La directive CSRD bouleverse les règles du jeu.
La directive européenne CSRD, entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2024 et transposée en France par l’ordonnance du 6 décembre 2023, impose aux grandes entreprises un reporting de durabilité extra-financier incluant leurs actions de mécénat. Les entreprises dépassant deux des trois critères (bilan > 25 M€, CA > 50 M€, effectif > 250 salariés) doivent désormais justifier l’impact et la cohérence de leurs actions philanthropiques avec leur stratégie ESG.
Cette évolution transforme fondamentalement la relation donateur-bénéficiaire. Les entreprises exigent une due diligence préalable, une traçabilité totale des fonds [3] et des indicateurs d’impact mesurables. Où se situe alors la frontière entre mécénat (don sans contrepartie) et parrainage (prestation commerciale) ? L’intensification du contrôle par les mécènes fait peser un risque de requalification fiscale qu’il convient d’anticiper.
Des obligations renforcées pour les fondations.
Les fondations universitaires, régies par les articles R719-194 à R719-205 du Code de l’éducation, font face à un arsenal juridique contraignant. Dès 153 000 euros de dons annuels [4], l’obligation de certification des comptes s’impose. Depuis 2021, les organismes doivent déclarer annuellement leurs dons, renforçant la traçabilité fiscale.
Plus inquiétant : la Cour des comptes peut désormais contrôler "la conformité entre les objectifs et les dépenses financées par les dons" [5]. Cette épée de Damoclès reste peu utilisée, mais constitue une menace réelle.
Le statut hybride des fondations universitaires - créées au sein d’établissements publics mais soumises au droit privé - génère des zones grises en matière de gouvernance. Le cas de l’université Paris-Dauphine illustre ces tensions : sa fondation a été restructurée entre 2017 et 2022, passant de 18 à 10 salariés pour recentrer l’activité sur la collecte de fonds. Cette transformation, bien que douloureuse, a permis de doubler les montants collectés tout en professionnalisant l’approche.
Le spectre du greenwashing philanthropique.
Le greenwashing s’étend désormais à la philanthropie. La directive Green Claims, adoptée début 2024, impose de justifier toute allégation environnementale. Les sanctions peuvent atteindre 4% du chiffre d’affaires. En France, la loi Climat et Résilience du 24 août 2021 sanctionne les communications trompeuses via l’article L121-3 du Code de la consommation.
Une fondation servant de "façade verte" à une entreprise polluante risque non seulement sa réputation, mais aussi son agrément fiscal. Dans les cas extrêmes, la complicité active dans une opération de greenwashing pourrait engager la responsabilité pénale des dirigeants.
Sécuriser les partenariats : les clauses essentielles.
Face à ces enjeux, plusieurs points contractuels méritent attention :
- Définition de l’objet : les contreparties ne doivent pas excéder 25% du don, seuil de requalification fiscale
- Obligations de reporting : sans basculer dans un contrôle de gestion incompatible avec le don désintéressé
- Clauses de gouvernance : pour préserver l’indépendance de la fondation
- Gestion des risques réputationnels : clauses de "good behavior" prévoyant les conséquences d’un comportement contraire aux valeurs affichées
- Propriété intellectuelle : particulièrement pour les projets de recherche.
La professionnalisation, clé du succès.
L’époque de l’amateurisme éclairé est révolue. Les enjeux juridiques imposent le recrutement de professionnels rompus au droit fiscal et au reporting ESG. L’Insead (60 personnes, 400 M€ levés) ou HEC (112 M€ entre 2007-2013) démontrent que cette professionnalisation est la clé du succès.
Cette transformation nécessite une redéfinition claire : les fondations doivent se recentrer sur leur cœur de métier - la collecte de fonds et la structuration de partenariats - en laissant les missions opérationnelles à l’université.
Le mécénat français entre dans l’ère de la compliance. Les organismes qui sauront anticiper ces évolutions, structurer leurs process et nouer des partenariats équilibrés sortiront renforcés. Les autres risquent la marginalisation, incapables de répondre aux exigences légitimes de transparence que requiert désormais toute action d’intérêt général.


