Loi Le Meur : une interdiction de la location saisonnière à portée limitée en copropriété ?

Par Lorène Derhy, Avocat.

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Explorer : # copropriété # location saisonnière # droit de propriété # réglementation immobilière

Depuis novembre 2024, la loi Le Meur permet aux copropriétés, sous conditions, d’interdire la location meublée de tourisme par un vote à la majorité des deux tiers. Mais cette faculté nouvelle reste strictement encadrée.
Un arrêt remarqué de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 20 mars 2025 (n°24/10669) [1] en précise la portée : seule une activité de nature commerciale peut faire l’objet d’une telle interdiction.
Décryptage.

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Depuis la loi n°2024-1039 du 19 novembre 2024, dite loi Le Meur, les copropriétaires peuvent, sous certaines conditions, interdire la location meublée de tourisme dans les immeubles soumis au statut de la copropriété.

Ce nouveau pouvoir d’interdiction, consacré par l’article 26 d) de la loi du 10 juillet 1965, ne concerne toutefois que les locations saisonnières exercées dans des logements à usage d’habitation ne constituant pas la résidence principale de l’occupant - et sous réserve de conditions strictes.

Mais cette réforme n’instaure ni une interdiction générale, ni un automatisme au bénéfice des syndicats de copropriétaires. Elle reste d’interprétation délicate, et sa mise en œuvre est encadrée. Un arrêt récent de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 20 mars 2025 (n°24/10669), en rappelle avec force les limites.

I. L’article 26 d) : un outil nouveau, mais sous triple verrou.

La loi Le Meur permet désormais, à la majorité des deux tiers, d’insérer une clause d’interdiction des locations meublées de tourisme dans le règlement de copropriété - à trois conditions cumulatives :

  • les lots concernés ne doivent pas constituer la résidence principale de l’occupant au sens de la loi du 6 juillet 1989 ;
  • ils doivent être affectés à un usage d’habitation ;
  • le règlement doit interdire toute activité commerciale dans les lots non spécifiquement à destination commerciale.

Cette faculté nouvelle suscite un débat juridique nourri. Plusieurs auteurs s’interrogent sur la portée réelle de ce dispositif : doit-il s’appliquer indépendamment du caractère civil ou commercial de l’activité exercée ? Ou, au contraire, la distinction entre ces deux natures demeure-t-elle une condition préalable essentielle à l’applicabilité du texte ?

Dans une lecture maximaliste, certains estiment que la location saisonnière pourrait désormais être interdite par principe, par une clause réglementaire spécifique, sans que le syndicat ait à qualifier juridiquement l’activité.

Mais cette interprétation heurte plusieurs principes fondamentaux du droit de la copropriété - à commencer par celui de la destination de l’immeuble - et suscite des craintes d’atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Elle pourrait ainsi se heurter à une censure constitutionnelle, comme celle prononcée par le Conseil constitutionnel du 20 mars 2014 contre un dispositif similaire, jugé contraire à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

II. L’apport décisif de l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 20 mars 2025

Par un arrêt précis et motivé du 20 mars 2025, n°24/10669, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rappelé deux points fondamentaux :

Premièrement, la qualification civile ou commerciale de l’activité reste déterminante.
La cour a jugé que la location meublée de tourisme, en l’espèce, était de nature civile dès lors qu’elle n’était accompagnée que de deux prestations (dépôt de bagages et petit-déjeuner), ne revêtant pas le caractère de services para-hôteliers significatifs. En conséquence, une clause d’interdiction fondée sur le seul article 26 d) - qui concerne les activités commerciales dans les immeubles bourgeois - n’est pas applicable.

Deuxièmement, la cour souligne qu’en l’absence de clause d’habitation bourgeoise interdisant expressément les activités commerciales, les dispositions de l’article 26 d) ne peuvent être valablement invoquées pour restreindre l’usage privatif du lot. Autrement dit, le texte nouveau ne dispense pas d’une analyse préalable du règlement de copropriété.

L’arrêt d’Aix-en-Provence a donc une vision restrictive de la portée de l’article 26 d), que je partage également.

Ainsi, la prudence impose au syndicat de copropriétaires, avant toute démarche d’interdiction, de vérifier la nature exacte de l’activité litigieuse ainsi que les stipulations du règlement de copropriété.

Conclusion.

La loi Le Meur ouvre un nouvel outil d’action au profit des copropriétaires opposés à la location saisonnière, mais cet outil semble ne pas changer grand chose en pratique si l’on se réfère à l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 20 mars 2025.

En effet par cette décision on peut déduire que la portée de l’article 26 d) est relative : elle suppose que la location soit commerciale, et que le règlement prévoie une interdiction des activités commerciales dans les lots à usage d’habitation. Cette position n’est pas nouvelle.

Reste à attendre les prochaines décisions pour avoir une vision plus précise.

Lorène Derhy, Avocat au barreau de Paris
www.derhy-avocat.com

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