[Point de vue] La médiation, un MARD plus abouti que la conciliation de justice ?

Par Christian Badé, Conciliateur de justice.

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Un conciliateur est saisi pour un problème de bornage qui n’avait pas été traité lors d’une précédente conciliation de justice au motif qu’il n’était pas l’objet de la saisine.
Est-ce ce normal ? Y a-t-il différentes méthodes ou règles en la matière ? L’approche du conciliateur est-elle si différente de celle du médiateur ?
Autant de questions pour étudier la méthodologie utilisée par le conciliateur lors d’une tentative de règlement amiable d’un différend de personnes comportant plusieurs sujets. Diffère-t-elle de celle du médiateur qui privilégie une approche globale incluant tous les éléments constitutifs du litige ?
MARD : Mode Amiable ou Alternatif de Règlement des Différends.

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Difficile de comprendre qu’une telle situation n’ait pu donner lieu au traitement de l’ensemble des éléments constitutifs du différend, à partir du moment où ces éléments étaient légitimes, partie intégrante du litige et s’avéraient décisifs pour apaiser la situation puis rechercher tant que faire se peut une solution équitable et pérenne.

I - L’arbre qui cache la forêt ou la partie immergée de l’iceberg.

Dans cette affaire, l’objet de la saisine concernait l’élagage d’une haie et les dégradations subies par une voie d’accès mitoyenne, sujets qui avaient été qualifiés de « quelques difficultés rencontrées dans les relations de voisinage » par le conciliateur qui n’avait a priori pas décelé l’origine du litige ni mesuré son ampleur. L’affaire s’était soldée par un constat d’échec.
Le défendeur avait alors écrit au conciliateur pour s’étonner que sa demande, présentée lors de la réunion de conciliation, n’avait pas été prise en compte. Elle s’appuyait sur un procès-verbal de bornage contradictoire et de rétablissement de limites a priori non respecté.
Le constat d’échec ne lui était d’aucune utilité pour une éventuelle action en justice.
Le conciliateur lui avait répondu que lors d’une réunion de conciliation, les parties pouvaient tenter d’étendre l’objet du différend afin de parvenir à un accord. Toutefois, en cas d’échec de la tentative de conciliation, le constat d’échec ne reprenait que l’objet initial de la saisine telle comme exprimé par le demandeur. Si le défendeur souhaitait faire valoir la/les demandes qu’il avait à son tour exprimée(s), il convenait qu’il procède, en qualité de demandeur cette fois, à une saisine afin de relancer un processus de conciliation sur cette base.

En conciliation conventionnelle, une telle situation occasionnant deux saisines pour un même différend semble improductive. L’expérience montre en effet qu’un litige lié aux espaces verts est souvent un prétexte qui cache en réalité un différend de personnes qui a atteint son paroxysme. En l’espèce, le différend était né sept ans plus tôt lorsque les conseils des parties avaient échangé des courriers au sujet des limites de propriété conduisant trois ans après le défendeur à faire appel à un géomètre expert.

Le juge devant lequel une telle affaire peut être portée directement ne s’y trompe pas : il fait désormais injonction [1] aux parties de recourir à une tentative de conciliation amiable : « Au regard des éléments produits, de la nature du litige, du fait que seule une co-construction permettra de trouver une solution efficace, apaisée et pérenne, étant rappelé que les parties sont voisines, ce qui ne changera pas à l’issue de la procédure, il convient de renvoyer l’affaire devant un conciliateur de justice, afin qu’il soit tenté de trouver une solution amiable au conflit existant ».
L’on voit bien ici, dans le cas d’un litige alimenté par un profond différend de personnes, qu’il est vivement souhaitable de tenter d’abord d’y mettre fin pour espérer ensuite parvenir à un accord équitable et durable.

II - A la différence de la médiation, la conciliation de justice ne s’inscrit pas dans une approche globale.

Force est de constater que le médiateur a rarement à connaître de troubles de voisinage liés à des espaces verts pour lesquels le conciliateur de justice, auxiliaire de justice assermenté, jouit d’un quasi-monopole dans un contexte favorable lié à sa gratuité et sa proximité.
En revanche, lorsqu’il est saisi d’un litige, le médiateur conduit le processus de médiation en prenant en compte l’ensemble des problématiques exposées par les médiés puis facilite leurs échanges pour qu’ils puissent établir ou rétablir des liens dégradés par le conflit. C’est ce dialogue global qui permet en général de parvenir à un accord mutuellement satisfaisant.

En conciliation conventionnelle, la situation est différente puisque le conciliateur prend seulement en compte l’objet de la saisine qu’il peut ensuite décider d’étendre en fonction des éléments présentés par le défendeur, dans la mesure où ces derniers apportent un éclairage, voire une réponse à celui-ci.
En revanche, si le défendeur présente à son tour un sujet qui n’est pas en lien avec l’objet de la saisine, fut t’il important, il ne sera pas pris en compte.
Conséquence directe : loin d’avoir été apaisée, la situation entre les deux conciliables sera exacerbée par la frustration de ne pas avoir eu gain de cause pour le premier et de ne pas avoir été entendu par le second.
Nous serons alors loin de l’objectif « concilier pour réconcilier ».

En effet, en matière de trouble de voisinage concernant des plantations, le « demandeur » ou initiateur de la conciliation est rarement le seul à subir un préjudice ; il peut être seulement le premier à en invoquer.
En médiation, il n’existe pas de distinguo demandeur/ défendeur transposé du mode judiciaire. Il y a seulement deux médiés sur un même pied d’égalité. En outre, la médiation peut constituer un mode préventif afin d’éviter qu’un litige ne prenne davantage d’ampleur.
Le risque n’est pas négligeable, en effet, lors de la seconde tentative de conciliation, que la frustration des conciliables conduise à une situation difficilement gérable pour le second conciliateur, situation susceptible de déboucher sur un constat d’échec puis une procédure judiciaire.
In fine, un seul et même différend de personnes peut aboutir successivement à deux constats d’échecs avec deux objets distincts : le premier concernant un problème d’espaces verts et de dégradation de voie d’accès, le second une question de bornage et de limites de propriété.
Une situation qui pourrait conduire exceptionnellement à deux assignations. En ce cas, le juge aura l’intelligence de les lier.
Cette approche n’aurait elle pas pu s’effectuer dès la première tentative de conciliation amiable ?
En ce domaine, le médiateur n’a t’il pas une longueur d’avance ?

Christian Badé, Conciliateur de justice
Cour d’Appel de Versailles

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Notes de l'article:

[1Conciliation judiciaire déléguée à un conciliateur.

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Discussions en cours :

  • par G NICOLAS , Le 20 octobre à 20:14

    Merci à Jean-Louis LASCOUX d’avoir adouci le jugement entre les 2 métiers parallèles
    Certes les conciliateurs sont un peu plus centrés sur la résolution du conflit présenté par le demandeur mais 80 % de médiateurs agréés par les Cours d’appel sont issus de professions juridiques
    Et il est peut être hasardeux de tirer d’un cas isolé et non documenté, présenté comme fautif, une conclusion généralisante entre les pratiques très diversifiées.

  • par Jean-Louis Lascoux , Le 15 octobre à 09:25

    Votre article fait bien la distinction entre le rôle d’un conciliateur et celui d’un médiateur. Cette différence fait débat depuis longtemps. Néanmoins, je ne pense pas qu’il faille considérer que le médiateur a une "longueur d’avance" par rapport au conciliateur. Celui-ci a une place concernant l’aspect technique (le litige) d’un différend.
    - Si le différend peut être réglé par une intervention portant sur la technicité, c’est rapide. Je dirais alors : pourquoi pas la présence d’un conciliateur ?
    - Mais en effet, si le différend est de nature relationnelle, s’il s’agit d’un conflit, alors le médiateur doit être un professionnel de la résolution (et non de la "gestion") des conflits.
    Ces deux aspects sont des invariants relationnels, qui se complètent avec le juridique, dans la conception que nous avons du "contrat social". Ces trois invariants constituent ce que j’ai nommé le "JTE versus ET(J)".
    Enfin, il reste, chez beaucoup de médiateurs intervenant tant en milieu judiciaire qu’en médiation conventionnelle, des compétences à acquérir qui réduisent la longueur d’avance que vous leur supposez.

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