Par Isabelle Hartmann, Avocat.

Un maire peut-il limiter l’activité de l’enseignement du surf sur sa commune ?

Deux décisions de justice rendues en 2023 à propos du littoral landais se prononcent sur la possibilité pour un Maire de faire usage de ses pouvoirs de police pour limiter la pratique de l’enseignement du surf sur sa commune. L’une de ces décisions apporte des précisions sur les arguments qu’une école de surf peut faire valoir pour démontrer l’urgence à suspendre un arrêté municipal réglementant son activité. Les 2 décisions commentées sont les suivantes : un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux [1], décision passée en force de chose jugée, et une ordonnance du juge du référé-suspension du Tribunal administratif de Pau [2].

1. Les pouvoirs de police du Maire en matière de baignades et d’activités nautiques.

Article L2213-23 duCode général des collectivités territoriales.

Sur le territoire communal, le Maire dispose de pouvoirs de police pour assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique  » (articles L2212-1 et L2212-2 du Code général des collectivités territoriales). Ainsi, il peut réglementer les marchés, le stationnement sur la voie publique, les établissements recevant du public, les cimetières, immeubles menaçant ruine, etc.

S’agissant des baignades et activités nautiques, le Maire dispose de pouvoirs de police allant du rivage de la mer jusqu’à 300 mètres dans les eaux (L2213-23 du Code général des collectivités territoriales).

Ses pouvoirs sont les suivants :

« (…) Le maire réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours.
Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance. Hors des zones et des périodes ainsi définies, les baignades et activités nautiques sont pratiquées aux risques et périls des intéressés.
Le maire est tenu d’informer le public par une publicité appropriée, en mairie et sur les lieux où elles se pratiquent, des conditions dans lesquelles les baignades et les activités nautiques sont réglementées
 ».

La question qui se pose est celle de savoir si le Maire peut s’appuyer sur les pouvoirs qu’il détient en matière de baignades et d’activités nautiques pour soumettre à autorisation préalable la pratique de l’enseignement du surf sur les plages de sa commune.

2. Limiter l’enseignement du surf au titre du pouvoir de police des baignades et activités nautiques : est-ce légal ?

La première affaire [3] remonte à 2019, date où la ville de Lacanau avait organisé une procédure de sélection préalable pour attribuer 18 autorisations de surf. Les sociétés lauréates avaient ainsi reçues l’autorisation d’exercer leur activité, pour une durée de 5 ans, sur une partie réglementée des plages de la commune. Les sociétés non sélectionnées, en revanche, ne pouvaient dorénavant plus exercer cette activité sur lesdits emplacements.

Or, l’une des sociétés candidates, non retenue, a contesté le refus d’autorisation devant le juge administratif [4]. Elle soutenait surtout que le Maire avait agit sans base légale, ses pouvoirs de police spéciale ne lui permettant pas d’organiser une consultation pour limiter le nombre de moniteurs de surf.

Dans son arrêt, la cour administrative d’appel, rappelle, d’abord, que l’exécutif local peut prendre des mesures dans le but d’assurer la sécurité des lieux de baignade, celle des baigneurs, des pratiquants de sports nautiques ainsi que leur sauvetage.

Cependant, elle juge que les pouvoirs de police précités du Maire, pas plus que les dispositions législatives en vigueur, ne lui donnent le droit de limiter le nombre de moniteurs de surf, en instaurant une procédure de sélection :

« Toutefois, le maire de Lacanau ne tenait ni des dispositions précitées ni d’aucune autre disposition législative le pouvoir de soumettre l’exercice de l’enseignement de la pratique du surf à une autorisation préalable et ce, nonobstant la circonstance que le champ d’application de ce régime d’autorisation d’exercice serait circonscrit à une portion de plage de 4,5 km sur les 15 km que compte la commune de Lacanau et limité à la seule période d’ouverture des postes de secours ».

A cet égard, le « guide du surf » - co-élaboré avec l’Etat et préconisant l’organisation d’une procédure de sélection, ne constitue pas, selon la cour administrative d’appel, un document à portée normative, et donc susceptible d’attribuer une nouvelle compétence au Maire.

La juridiction administrative ajoute enfin que :

« si le maire tient de l’article L321-9 du Code de l’environnement le pouvoir d’apporter des limitations au droit d’accès aux plages pour des motifs de sécurité des piétons, ces dispositions ne l’autorisent pas davantage à soumettre l’exercice d’une activité d’enseignement de la pratique du surf à un régime d’autorisation préalable  ».

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a donc déclaré illégale la décision de refus d’autorisation de la commune de Lacanau, pour erreur de droit, et l’a annulée.

Si vous êtes dans une situation similaire, et qu’une décision administrative limite votre activité d’enseignement du surf, vous pouvez en solliciter la suspension, en urgence, puis l’annulation. Même si les deux décisions commentées ne se prononcent pas sur un tel cas de figure, il ne serait pas exclu de pouvoir introduire un recours indemnitaire à l’encontre de tels actes administratifs s’ils vous ont portés préjudice.

3. Former un référé-suspension pour suspendre les effets d’un d’arrêté municipal venant limiter la pratique de l’enseignement du surf.

La seconde affaire est une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Pau [5], lequel était saisi au titre d’un référé-suspension (L521-1 du Code de justice administrative).

Pour rappel, le référé-suspension, est une procédure par laquelle le juge des référés peut suspendre les effets d’une décision administrative si 2 conditions sont remplies :
- La situation du demandeur est caractérisée par l’urgence [6] ;
- Il existe un doute sur la légalité de la décision contestée.

Dans notre affaire, le Maire de Capbreton avait pris plusieurs arrêtés ayant pour effet de subordonner la pratique de l’enseignement du surf à une autorisation préalable.

Or, l’une des sociétés candidates, qui exploitait 2 écoles de surf, n’avait obtenu qu’une seule autorisation. Devant la limitation contrainte de son activité économique, la société a formé un référé-suspension à l’encontre de la décision de refus de la commune de retirer sa décision individuelle et d’abroger lesdits arrêtés municipaux.

S’agissant de la condition d’urgence, le juge des référés du Tribunal administratif de Pau va considérer que les décisions attaquées préjudicient de manière suffisamment grave et immédiate à la situation économique de la société et de son gérant en se fondant sur les éléments suivants :

  • Une attestation du comptable de la société indiquant qu’en 2021, lorsque la société avait le droit d’exercer son activité sur la plage des Océanides, elle y réalisait 13% de son chiffre d’affaires total ;
  • Le bilan comptable de l’année 2022 montrait que le chiffre d’affaires de la société avait baissé de 16,6% depuis qu’elle ne pouvait plus exploiter sa seconde école de surf sur la plage des Océanides ;
  • La société n’a obtenu un résultat net excédentaire en 2022 qu’au prix d’un abandon de compte courant du gérant d’un montant de 53 000 euros.

On peut constater que la société demanderesse n’a pas lésiné sur le nombre de pièces comptable à communiquer pour démontrer sa situation financière extrêmement fragile à la suite de l’entrée en vigueur de l’arrêté municipal.

De son côté, la commune de Capbreton soutenait que la suspension sollicitée s’opposait à la nécessité d’assurer la sécurité du littoral. Cependant, le juge des référés va estimer que la commune défenderesse ne justifie pas les « risques d’accidents » qu’elle invoque. Par conséquent, il reconnaît l’urgence de la situation.

S’agissant de la seconde condition, le juge des référés va considérer qu’il existe un doute sérieux sur la légalité des décisions litigieuses en reprenant la solution dégagée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux précédemment commentée : un Maire ne peut subordonner la pratique de l’enseignement de surf au titre de ses pouvoirs de police.

Il en ressort que si une école de surf forme un référé-suspension à l’encontre d’un tel arrêté municipal, elle devra, pour démontrer la condition liée à l’urgence, apporter des éléments comptables détaillés pour obtenir la suspension du ou des actes contestés.

Isabelle Hartmann
Avocat Droit Public
Barreau de Bayonne
hartmannavocat chez gmail.com
https://www.isabelle-hartmann-avocat.fr/

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

5 votes

Notes de l'article:

[12 mai 2023, n° 21BX04708.

[213 juillet 2023, 2301640.

[4Le requérant a d’abord formé un référé-suspension, devant le Tribunal administratif de Bordeaux, qu’il a remporté en obtenant la suspension des décisions contestées. Par la suite, le juge administratif du fond, de la même juridiction, lui a donné satisfaction en se prononçant pour l’annulation des décisions litigieuses.

[6Le requérant doit démontrer que l’acte contesté porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à sa situation ou aux intérêts qu’il entend défendre.

Commenter cet article

Discussion en cours :

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit, certifié 6e site Pro en France: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 154 100 membres, 25217 articles, 126 860 messages sur les forums, 4 340 annonces d'emploi et stage... et 1 400 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Podcast] Procès de Monique Olivier : focus sur la fonction de criminologue (épisode 2).

• 14ème concours des Dessins de justice 2023, imaginez les "vœux du Droit" !




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs