1.- Contexte. La presse se fait actuellement l’écho de conversations d’une riche héritière avec ses différents conseils, enregistrées à son insu par son ancien maître d’hôtel, semble-t-il.
L’objet de ce billet n’est pas de donner une opinion sur le fond de cette affaire ni de commenter le contenu des verbatim ou le procédé qui a permis de les recueillir, mais uniquement de déterminer la valeur juridique de ces enregistrements clandestins.
Dans cette optique, disons donc simplement, quant au contenu, qu’il y a peut être matière à enquête et, quant au procédé, qu’il constitue potentiellement une infraction et porte incontestablement atteinte à l’intimité de la vie privée.
Or, l’on peut raisonnablement former l’hypothèse que les verbatim vont être versés au dossier des procédures judiciaires en cours (on songe à la procédure ouverte contre l’un des proches de cette dame âgée, du chef d’abus de faiblesse).
En outre, les mêmes verbatim devraient servir de support à l’ouverture de nouvelles procédures judiciaires de nature civile ou pénale (enquêtes du procureur de la République, citation directe à l’initiative des parties civiles). A cet égard, on annonce déjà des actions croisées des chefs respectifs de violation de la vie privée et diffamation.
2.- Question. Quoiqu’il en soit des suites judiciaires des verbatim litigieux, il est ainsi certain que la question de leur admissibilité comme moyen de preuve va se poser.
On se propose ainsi, gracieusement et en toute indépendance - deux vertus apparemment à la peine dans notre chère République - de donner ci-après quelques pistes de réflexion qui participent à la réponse.
3.- Principes. La question, tout d’abord, n’est pas neuve. Elle est même classique et paraît pouvoir être résolue assez simplement.
Par principe en effet les procédés de preuve déloyaux sont irrecevables devant les juridictions civiles alors que les juridictions pénales les acceptent. Il faut cependant nuancer.
3.1.- Devant les juridictions civiles, les choses sont apparemment claires : la Cour de cassation énonce en effet que « l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue » (cf. Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, GP 31 décembre 2004, p.9 note B. de Belval).
De fait, la captation, l’enregistrement, ou la transmission, sans le consentement de leur auteur, de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel est un procédé à tout le moins déloyal puisqu’il est de nature à constituer également le délit d’atteinte à la vie privée prévu et réprimé par les dispositions de l’article 226-1 du Code pénal.
On prendra cependant garde de ne pas confondre les procédés de preuve déloyaux (enregistrement illicites) avec ces autres procédés de preuve qui sont simplement nouveaux, comme le SMS, ou le message laissé sur un répondeur téléphonique.
Dans ce cas en effet, la Cour de cassation admet ces modes modernes de communication comme preuve, au motif que « si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ». (cf. Cass. soc. 23 mai 2007, pourvoi n° 06-43.209, JCP G n° 30, 25 juillet 2007, II 10140, commentaire L. Weiller, et plus récemment Cass. civ.1 17 juin 2009, pourvoi n° 07-21.796).
En l’espèce, dans quelle catégorie ranger les enregistrements réalisés clandestinement par le maître d’hôtel ?
A priori, dans celle des enregistrements illicites, dans la mesure où ils semblent avoir été réalisés à l’insu de l’auteur des propos.
On pourrait certes soutenir à l’inverse qu’il est si bien connu qu’il est si difficile de trouver du bon personnel qu’il est bien imprudent de parler devant ses domestiques.
La thèse est osée, mais comme toute thèse parfaitement défendable … surtout à l’heure où la multiplication des moyens d’écoute et d’espionnage en tout genre, désormais à la portée de tous, devrait inviter à la prudence.
Solution qui pourra sembler sévère mais serait en accord avec l’adage selon lequel le droit ne protège pas les imprudents…
Les imprudents, sans doute pas, mais les personnes vulnérables, qu’il s’agisse de mineurs ou de « majeurs protégés », précisément, si.
D’où cette autre thèse, tout aussi osée, mais tout aussi défendable, et qui semble constituer la ligne de défense du majordome, selon laquelle les enregistrements et leur diffusion n’avaient d’autre but que celui de démontrer l’abus de faiblesse dont serait victime son employeur.
Disons ainsi, en guise de conclusion sur ce premier point, qu’en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation, ces thèses n’ont que peu de chances de l’emporter, sauf à provoquer un revirement ou à tenir compte des circonstances très particulières de l’espèce.
Aussi, bien que la question de la recevabilité comme moyen de preuve devant les juridictions civiles des enregistrements clandestins litigieux ne soit pas définitivement tranchée, on incline plutôt vers la négative.
3.2.- Devant les juridictions pénales, la solution semble a priori plus simple, l’article 427 du Code de procédure pénale autorisant à établir les infractions par « tout mode de preuve ».
Cela implique, selon la jurisprudence de la chambre criminelle, que les preuves obtenues de manière déloyale, voire même illégale sont en principe recevables.
Il existe cependant trois atténuations de ce principe.
i) Premièrement, seules les parties, c’est-à-dire les prévenus et les parties civiles, peuvent faire usage de procédés déloyaux ou illégaux, à l’exclusion des organes de la procédure (magistrats et enquêteurs) qui ne peuvent aucunement en être à l’origine.
Cependant, les magistrats examinent et peuvent fonder leur décision sur ces éléments de preuve déloyaux.
En outre, le ministère public pourrait ouvrir une enquête sur le fondement de ces éléments puisqu’il ne doit aucun compte de sa décision.
A titre d’exemple, il est loisible au parquet d’ouvrir une procédure d’enquête préliminaire sur le fondement de fichiers dérobés au préjudice d’une banque étrangère.
ii) Deuxième atténuation du principe de recevabilité des moyens de preuve déloyaux devant les juridictions pénales : l’obtention de ces éléments peut exposer la partie qui s’en prévaut à des poursuites sur le fondement de l’atteinte à la vie privée, comme on l’a vu plus haut (cf. par exemple Cass. crim. 31 janvier 2007 ; Bull. n° 27).
Voilà qui est de nature à décourager les velléités des appentis espions même si, finalement, tout est question de bilan coût-avantage.
Car que pèse une condamnation potentielle à une amende de 45 000 euros et un emprisonnement, virtuel pour un primo délinquant, d’un an de prison au maximum, face à l’espoir de gain d’un procès, ou de gain tout court ?
iii) Troisième frein à l’utilisation dévoyée des moyens de preuve obtenus de manière illicite : la protection de la vie privée, qui intéresse particulièrement l’affaire en cause et paraît guider là encore la solution.
En effet, même dans une procédure pénale, la Cour de cassation conditionne depuis peu la recevabilité des moyens de preuve au respect de la vie privée (cf. Cass. crim. 24 avril 2007 ; pourvoi n° 06-88.051).
Le juge pénal doit ainsi, lorsqu’il est confronté à une offre de preuve dont l’examen publique et contradictoire, au cours d’une audience pénale, est de nature à porter atteinte à la vie privée, estimer si un tel examen constitue une mesure nécessaire et proportionnée à la défense de l’ordre et à la protection des droits de la partie civile, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La chambre criminelle de la Cour de cassation semble donc, à l’instar des chambres civiles, protéger la vie privée contre les atteintes qui lui seraient portées par les plaideurs.
4.- Conclusion. Il apparaît ainsi que la vie privée est considérée, en droit, comme une valeur particulièrement digne de protection et qu’à ce titre, elle permet de tenir en échec aussi bien l’objectif de justice que poursuivent les juridictions civiles que les nécessités de la répression qui animent les juridictions pénales.
Les enregistrements litigieux, alors qu’ils ont déjà beaucoup fait parler d’eux, seront ainsi difficilement admis comme preuve dans les diverses procédures dans lesquelles ils vont s’inviter, être conviés, ou auxquelles ils donneront lieu.
A cet égard, les juridictions civiles se montreront vraisemblablement plus strictes que les juridictions pénales, ces dernières devant, pour refuser ces éléments, démontrer le caractère disproportionné de l’atteinte portée à la vie privée au regard des autres intérêts protégés.
On lira ainsi avec intérêt les différentes décisions à intervenir sur ce point car, en fonction de leur sens et de leur motivation, elles décourageront, ou au contraire encourageront, les procédés d’écoute clandestine.
Quant à savoir si l’on peut-on attenter à la vie privée d’une personne considérée comme vulnérable pour lui procurer contre son gré les moyens de sa défense, on se gardera de répondre ici.
Benoît Denis
Avocat au Barreau de Paris