1. Rappel du contexte : le régime de faveur.
Sur le plan social, l’indemnité transactionnelle portant sur la rupture du contrat de travail est exclue de l’assiette des cotisations, dans la limite d’un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond de la sécurité sociale (« PASS »), soit 87.984 euros pour 2023 [1].
La partie excédentaire est soumise à cotisations patronales et salariales.
Par ailleurs, la partie qui excède le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est toujours soumise à CSG / CRDS, soit 9,7% au total, à la charge du salarié.
Enfin, lorsque l’indemnité transactionnelle dépasse 10 fois le PASS (soit 439.920 euros en 2023), elle est soumise à cotisations sociales dès le premier euro.
Sur le plan fiscal, l’indemnité transactionnelle est exonérée d’impôt sur le revenu dans la limite suivante (la plus haute est retenue) :
Soit deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son contrat de travail, dans la limite de 6 fois le PASS (263.952 euros en 2023) ;
Soit 50% du montant de l’indemnité si ce seuil est supérieur, toujours dans la limite de 6 fois le PASS ;
Soit le montant de l’indemnité de licenciement prévue par la convention collective de branche, par l’accord professionnel ou interprofessionnel ou, à défaut, par la loi, et ce sans limite [2].
2. La solution de l’arrêt.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 février 2023, une salariée avait été licenciée pour ses méthodes managériales autoritaires et inappropriées à l’égard de plusieurs salariés.
Une transaction avait été conclue entre cette salariée et son ancien employeur, prévoyant le versement d’une indemnité transactionnelle de 60.000 euros afin de compenser l’ensemble des préjudices qu’elle estimait avoir subis du fait de la rupture de son contrat de travail.
L’indemnité transactionnelle revêtait donc la nature d’une indemnité de rupture, ce qui n’était d’ailleurs pas contesté.
Cette indemnité n’avait pas été déclarée à l’administration fiscale, n’excédant pas les plafonds d’exonération visés ci-dessus (cf. § 1).
Après un contrôle sur pièces, la contribuable a été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, en raison de l’imposition de son indemnité transactionnelle.
Or, le redressement opéré par l’administration fiscale a été approuvé par la Cour administrative d’appel de Paris, aux motifs suivants :
Pour déterminer si une indemnité versée en exécution d’une transaction conclue à l’occasion de la rupture d’un contrat de travail est imposable, il appartient à l’administration et, lorsqu’il est saisi, au juge de l’impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes qui font l’objet de la transaction.
Ces dernières ne sont susceptibles d’être regardées comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mentionnée à l’article L1235-3 du Code du travail que s’il résulte de l’instruction que la rupture des relations de travail est assimilable à un tel licenciement. Dans ce cas, les indemnités accordées au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse sont exonérées.
Il appartient à l’administration et, lorsqu’il est saisi, au juge de l’impôt, au vu de l’instruction, de rechercher la qualification à donner aux sommes objet de la transaction, en recherchant notamment si elles ont entendu couvrir, au-delà des indemnités accordées au titre du licenciement, la réparation de préjudices distincts, afin de déterminer dans quelle proportion ces sommes sont susceptibles d’être exonérées.
A l’appui de ces motifs, la Cour a considéré qu’en l’espèce, le licenciement de la salariée ne pouvait être considéré comme sans cause réelle et sérieuse :
« au regard de l’ensemble de ces éléments, d’une part, la rupture des relations de travail de Mme F... avec la société Hays Pharma ne peut être assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité versée à cette occasion ne peut être regardée comme une indemnité mentionnée par l’article L1235-3 du Code du travail (…) ».
NB. La salariée invoquait également un harcèlement moral et le raisonnement adopté par la Cour, sur cet aspect, est similaire.
3. Une décision porteuse d’insécurité juridique.
Il résulte de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris que l’indemnité transactionnelle (portant sur la rupture du contrat de travail) n’est susceptible d’être exonérée que s’il résulte des éléments factuels du dossier que le licenciement du salarié est injustifié.
Or, en concluant une transaction, l’employeur et le salarié restent chacun sur leur position respective.
L’essence même de la transaction est de régler un litige à l’amiable en évitant l’aléa judiciaire.
Il est donc incohérent de subordonner le régime social et fiscal de l’indemnité transactionnelle à la démonstration du caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement.
La solution de l’arrêt est d’autant plus incertaine qu’elle contredit la doctrine administrative, telle qu’exprimée clairement dans le BOFiP [3] :
« Les dispositions du 3° du 1 de l’article 80 duodecies du CGI exonèrent d’impôt sur le revenu les indemnités de licenciement à concurrence de leur montant légal ou conventionnel. Dès lors, mais dans la seule mesure où il est liquidé conformément aux dispositions légales ou conventionnelles applicables, notamment aux règles d’assiette et d’ancienneté fixées pour le calcul de l’indemnité considérée, ce montant est en totalité affranchi de l’impôt sur le revenu.
Dans l’hypothèse où les indemnités perçues, par exemple en exécution d’un accord d’entreprise, du contrat de travail ou d’une transaction, sont d’un montant supérieur aux dispositions légales ou aux stipulations conventionnelles, le montant exonéré est égal à 50 % du montant total des indemnités perçues ou, si ce montant est plus élevé, à deux fois la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture du contrat de travail. Toutefois, lorsqu’elles trouvent à s’appliquer, ces limites ne peuvent porter l’exonération au-delà d’un plafond égal à six fois le montant annuel du plafond de la sécurité sociale ».
Le BOFip rappelle, à juste titre, qu’en cas de versement d’une indemnité transactionnelle assortie d’une clause de non-concurrence, la contrepartie financière de cette dernière est intégralement imposable.
En effet, il s’agit alors d’un élément de salaire.
Cependant, en dehors de cette hypothèse, l’indemnité transactionnelle de rupture n’est pas imposable, si elle respecte les plafonds susvisés.
La Direction générale des Finances Publiques rappelle cette réalité juridique, en répondant à la question suivante : « J’ai perçu une indemnité transactionnelle, dois-je la déclarer ? » [4] :
« Cette indemnité transactionnelle constitue une majoration, un complément de l’indemnité de licenciement versée.
Il convient d’ajouter les montants de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité transactionnelle, puis d’appliquer à la somme obtenue le régime d’exonération d’impôt sur le revenu applicable à l’indemnité de licenciement.
Ainsi, le cumul de ces deux indemnités est exonéré à hauteur du plus élevé des trois montants suivants :
l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (indemnité prévue par la convention collective de branche ou par l’accord professionnel ou interprofessionnel - à l’exclusion d’un éventuel accord d’entreprise) ;
50% de l’indemnité totale (dans la limite de 246 816 euros pour 2020, 2021 et 2022) ;
le double de la rémunération annuelle brute perçue au cours de l’année civile précédant la rupture du contrat de travail (dans la limite de 246 816 euros pour 2020, 2021 et 2022) ».
Dans un arrêt du 1er avril 2015 (CE 1-4-2015 n° 365253), le Conseil d’Etat a pu considérer que l’indemnité transactionnelle versée à un salarié ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail peut être exonérée d’impôt s’il est établi que l’intéressé aurait pu prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour le Conseil d’Etat,
« les sommes perçues par un salarié en exécution d’une transaction conclue avec son employeur à la suite d’une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail ne sont susceptibles d’être regardées comme des indemnités mentionnées à l’article L122-14-4 du Code du travail, devenu l’article L1235-3 du même code, que si le salarié apporte la preuve que cette prise d’acte est assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de faits de nature à justifier la rupture du contrat aux torts de l’employeur ; que, dans le cas contraire, la prise d’acte doit être regardée comme constitutive d’une démission et l’indemnité transactionnelle soumise à l’impôt sur le revenu ».
Si cette position se justifie compte tenu de la particularité de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, elle est beaucoup plus contestable lorsque la transaction succède à un licenciement.
En conclusion, la rédaction de la transaction - et notamment de son préambule - doit être extrêmement soignée, afin de limiter le risque de remise en cause du régime fiscal (et donc social) de l’indemnité.