On évoque depuis longtemps cette technique parlementaire. Elle consiste à censurer le gouvernement pour ne pas simplement le renverser, mais pour en même temps présenter une nouvelle équipe gouvernementale, disposant d’une majorité, est une possibilité inscrite dans plusieurs constitutions en Europe (Allemagne, Belgique, Espagne, Hongrie, Pologne et Slovénie).
L’exemple allemand est le plus pertinent. Ce type de motion, inventé par la Loi fondamentale d’Allemagne, empêche ainsi toute coalition de circonstance (ou « coalition des extrêmes ») entre des partis qui, une fois la censure votée, ne pourraient se mettre d’accord sur le nom d’un nouveau chef du Gouvernement. Ainsi Outre-Rhin, un chef de gouvernement ne peut être renversé que si les parlementaires s’accordent sur un successeur [1].
La motion de censure constructive est présentée comme un instrument susceptible d’assurer une meilleure stabilité politique, car elle évite la période de flottement entre deux gouvernements. Il n’est pas question de cette procédure dans la constitution de 1958. En effet, au niveau national, nous ne connaissons que la motion de censure simple qui peut être soit spontanée (art.49-2), soit provoquée (art. 49-3).
En France, la motion de censure est une arme à double tranchant. Conçue pour contrôler l’exécutif, elle est devenue depuis des décennies un outil de posture politique. Chaque session parlementaire apporte son lot de motions, rarement abouties, souvent absurdes. Et, elles ont dénaturé totalement le mécanisme. Seules deux ont abouti en bientôt 70 ans de Vᵉ République, en 1962 et en 2024. Mais, contrairement à ce qui a été avancé çà et là, les deux cas sont différents.
En 1962, cela a profité, in fine, au gouvernement lui-même. Et il est vrai qu’après cette motion de censure, Charles de Gaulle avait dissous puis obtenu une majorité à l’Assemblée et l’élection au suffrage universel direct du Président. Et renommé le même gouvernement Pompidou à 80%.
La motion contre le gouvernement Barnier a eu des répercussions bien plus conséquentes. Car Emmanuel Macron n’avait plus la dissolution comme réplique. Avec une censure constructive, on pourrait éviter d’aller de Charybde en Scylla...
C’est la dérive présidentialiste des institutions qui en a voulu ainsi.
L’Assemblée est devenue trop souvent un cénacle de « députés godillots » (Antoine de Baecque, 2017) ou de « playmobil » (Rémi Aufrère-Privel de la CFDT Cheminots, 2019).
Seules les périodes de cohabitation permettent à l’Assemblée de retrouver les voies du régime parlementaire.
On sait peu qu’au niveau territorial, comme l’a analysé notre éminent collègue le professeur Clergerie, il existe ce qu’on appelle la motion de défense constructive dans les assemblées locales de Corse [2], de certaines « collectivités d’Outre-Mer » (Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon) et de la Martinique, qui constitue désormais un « Département et région d’Outre-Mer » [3]. Dans le cas de la Corse, le Conseil exécutif est responsable devant l’Assemblée qui peut le renverser en adoptant une « motion de défiance constructive », à condition toutefois que l’Assemblée ait réussi à se mettre également d’accord sur le choix d’un nouveau Conseil à la majorité absolue de ses membres.
Il apparait que la motion de censure constructive a trois avantages principaux :
- éviter la formation de coalitions d’opportunités poursuivant le seul but de renverser le Gouvernement en place. De telles "coalitions des contraires" sont plus faciles à trouver qu’une coalition qui est capable de s’entendre sur une équipe gouvernementale ;
- donner au Parlement la possibilité de se mettre d’accord sur le choix du futur Premier ministre. En cela, elle peut être un renfort de la démocratie parlementaire.
- Surtout cette technique limite les crises institutionnelles en empêchant un vide du pouvoir exécutif, car elle n’autorise la censure du Premier ministre qu’à la condition que l’organe législatif soit en capacité d’élire simultanément son successeur. Les députés doivent donc être en capacité de dégager un groupe majoritaire susceptible de faire élire un candidat alternatif.
Dans la perspective d’une révision constitutionnelle qui s’avère de plus en plus nécessaire au vu de l’évolution politique de notre Vᵉ République, il conviendrait de s’en inspirer. Ainsi que de passer à « une dose de proportionnelle » (comme en 1986 avec François Mitterrand) pour l’élection des députés, comme le demandent d’ailleurs depuis des années de nombreux responsables politiques. On peut y rajouter la diminution drastique du nombre de parlementaires (nous en avons plus qu’aux États-Unis et dans la majorité des pays de l’UE).
À l’heure où notre système politique dérive vers un cap incertain, la Vᵉ République ne pourrait qu’y gagner à adopter la défiance constructive. Tant en termes de stabilité que d’efficacité. Le problème qui se pose est la différence fondamentale entre la culture politique allemande et la nôtre. La première repose sur le compromis, la seconde sur le conflit. La conciliation des deux est peu aisée.
Tout compromis repose sur des concessions mutuelles, mais il ne saurait y avoir de concessions mutuelles lorsqu’il s’agit de principes fondamentaux (Gandhi).