisation des solutions techniques : l’approche intégrée permet d’optimiser les solutions techniques dès la conception en tenant compte des contraintes et savoir-faire de l’entreprise de construction.
  • Maîtrise des coûts : le prix est fixé forfaitairement dès l’attribution du marché, sécurisant le budget du maître d’ouvrage.

Conseil pratique : définir un programme fonctionnel et technique précis avant le lancement de la consultation, en identifiant les contraintes du bâtiment existant (structure, réseaux, accessibilité) et les performances attendues (nombre de chambres, surfaces communes, performance énergétique). Prévoir une phase de dialogue compétitif permettant aux groupements candidats de proposer des solutions innovantes et optimisées avant l’attribution définitive du marché.

B. La majoration de constructibilité jusqu’à 50%.

Le règlement du plan local d’urbanisme peut désormais prévoir une majoration du volume constructible, ne pouvant excéder 50%, pour les résidences universitaires, afin de faciliter les opérations sur foncier contraint en améliorant leur équilibre économique.

Modalités d’application : Cette majoration porte sur les règles de gabarit, de hauteur et d’emprise au sol prévues par le règlement du PLU. Concrètement :

  • Un terrain situé dans une zone où le coefficient d’emprise au sol est de 40% pourrait, s’il accueille une résidence étudiante, bénéficier d’un coefficient de 60% (majoration de 50% : 40% × 1,5 = 60%).
  • Un bâtiment situé dans une zone où la hauteur maximale est de 15 mètres pourrait, s’il est transformé en résidence étudiante, être surélevé jusqu’à 22,5 mètres (15 m × 1,5 = 22,5 m).
  • Un terrain dont la surface de plancher maximale autorisée est de 2 000 m² pourrait accueillir 3 000 m² de surface de plancher pour une résidence étudiante.

Impact économique : Pour un bâtiment existant de 2 000 m² situé dans une zone permettant une majoration de 50%, la transformation en résidence étudiante autorise la création de 1 000 m² supplémentaires par surélévation ou extension. Ces 1 000 m² supplémentaires peuvent accueillir environ 50 chambres de 20 m² (chambre de 13 m² + salle de bains + kitchenette), générant un produit additionnel significatif (50 chambres × 400 €/mois × 10 mois = 200 000 € de loyers annuels supplémentaires, soit une valorisation d’environ 2 à 2,5 millions d’euros).

Conditions : le bénéfice de cette majoration suppose que le plan local d’urbanisme l’ait expressément prévue dans son règlement. Les collectivités doivent donc anticiper cette disposition lors de la prochaine révision ou modification de leur PLU, en identifiant les secteurs où le logement étudiant constitue un enjeu prioritaire (proximité des campus universitaires, desserte en transports en commun).

Conseil pratique : vérifier en amont du projet si le PLU applicable prévoit cette majoration de constructibilité pour les résidences universitaires. Si ce n’est pas le cas, solliciter la collectivité pour qu’elle intègre cette disposition lors de la prochaine modification du PLU. Dimensionner le projet en tenant compte de cette majoration pour optimiser le programme et améliorer la rentabilité. La majoration ne peut conduire à dépasser le plafond de 50% et doit respecter les autres règles du PLU (prospects, reculs, implantation par rapport aux limites séparatives).

IX. Perspectives d’application et décrets attendus.

A. Le calendrier d’entrée en vigueur.

La loi est entrée en vigueur le 18 juin 2025, à l’exception de l’article 5 nécessitant un décret d’application.

Les dispositions relatives au permis multi-destinations, aux dérogations au PLU, à la copropriété et au PUP sont donc immédiatement applicables.

B. Les décrets d’application attendus.

Les modalités d’application détaillées du permis multi-destinations doivent être définies par décret en Conseil d’État.

Ce décret précisera notamment :

  • Le contenu exact du dossier de demande de permis multi-destinations (pièces graphiques, notices, études techniques requises).
  • Les modalités de notification préalable des changements de destination et d’état (contenu de la notification, autorité destinataire, délais).
  • Les modalités d’affichage et de publicité du permis multi-destinations.
  • Les règles de prorogation ou de modification du permis multi-destinations en cours de validité.

Ce décret est attendu pour le premier semestre 2026.

Conclusion : une réforme structurante nécessitant expertise et anticipation.

La loi du 16 juin 2025 constitue indéniablement une réforme structurante, s’inscrivant dans une logique d’urbanisme circulaire et de valorisation du bâti existant. En combinant innovations procédurales (permis multi-destinations), assouplissements réglementaires (dérogations au PLU, règles de copropriété), leviers financiers (PUP étendu, fiscalité incitative) et outils de préservation de l’habitat permanent (servitude de résidence principale), le législateur a conçu une « boîte à outils » complète destinée à lever les obstacles historiques aux opérations de reconversion.

La loi crée un environnement favorable à la reconversion des bâtiments en s’appuyant sur des outils souples, contractuels et concertés. Elle permet aux porteurs de projet, aux collectivités et aux partenaires publics d’engager un véritable changement d’échelle, au service d’un urbanisme plus durable et plus réversible.

Sa mise en œuvre effective repose toutefois sur la capacité des acteurs publics et privés à s’approprier ces nouveaux outils et à les mobiliser de manière coordonnée, dans une période de crise. Les praticiens doivent maîtriser les aspects tant juridiques (procédures d’autorisation, avis obligatoires, motifs de refus, voies de recours) qu’opérationnels (constitution du dossier, conception réversible, optimisation fiscale, montages financiers, partenariats public-privé).

La réussite des opérations de transformation nécessite une approche pluridisciplinaire mobilisant compétences juridiques, urbanistiques, architecturales, techniques, financières et commerciales, ainsi qu’une anticipation rigoureuse des contraintes réglementaires et des opportunités offertes par les nouveaux dispositifs.

L’articulation entre ces nouveaux dispositifs et la jurisprudence existante en matière d’urbanisme, de copropriété et de fiscalité devra également être observée avec attention, les premières décisions juridictionnelles permettant de préciser la portée et les limites des dispositions nouvelles.

Nicolas Maillard, Avocat au Barreau de Lyon
Graphite Avocats
Urbanisme - Environnement - Immobilier
nmaillard chez graphite-avocats.fr
https://www.linkedin.com/in/nicolas-maillard-04353b63/

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