I- Qu’est-ce qu’un acte administratif motivé ?
Avant de s’intéresser aux fondements légaux ou aux destinataires de cette obligation de motivation des actes administratifs, il est primordial de s’intéresser au sens même des termes étudiés. Qu’est-ce qu’un acte administratif ? Et qu’est-ce qu’un acte administratif motivé ?
A- L’acte administratif.
L’acte administratif est l’acte juridique adopté unilatéralement par une autorité administrative qui modifie ou refuse de modifier les droits ou les obligations des administrés indépendamment de leur consentement. D’un point de vue strictement notionnel, et donc sans faire référence à un quelconque régime juridique, il convient de préciser que :
- l’acte a un caractère administratif si et seulement s’il émane d’une autorité administrative (prise en compte d’un critère fonctionnel relatif à la finalité de l’acte) ;
- la normativité de l’acte administratif est juridique.
B- L’acte administratif motivé.
En partant des éléments de définition posés précédemment, il convient de s’attarder sur le sens que prend la motivation des actes administratifs. Elle consiste dans « l’énoncé des motifs de fait et de droit au soutien d’une décision » [2]. Cette motivation apparait comme indissociable de l’affirmation de l’Etat de droit et de l’essor du principe de légalité [3] en ce qu’elle supporte le raisonnement juridique. Toutefois, le droit administratif français consacre le principe d’absence de motivation en ce qui concerne les actes unilatéraux et le juge n’a de cesse de réaffirmer ce principe. Ainsi, l’obligation de motivation n’apparait que comme l’exception au principe du silence adopté par l’administration.
II- Quels sont les fondements légaux de l’obligation de motivation ?
Le principe selon lequel « les décisions administratives n’ont pas à être motivées » a été énoncé et rappelé par le juge avec :
- l’arrêt Harouel et Morin du 30 avril 1880 [4] ;
- la décision garde des Sceaux contre Lang en 1973 [5].
Dès lors, le Conseil d’Etat a refusé de dégager un principe général du droit qui imposerait la motivation à tous les actes administratifs. L’obligation de motivation des actes administratifs n’apparait donc que par le prisme d’exceptions.
A- La motivation des actes administratifs selon la loi 11 juillet 1979 codifiée dans le CRPA.
Le texte instituant l’exception la plus plus importante au principe de non-motivation est la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 ; ce texte est donc fondateur de l’obligation de motivation des actes administratifs. La loi a introduit un principe selon lequel certaines décisions de l’administration doivent être accompagnées d’une justification écrite exposant les motifs de la décision. Plusieurs précisions doivent être apportées :
- l’obligation de motivation concerne les seules décisions administratives individuelles donc les actes réglementaires en sont exclus de même que les décisions non réglementaires ni individuelles ;
- les décisions administratives individuelles favorables n’ont pas à être motivées mais elles peuvent devoir l’être pour le tiers : la loi exige ainsi que soient motivées les décisions individuelles dérogeant aux règles générales fixées par les textes [6].
Par ailleurs, la loi de 1979 détermine les cas de décisions défavorables devant être motivées :
- décisions restreignant l’exercice des libertés publiques ou constituant, de manière générale, une mesure de police ;
- décisions infligeant une sanction ou subordonnant l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives ou imposant des sujétions ;
- décisions retirant ou abrogeant une décision créatrice de droit ;
- décisions opposant une prescription, une forclusion ou une déchéance ;
- décisions refusant un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes remplissant les conditions légales pour l’obtenir ;
- décisions refusant une autorisation ;
- décisions rejetant un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d’une disposition législative ou réglementaire.
Toutefois, la loi précise que la communication des motifs n’est pas obligatoire lorsqu’elle est de nature à porter atteinte à divers secrets ou intérêts protégés.
B- Le contenu de la motivation.
La motivation doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision selon l’article L211-5 du CRPA. En ce sens, le Conseil d’Etat a récemment rappelé que les actes administratifs individuels défavorables doivent être motivés et en particulier comporter des motifs de fait dans son arrêt Commune de Londe-les-Maures [7] du 2 janvier 2024. Ainsi, il a jugé qu’était insuffisamment motivé un arrêté de police générale d’un maire faisant seulement référence aux dispositions de l’article L2212-2 du Code général des collectivités territoriales et enjoignant les propriétaires d’une maison d’habitation fragilisée par des crues d’exécuter dans un délai de trois mois « les travaux pris en charge par leur assurance ». Il a jugé qu’un maire ne peut se contenter de viser des textes normatifs sans exposer les motifs de fait qui constituent le fondement de sa décision.
Il convient de préciser que seuls des cas d’urgence absolue justifient une absence de motivation n’entachant pas l’acte d’illégalité. Dans cette hypothèse, les motifs doivent toutefois être communiqués dans le mois suivant la demande à la condition que celle-ci ait été faite dans les délais du recours contentieux. À défaut d’une telle diligence, la décision sera entachée dès son édiction d’un vice de forme.
III- Quels sont les destinataires de l’obligation de motivation ?
L’obligation de motivation s’adresse aux autorités administratives prenant les actes administratifs susvisés mais, comme précisé précédemment, elle peut également échoir à des établissements publics ou parfois des collectivités territoriales : ici, c’est la prise en compte d’un critère fonctionnel relatif à la finalité de l’acte qui importe.
IV- Quels actes administratifs sont concernés par l’obligation de motivation ?
A- Les actes individuels défavorables.
L’obligation concerne principalement les actes individuels défavorables, c’est-à-dire ceux qui restreignent, retirent ou refusent un droit ou un avantage à un administré comme :
- un refus d’autorisation ou de permis ;
- une sanction administrative ;
- un retrait ou une abrogation d’une décision créatrice de droits ;
- une décision restreignant l’exercice des libertés publiques.
B- Les décisions implicites.
L’obligation de motivation ne s’applique pas, de prime abord, aux décisions implicites. Toutefois, lorsque le silence de l’administration équivaut à un rejet, l’administré peut demander une motivation écrite conformément à l’article L232-4 du CRPA. Ce dernier précise ainsi qu’une « décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation » mais qu’à « la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande ».
V- Quelles sont les exceptions à l’obligation de motivation ?
Si les actes administratifs individuels évoqués précédemment sont soumis à l’obligation de motivation dès lors qu’ils entrent dans l’une des catégories précisée, certains actes n’y sont pas soumis. Il est possible de raisonner par opposition aux critères évoqués à savoir que ne sont pas soumis à une obligation de motivation :
- les actes réglementaires sauf dispositions légales spécifiques (le Conseil d’Etat l’a rappelé en énonçant que « l’arrêté attaqué est un acte réglementaire, le moyen tiré de l’insuffisance de sa motivation est inopérant et doit être écarté » dans un arrêt du 22 juillet 2025 [8]) ;
- les décisions favorables sauf si elles imposent des conditions ;
- certaines décisions relevant du pouvoir discrétionnaire lorsque la loi n’exige pas de motivation.
Les exceptions reposent donc sur la nature impersonnelle ou favorable de l’acte et visent à éviter un alourdissement procédural inutile pour l’administration.
VI- Quelles sont les sanctions en cas d’absence ou d’insuffisance de motivation ?
Le défaut de motivation lorsque celle-ci était obligatoire constitue une illégalité externe pouvant entraîner l’annulation de l’acte pour excès de pouvoir comme cela a été affirmé par le Conseil d’Etat notamment avec l’arrêt Caf de la Somme [9] du 28 novembre juin 2024, où il avait sanctionné une absence de motivation par l’annulation de l’acte administratif.
Le Conseil d’Etat a, par ailleurs, refusé d’appliquer la solution dégagée avec son arrêt Danthony [10] (principe selon lequel tout vice de procédure n’est pas susceptible d’entraîner l’annulation d’un acte administratif réduisant par là-même les cas d’annulation) au vice de forme de l’insuffisance de motivation d’un acte administratif dans son arrêt CARSAT Aquitaine [11] du 7 décembre 2016.



Discussion en cours :
Chère Madame,
J’ai failli écrire "chère Consœur", et la qualité de votre article m’y a naturellement conduit.
Je vous remercie pour la clarté et la complétude de cette contribution qui m’a beaucoup aidé dans ce domaine éloigné de
ma pratique habituelle.
Je vous remercie également pour le temps consacré à partager si utilement votre savoir.
J’ai tenu à vous le dire.
Avec toute ma cordiale considération
Sylvain LAROSE
Barreau de Tarbes