Le législateur pourrait se satisfaire d’avoir agi en ce sens par l’adoption de textes permettant de lutter contre le harcèlement scolaire [1], le harcèlement au travail [2], au domicile [3], sur la voie publique [4], qu’il s’agisse de harcèlement moral [5], sexuel [6], téléphonique [7], de cyberharcèlement [8] ou de revenge-porn [9].
Mais lutter contre le harcèlement c’est aussi : renforcer l’importance de la parole de la victime présumée en lui accordant un droit de regard sur la décision de sanction - ou de non-sanction - adoptée après la dénonciation des faits.
Or, le législateur a fait le constat de l’invisibilité de la victime dans le cadre des procédures précontentieuses [10] visant à lutter contre le harcèlement. En pratique, limitées à la dénonciation des faits, les prérogatives des victimes sont souvent réduites à peau de chagrin.
Le législateur s’est donc interrogé sur la nécessité de créer un statut spécifique en faveur des victimes présumées de harcèlement, afin de faciliter la lutte contre ce fléau par :
- La participation active des victimes à l’établissement de la réalité des faits et leur droit à être écoutées tout au long de ce processus ;
- Et par la consécration du droit des victimes de contester l’inaction ou l’action considérée comme légère des personnes compétentes pour agir vis-à-vis de l’auteur présumé des faits.
C’est en synthèse ce qui résulte des récents travaux parlementaires sur le sujet et précisément : la proposition de loi n° 252 visant à mieux lutter contre le harcèlement scolaire (1) [11], et la proposition de loi n° 2507 visant à créer un statut de victime de harcèlement dans l’administration (2) [12].
1. Dans le cadre d’une proposition de loi n° 252 visant à mieux lutter contre le harcèlement scolaire, le législateur envisage d’imposer à l’établissement scolaire :
- D’apporter une réponse à la victime présumée et à sa famille dans un délai de quinze jours après avoir pris connaissance des faits se rapportant à du harcèlement ;
- D’engager une enquête interne et d’y entendre la victime présumée ;
- D’informer la victime présumée et sa famille sur ses droits, notamment le droit de changer d’établissement ou encore le droit d’exercer des poursuites judiciaires ou pénales ;
- De communiquer à la victime présumée et sa famille les résultats de l’enquête interne ;
- De convoquer un conseil de discipline s’il apparait que les faits sont avérés, indépendamment de toutes poursuites pénales.
Cette proposition de loi permet de renforcer la parole de la victime présumée dès lors que sa dénonciation des faits impose à l’établissement qui en aurait pris connaissance d’agir. Une inaction de sa part, constituerait alors une faute de l’établissement, d’autant plus que l’article R421-10 du Code de l’éducation prévoit que le chef d’établissement assure la sécurité des personnes et des biens, est responsable de l’ordre dans l’établissement et engage une procédure disciplinaire
« lorsque l’élève commet des actes de harcèlement, notamment de cyberharcèlement, à l’encontre d’un autre élève, y compris lorsque ce dernier est scolarisé dans un autre établissement (…) ».
Cette proposition de loi permet par ailleurs d’accorder à la victime un droit de regard sur les mesures prises puisque si elle estime que la réaction du chef d’établissement est insuffisante, elle peut exercer un recours. Il s’agira nécessairement et en préalable d’un recours hiérarchique avant tout recours juridictionnel.
2. Dans le cadre de la proposition de loi n° 2507 visant à créer un statut de victime de harcèlement dans l’administration, le législateur envisage d’imposer à l’administration :
- D’informer la victime présumée de harcèlement de l’engagement d’une procédure disciplinaire à l’encontre de l’auteur présumé des faits « quel que soit le niveau de sanction envisagé » ;
- De permettre à la victime présumée d’exercer un droit d’accès au dossier se rapportant à cette procédure disciplinaire ;
- De permettre à la victime présumée de présenter des observations à tout moment de la procédure devant l’instance disciplinaire ;
- De notifier à la victime présumée la décision disciplinaire adoptée à l’encontre de l’auteur présumé des faits.
Là encore, cette proposition de loi permet de renforcer la parole de l’agent présumé victime de harcèlement. Elle deviendrait en effet particulièrement utile pour l’établissement de la réalité des faits puisque l’accès préalable au dossier permettrait à l’agent de connaître l’étendue des informations en possession de l’instance disciplinaire pour juger de l’affaire. Ainsi, l’agent pourrait présenter toutes les observations utiles pouvant venir en complément, en confirmation ou en opposition des éléments du dossier afin de permettre à l’instance disciplinaire de disposer d’éléments plus exhaustifs pour se prononcer et motiver sa décision.
Enfin, cette proposition de loi permettrait également à l’agent présumé victime de harcèlement de disposer d’un droit de regard sur l’issue de la procédure disciplinaire puisqu’il disposerait du droit de se voir notifier la décision rendue par l’instance disciplinaire et de la contester.
On assisterait ici à une nouveauté puisque classiquement seuls prennent part à une procédure disciplinaire l’auteur présumé des faits et les membres de l’instance disciplinaire. Pour des raisons de vie privée et de confidentialité, il n’est jusqu’ici pas admis que les éléments d’une procédure concernant personnellement un agent, un salarié ou un élève soient communiqués à un tiers.
Sans la consécration d’un tel droit de regard, les victimes présumées ne pourraient revendiquer en phase précontentieuse, un accès au dossier disciplinaire de l’auteur présumé des faits ou la communication de la décision qui aurait été rendue par l’instance disciplinaire.
La promulgation de ces textes aurait in fine l’avantage :
- D’encadrer de façon plus formelle les conditions de gestion des faits de harcèlement au sein d’un établissement scolaire ou au sein de l’administration ;
- D’instaurer une procédure contradictoire précontentieuse à laquelle la victime serait entièrement partie. En cette qualité de partie, il ne pourrait lui être opposé le respect au droit à la vie privée ou les dispositions du RGPD [13] pour lui refuser la communication des éléments du dossier d’enquête ou disciplinaire de l’auteur présumé des faits ;
- De faciliter et encourager le règlement interne d’un différend en faisant intervenir en amont toutes les parties concernées et en les mettant en mesure de participer activement à l’établissement de la vérité ;
- En cas d’échec de la tentative de règlement interne, l’exercice des droits d’information et de communication prévus par ces propositions de lois au stade de la procédure disciplinaire permettrait aux parties de disposer en amont d’éléments probatoires dans l’hypothèse où il apparaitrait nécessaire d’exercer un recours hiérarchique ou juridictionnel.
Par ces deux propositions de lois, le législateur affiche sa volonté renouvelée de s’emparer de la question de l’amélioration des conditions de prise en compte des victimes de harcèlement.
La solution semble résider dans une forme de judiciarisation du traitement des problématiques de harcèlement en phase précontentieuse. On emprunterait en quelque sorte les codes du procès [14] pour attribuer à la victime une place pleine et entière dans le processus de lutte contre le harcèlement en phase précontentieuse.
Ces textes étant encore en travaux, il est loisible de s’interroger sur leur évolution et notamment sur un éventuel accroissement de cet emprunt aux codes du procès particulièrement au regard du principe essentiel d’impartialité des organes d’enquête et décisionnaires, dont l’assurance est parfois remise en cause par les victimes ou leurs proches.
En tout état de cause, quelle que soit l’échéance de la promulgation d’un texte portant sur l’instauration d’un statut spécifique pour les victimes de harcèlement, il apparait primordial pour celles-ci de se faire conseiller et accompagner au mieux eu égard à la multiplicité des textes et des procédures susceptibles d’être mises en œuvre selon le contexte du harcèlement.