Missions et financements : des litiges à résoudre.
En moyenne, les SDIS sont financés à 58% par les départements et à 42% par les communes et EPCI (variable selon chaque SDIS). La part de l’Etat, via des allègements et aides exceptionnelles à l’investissement est variable et considérée comme négligeable (jusqu’à 3% des financements des SDIS peut être issu de subventions nationales ou européennes).
Les missions des SDIS sont définies à l’article 1424-2 du CGCT. On y retrouve des missions propres, historiques : prévention, protection et lutte contre les incendies. On y retrouvait également des missions partagées, en particulier au 4° : les SIS concourent aux "secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation". C’est donc sur cette base légale et sur l’opportunité de la disponibilité des sapeurs-pompiers (à 80% volontaires) que les SAMU ont transféré la charge des missions leur incombant initialement. En effet, le Code de la santé publique, en ses articles L6311-1 et suivants, précisés par les articles R6311-1 et suivants, énonce que les SAMU sont les organismes compétents en matière médicale, ce qui inclut explicitement le transport (R6311-2). Ce transport est financé pour la part Sécurité sociale par les ARS (gestionnaires financiers des centres hospitaliers, donc des SAMU) et réalisé par des transporteurs privés.
Or, l’article L1424-42 du CGCT énonce que le SDIS n’est tenu de procéder qu’aux seules interventions qui se rattachent directement à ses missions telles que définies au L1424-2 (cité ci-dessus). C’est sur ce fondement que le SDIS facture par exemple aux particuliers les destructions de nids d’hyménoptères à leur domicile. C’est également la base légale du remboursement par l’ARS de ce qui est dénommé “carences ambulancières”. La difficulté étant que ces carences n’ont jamais été définies clairement par la loi. Leur interprétation a été l’objet de nombreux contentieux malgré les conventions liant les SDIS et les SAMU tentant d’établir ce qui relève d’une facturation de transport de malade par défaut d’ambulance privée (carence), et ce qui est un transport d’urgence médicale (prompt secours), auquel concourt donc le SDIS sans facturer.
Le flou autour de la limite de compétences a ainsi généré de nombreuses dérives mettant en jeu les ARS (services d’Etat) et les SDIS (collectivités territoriales). Cette opposition et la différence de financement montrent à quel point il est difficile de répartir des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Plusieurs instances de concertation existent entre les SDIS et les SAMU. Certaines obligatoires comme le CODAMUPS, d’autres créés spécifiquement pour limiter les désaccords. Il existe dans tous les départements plusieurs instances chargées de définir les compétences au moyen de conventions et de revoir l’attribution de chaque intervention à un service ou un autre. C’est aussi un travail commun que de requalifier a posteriori (peu réalisé dans les faits) une intervention en carence ambulancière.
Afin de travailler à cette répartition de compétences, c’est en général le service opérations ainsi que le service médical des SDIS qui sont chargés des relations avec le SAMU. Ce sont ces acteurs de négociation permanente qui ont permis de consolider les avis présents dans l’étude.
Le corps des sapeurs-pompiers, bien que constituant un élément homogène puissant, était donc confronté à une multitude d’interprétations du droit applicable. La constitution d’une communauté professionnelle forte est en soi un élément déterminant dans la mise en politique publique d’un problème à la fois social, professionnel et sociétal. Au regard de ces nombreuses difficultés et disparités, seule la loi pouvait traiter cette problématique nationale. Comment redonner du sens aux missions des sapeurs-pompiers ? Comment améliorer le financement du secours et de l’assistance aux personnes tout en garantissant une prise en charge efficiente ?
Recentrer les interventions sur le cœur de métier semble être la volonté de nombreux acteurs. C’est ce que prétend faire la loi du 25 novembre 2021 "visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels", dite Loi Matras. Elle marque un tournant significatif dans l’organisation des services d’urgence en France, en redéfinissant la répartition des compétences entre SIS et SAMU, ce qui a une conséquence directe sur les transporteurs sanitaires privés, acteurs essentiels du transport non urgent. Cette évolution vise à optimiser la réponse aux situations d’urgence médicale en clarifiant les rôles et responsabilités de chaque entité.
La nécessaire redéfinition des compétences a d’abord fait l’objet d’un constat partagé avec des objectifs relativement consensuels en vue de redonner du sens au métier. La mise en œuvre progressive de cette loi, depuis maintenant trois ans permet d’apercevoir un possible assouvissement de cette quête de sens.
La perte de sens du métier.
Alors que le secours à personne représente environ 80% des missions des SDIS, le décalage entre leurs missions originelles et les interventions réalisées génère aussi une saturation psychologique des pompiers, abondante dans la littérature spécialisée. Les données ici indiquée ne démontrent pas seulement une perception mais clairement une détérioration objective des conditions de travail.
Cette sur-sollicitation n’a pas pour seul effet de générer un ras-le-bol, mais également de faire peser sur les collectivités locales une charge dont l’Etat devrait s’acquitter via les ARS, sur la base des décisions du SAMU.
La Cour des Comptes, dans son rapport de mars 2019 dénommé les personnels des Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS) et de la Sécurité Civile. Des défis à relever, des perspectives à redéfinir : “Cette évolution (nombre croissant d’interventions des pompiers par carence du SAMU), qui illustre la disponibilité, l’engagement et le dévouement des sapeurs-pompiers, n’est toutefois pas durablement soutenable. L’État et les départements doivent offrir aux SDIS un cadre et des outils qui leur permettent de mieux maîtriser leurs dépenses de personnel. Il leur appartient également de procéder à une revue des missions des services d’incendie et de secours afin de les recentrer sur le cœur de leurs attributions”.
Ryad Kanzari, auteur de “Les sapeurs-pompiers, une identité temporelle de métier” écrit “en effet, la profession semble avoir un malaise, en partie lié au changement de nature des missions de secours (…) L’identité professionnelle du sapeur-pompier est remise en cause. Le sentiment d’un déclassement social s’installe”. Dans sa thèse il énonce le sentiment pour les pompiers de devenir des travailleurs sociaux.
La relation entre intervention non urgente et hausse du nombre d’interventions est flagrante. Le sentiment de changement de la physionomie de la profession en est tout aussi évident.
Comme soulevé par la Cour des comptes, c’est du côté des finances publiques qu’il faut trouver les causes de ces évolutions en défaveur des SDIS.
Dans le rapport du sénateur Jean Pierre Vogel du 19 décembre 2020, nous retrouvons des éléments intéressant le financement et les compétences. Extraits : "Ainsi, malgré une diminution des interventions par rapport à 2018, la mobilisation des SDIS demeure très élevée, notamment en matière de secours d’urgence aux personnes (SUAP) qui représente aujourd’hui 79% des 4,8 millions d’interventions effectuées en 2019".
Le sujet du remboursement des frais d’intervention réalisée par les sapeurs-pompiers en cas de carence ambulancière mérite aussi d’être considéré, toujours dans la perspective d’alléger les charges pesant sur les SDIS. En effet, comme le rappelle la Cour des comptes, « selon plusieurs SDIS, le forfait de remboursement ne couvrirait pas les charges réellement supportées » (cette affirmation est toujours vraie malgré la réévaluation significative portant à un peu plus de 200€ le remboursement d’une carence).
Dans le même temps, la directive européenne sur le temps de travail 2003/88/CE du 4 novembre 2003, et en particulier son application dans le désormais célèbre arrêt Matzak, vient remettre en cause le modèle français du volontariat. Le modèle de sécurité civile français, tant défendu par les responsables politiques nationaux, permet une rémunération sur la base d’indemnisations exonérées d’impôts et de charges, tant pour le SDIS que pour le volontaire. L’orientation européenne tendant à la requalification en employés (avec charges et impôts donc) des volontaires fait peser un risque financier accru pour les SDIS qui devraient compenser une grande part de leur effectif volontaire par des sapeurs-pompiers professionnels.
Pour inverser cette tendance de pression opérationnelle subie de manière disproportionnée par les SDIS, seules les conventions SDIS/SAMU pouvaient permettre une définition et une répartition claires des compétences. Chaque entité cherchant à faire des économies, rares sont les départements où elles sont arrivées à un accord tel que le secours non urgent serait automatiquement pris en charge par le SAMU (et les ambulances privées qu’il missionne). Un de ces rares exemples est le département de la Haute-Savoie. Ce SDIS a donc réussi à créer une plateforme commune avec le SAMU et d’autres partenaires pour la prise d’alerte, où exerce également un employé de la corporation d’ambulanciers privés ayant pour mission de les coordonner. Il semblerait que l’avancée soit significative et donne satisfaction. Les ambulanciers sont sollicités autant que possible pour les missions leur incombant et les sapeurs-pompiers renouent avec leurs missions originelles, telles que définies par la loi.
Néanmoins, il n’était pas acceptable que le territoire français soit différencié selon la bonne volonté des dirigeants de centres hospitaliers gestionnaires des SAMU. C’est pourquoi il a fallu que le législateur mette au clair les points de discorde.
Entre symboles législatifs et réalités de terrain, l’illusion de la coordination des appels.
La volonté de recentrer les sapeurs-pompiers sur l’urgence est présente dès le premier article de la loi Matras. Ce type d’article symboliquement posé en première position se retrouve fréquemment dans les lois qui prétendent répondre à une volonté populaire. Au-delà de la redéfinition essentielle, on peut également retrouver la volonté de généraliser les plateformes communes de réception des appels d’urgence.
Comme le SDIS 66 ou le SDIS 74, nombreux sont les départements qui ont mutualisé les locaux. Cette proximité physique n’est pour autant pas toujours gage d’entente. Le corollaire est également la généralisation de l’usage du numéro 112. Souvent géré par les sapeurs-pompiers, il peut également être mutualisé dans une plateforme réceptionnant tous les appels, répartissant selon la compétence au SAMU, aux pompiers ou aux forces de l’ordre. Que ce soit la plateforme commune ou le numéro commun, aucune de ces deux pratiques ne permet en elle-même d’aboutir à des accords de répartitions entre SDIS et SAMU. Il faut clairement dissocier la bonne volonté des dirigeants locaux qui peuvent s’entendre en vue d’avoir une plateforme commune mais sont incapables d’aboutir à une répartition des compétences telle que définie par la loi. Inversement, des SDIS et SAMU peuvent très bien s’entendre sur cette répartition sans avoir de plateforme commune.
La volonté d’apaisement des relations se retrouve également dans la consolidation des compétences des sapeurs-pompiers concernant les gestes jusqu’alors réalisés hors protocole médical. Ces gestes, peu ou pas invasifs, sont pratiqués par de nombreux pompiers afin de fournir plus d’éléments au médecin régulateur, ce qui l’aide à orienter la prise en charge du patient.
Identification des compétences spécifiques attribuées à chaque entité.
Parmi les évolutions significatives, il y a évidemment la redéfinition des missions des SDIS [1] dans l’article 2 de cette loi et pour la première fois une définition de la carence ambulancière en son article 3 [2].
Voici l’article 1424-2 du CGCT dont les modifications sont en gras :
« Les services d’incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies.
Ils concourent, avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l’évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu’aux secours d’urgence et aux soins ».
Est donc ici intégrée la notion de soins par les sapeurs-pompiers. Cette notion introduit la capacité d’action technique et médicamenteuse des pompiers sur la santé du patient.
« Dans le cadre de leurs compétences, les services d’incendie et de secours exercent les missions suivantes :
1° La prévention et l’évaluation des risques de sécurité civile ;
2° La préparation des mesures de sauvegarde et l’organisation des moyens de secours ;
3° La protection des personnes, des animaux, des biens et de l’environnement » : introduction explicite des animaux qui jusqu’alors n’étaient qu’une conséquence des compétences biens et environnement.
Puis vient la modification importante, définissant de manière restrictive le cadre d’intervention :
« 4° Les secours et les soins d’urgence aux personnes ainsi que leur évacuation, lorsqu’elles :
a) Sont victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ;
b) Présentent des signes de détresse vitale ;
c) Présentent des signes de détresse fonctionnelle justifiant l’urgence à agir ».
On y distingue une évolution notable : les secours et soins d’urgence ne sont désormais de la compétence des SIS que si le patient est victime d’accident, sinistre ou catastrophe, ou en cas de détresse vitale. Le dernier alinéa vient lever un doute sur une urgence fonctionnelle qui ne serait pas liée à une urgence vitale. Sont ainsi exclus du champ de compétence des SIS : les blessures non graves, les malaises sans signe de détresse vitale, ou encore les assistances à personne.
Les pompiers redeviennent les spécialistes de l’urgence. Cette évolution significative vient répondre à la demande de la communauté professionnelle arguant d’une perte de sens.
Sont ajoutés deux alinéas :
« Les actes de soins d’urgence qui peuvent être réalisés par les sapeurs-pompiers n’étant pas par ailleurs professionnels de santé ainsi que leurs modalités de mise en œuvre sont définis par décret en Conseil d’État.
Un arrêté conjoint des ministres chargés de la Sécurité Civile et de la santé fixe les compétences nécessaires à la réalisation de ces actes et leurs modalités d’évaluation ».
Ces actes et soins d’urgence, précisés par décret, ont pour objectif d’une part de régulariser les usages de nombreux SDIS puisque ceux-ci réalisaient déjà certains de ces gestes, et d’autre part de leur permettre de développer des usages permettant une meilleure prise en charge (prise de taux de sucre dans le sang, pose d’électrocardiogramme, administration de médicaments sur prescription…).
Parmi les évolutions, notons également la prise en compte de la mise en politique publique d’un problème de société moderne : le secours aux animaux. Cette compétence était induite par les dispositions faisant référence à l’environnement. Mais l’évolution de la société, tendant à une meilleure considération de l’animal, doté d’un statut juridique particulier le reconnaissant “être vivant doué de sensibilité” depuis 2015, a incité à une meilleure prise en compte de la spécificité du règne animal. C’est ainsi que la modification des compétences des SDIS s’est accompagnée de la précision de compétence en matière de secours aux animaux. Cette précision vient répondre à un problème public connexe tout en apportant les précisions utiles aux missions des pompiers.
Pour la création d’une définition de la carence ambulancière, le législateur a modifié l’article 1424-42 du CGCT précisant que les SIS ne sont tenus de procéder qu’aux seules missions précédemment énoncées et facturent les missions exercées pour le compte d’autres services publics (comme le SAMU pour les ambulances privées) ou sociétés (comme celles qui entretiennent les ascenseurs). Depuis l’adoption de l’article 3 de la loi Matras, l’article L1424-42 du CGCT est ainsi rédigé :
« I.-Les services d’incendie et de secours ne sont tenus de procéder qu’aux seules opérations de secours qui se rattachent directement à leurs missions de service public définies à l’article L1424-2.
S’ils ont été sollicités pour des interventions ne se rattachant pas directement à l’exercice de leurs missions, ils peuvent différer ou refuser leur engagement afin de préserver une disponibilité opérationnelle pour les missions relevant du même article L1424-2.
S’ils ont procédé à des interventions ne se rattachant pas directement à l’exercice de leurs missions, ils peuvent demander aux personnes physiques ou morales bénéficiaires ou demandeuses une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d’administration.
II.- Les interventions effectuées par les services d’incendie et de secours sur la prescription du service d’aide médicale urgente, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés pour une mission visant à la prise en charge et au transport de malades, de blessés ou de parturientes, pour des raisons de soins ou de diagnostic, et qui ne relèvent pas de l’article L1424-2 sont des carences ambulancières ».
Il s’agit ici pour la première fois de la définition de la carence ambulancière. Tout ce qui n’entre pas dans les missions du SDIS, telles que les urgences ou les secours liés aux sinistres, accidents et catastrophes, sont des carences.
A la demande du service d’incendie et de secours, les carences peuvent être constatées par le service d’aide médicale urgente, après la réalisation de l’intervention, selon les critères de définition des carences mentionnés au premier alinéa du présent II.
On parle ici de requalification a posteriori à la demande du SDIS.
Conclusion.
En ayant précisé d’une part les missions des SIS et d’autre part la prise en charge financière des interventions ne relevant pas directement des missions énoncées, le législateur a ainsi permis une clarification des compétences de chaque entité.
L’objectif à atteindre est clairement une prise en charge accrue des interventions non urgentes par les ambulanciers privés (compétence SAMU, financement ARS) et une diminution pour les sapeurs-pompiers. La méthode est simple : rendre explicite la loi en ce qu’elle attribue le transport non urgent aux ambulanciers privés (via le SAMU) et ne garder que le secours urgent dans le champ de compétence des SDIS.
Est également rappelée l’obligation pour les deux entités de conclure des conventions précisant l’application de la loi. Le cadre est maintenant clair avec les obligations de chaque partie mieux définies.
L’application dans chaque département est en revanche beaucoup plus complexe que la simple lecture des articles de loi...