Musique amplifiée : un tribunal administratif annule le refus d’agir d’un préfet.

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # environnement # police administrative # responsabilité de l'administration

Dans cette affaire (Tribunal administratif d’Orléans, 4 juillet 2025, n° 2300792), des riverains, victimes de nuisances sonores causées par la diffusion de musique amplifiée lors d’événements organisés dans un château, avaient saisi le Préfet afin qu’il fasse usage de ses pouvoirs de police spéciale en matière de sons amplifiés (Articles R571-28 du Code de l’environnement).

En l’absence de réponse dans le délai légal de deux mois, un refus implicite était né.

Saisi du litige, le Tribunal administratif d’Orléans a rappelé que l’exercice de ce pouvoir n’était pas laissé à la seule appréciation du Préfet.

Celui-ci était est tenu d’intervenir en cas de manquement à la réglementation et ne pouvait s’abstenir d’exercer sa compétence.

Le jugement, désormais définitif, a en conséquence annulé la décision implicite de refus et condamné l’État à verser aux requérants la somme de 4 500 € sur le fondement de l’article L761-1 du Code de justice administrative.

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I. - Présentation de l’affaire.

1°. - Faits.

Un couple était propriétaire d’une maison située à proximité d’un château situé dans le département du Cher (18).

Une partie de ce château était exploitée par une société qui louait une salle de réception ainsi que le parc pour l’organisation d’événements festifs, notamment des mariages, au cours desquels de la musique amplifiée était diffusée de manière habituelle.

Ces riverains se plaignaient de nuisances sonores provoquées par ces manifestations.

Ils avaient adressé une demande au Préfet afin qu’il fasse respecter la réglementation acoustique applicable.

En effet, aux termes de l’article R571-28 du Code de l’environnement : « Lorsqu’il constate l’inobservation des dispositions prévues aux articles R571-25 à 27, le préfet […] met en œuvre les dispositions prévues à l’article L171-8 du Code de l’environnement ».

2°. - Procédure.

Faute de réponse du préfet dans le délai de deux mois prévus à l’article L231-4 du Code des relations entre le public et l’administration, leur demande avait été implicitement rejetée.

Face à cette situation, le couple victime des nuisances sonores avait déposé une requête auprès du Tribunal Administratif d’Orléans sollicitant l’annulation de la décision implicite de rejet de leur demande par le Préfet.

3°. - Décision du juge.

Le Tribunal administratif d’Orléans a annulé la décision implicite de refus d’agir du Préfet du CHER, en précisant que celui-ci devait faire usage des pouvoirs de police prévus à l’article L171-8 du Code de l’environnement.

Ces dispositions imposent, avant toute mesure coercitive, l’édiction d’une mise en demeure afin d’assurer le respect des articles R571-25 et R571-26 du même code.

Par ailleurs, l’État a été condamné à verser aux requérants la somme de 4 500 euros sur le fondement de l’article L761-1 du Code de justice administrative.

II. - Observations.

Cette décision soulève la question de savoir si le Préfet, représentant de l’État dans le département, exerçant le pouvoir de police spéciale des lieux diffusant des sons amplifiés, dûment informé de dépassements avérés des émergences réglementaires, peut légalement s’abstenir de mettre en œuvre les pouvoirs de police spéciale que lui confère l’article L171-8 du Code de l’environnement.

Il s’agira d’analyser, d’une part, le rôle du juge administratif en cas de carence fautive du préfet dans le cadre de son pouvoir de police spéciale (1°) et d’autre part la reconnaissance de l’obligation d’action du Préfet en matière de police spéciale de diffusion de sons amplifiés (2°).

1°. - Le rôle du juge administratif en cas de carence fautive du préfet dans le cadre de son pouvoir de police spéciale.

Les requérants, confrontés à des nuisances sonores répétées, avaient d’abord tenté d’alerter l’exploitant de la salle, puis avaient saisi le Préfet afin qu’il exerce les pouvoirs de police spéciale que lui confère l’article L171-8 du Code de l’environnement.

Malgré ces démarches, aucune mesure concrète n’avait été prise par le préfet pour faire cesser les troubles.

Le tribunal s’est attaché, d’une part, à vérifier la matérialité des nuisances invoquées par les requérants, et, d’autre part, à constater l’absence de toute mesure préfectorale destinée à y mettre un terme.

En l’espèce, le château en cause entrait pleinement dans la catégorie de lieux de diffusion de sons amplifiés régis par le Code de l’environnement.

Les bars, discothèques, festivals, salles de concerts, discothèques et évènements en plein air sont des lieux habituels d’activité sonores bruyantes, aussi appelés lieux à diffusion de sons amplifiés parce que le son (voix ou musique) y est amplifié, grâce à des appareils appropriés (sonos, enceintes portatives) à des intensités sonores élevées.

La réglementation française encadre strictement les niveaux sonores de ces lieux afin de protéger la tranquillité des riverains ainsi que celle des utilisateurs de ce lieu.

Les articles R571-25 à R571-30 du Code de l’environnement fixent les seuils de bruit admissibles dans les espaces publics et à proximité des habitations, tandis que l’article R1336-1 du Code de la santé publique vient compléter ce dispositif pour prévenir les nuisances.

Par ailleurs, l’article R571-27 du Code de l’environnement exige la réalisation d’une Etude de l’Impact des Nuisances Sonores (EINS) pour les lieux à diffusion de sons amplifiés.

Cette étude acoustique préalable à toute exploitation concerne toutes les activités de diffusion de sons amplifiés et doit prendre en compte l’ensemble des sons émis, y compris ceux qui ne sont pas directement des sons amplifiés. L’exploitant de l’activité doit ainsi prendre en compte les nuisances que son activité va engendrer, afin de mettre en œuvre toutes les mesures utiles visant à prévenir les nuisances sonores de nature à porter atteinte à la tranquillité ou à la santé du voisinage, ainsi qu’à celle des utilisateurs du lieu.

Conformément à l’article R571-27 du Code de l’environnement, cette étude consiste en un document ou un ensemble de documents comportant un diagnostic et des recommandations permettant de prévenir les nuisances sonores susceptibles de perturber la tranquillité ou la santé du voisinage, et ainsi aider les professionnels concernés à se conformer à la réglementation.

En l’espèce, une étude de l’impact des nuisances sonores avait été réalisée en 2021 afin d’évaluer objectivement le niveau de bruit généré par l’activité du site comme le prévoit la réglementation en vigueur.

Cette étude avait mis en évidence des émergences potentiellement supérieures aux seuils réglementaires.

Cette Etude démontrait des émergences potentiellement supérieures aux seuils d’émergence autorisés par la réglementation.

Pour garantir le respect de ces seuils réglementaires, l’EINS recommandait :

  • l’installation d’un limiteur de pression acoustique sur la chaîne de diffusion de la salle de réception ;
  • l’interdiction de diffusion de musique en extérieur, portes ouvertes ou dans des locaux/dépendances non destinés à cet usage ;
  • et le raccordement électrique exclusif de la chaîne de diffusion au bloc de prises asservi au limiteur.

Il évoquait également deux solutions alternatives :

  • des travaux d’isolation acoustique du bâtiment ;
  • ou, le recours à une autre salle de diffusion de musique amplifiée, offrant un environnement plus adapté (éloignement accru des riverains, enveloppe bâtie plus isolante, etc.).

Les requérants avaient constaté que les préconisations issues de cette étude n’étaient pas respectées et que les nuisances sonores persistaient.

Ils avaient alors sollicité unilatéralement un bureau d’études techniques spécialisé en acoustique, lequel avait conclu que les émergences sonores étaient « largement au-dessus des niveaux autorisés et [perduraient] toute la nuit jusqu’après le levé du jour ».

Par ailleurs, les riverains avaient versé au dossier des photographies et témoignages démontrant la diffusion de sons amplifiés dans le parc du château, à l’aide d’une sonorisation et de micros, en dépit des préconisations de l’EINS.

La juridiction a relevé, dès lors, que le préfet, bien qu’informé de la situation, n’avait pas exercé les pouvoirs de police spéciale qui lui incombaient en matière de nuisances sonores dues à des sons amplifiés.

Elle a estimé qu’il aurait dû, avant toute mesure coercitive, mettre en demeure l’exploitant de respecter les dispositions des articles R571-25 et R571-26 du Code de l’environnement.

En conséquence, le tribunal a annulé la décision implicite de rejet née du silence préfectoral.

L’État a en outre été condamné à verser aux requérants la somme de 4 500 € au titre de l’article L761-1 du Code de justice administrative comprenant notamment les frais du bureau d’étude mandaté.

2°. - La reconnaissance d’une obligation d’action du Préfet en matière de police spéciale des lieux à diffusion de sons amplifiés.

En l’espèce, l’étude de l’impact des nuisances sonores de 2021 et un rapport de mesures acoustiques établi par un bureau d’étude technique spécialisé en acoustique de 2022 avaient démontré que les événements festifs organisés sur le parc du château dépassaient les seuils d’émergence prévus par la réglementation.

Ces dépassements avaient été signalés par les requérants au préfet, accompagnés d’un nouveau rapport d’un bureau d’études techniques spécialisé en acoustique, lequel mettait en évidence le non-respect des seuils réglementaires. Cette transmission visait à alerter l’autorité préfectorale sur l’importance des nuisances et sur l’obligation pour lui d’intervenir pour faire cesser les troubles constatés.

Cette décision illustre l’obligation qui pèse sur le Préfet en matière de lieux à diffusion de sons amplifiés.

Ses pouvoirs lui imposent d’agir dès lors qu’il est informé de nuisances avérées, notamment en adressant une mise en demeure à l’exploitant des lieux pour qu’il se conforme aux textes, conformément à l’article L171-8 du Code de l’environnement.

Il peut également mettre en place des mesures coercitives.

Ces sanctions peuvent prendre la forme de :

  • consignation des sommes nécessaires à la réalisation des travaux ;
  • exécution en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, des mesures prescrites ;
  • suspension de l’activité musicale jusqu’à exécution des mesures imposées ;
  • paiement d’une amende et d’une astreinte journalière.

En l’espèce, le juge a relevé que le Préfet ne contestait ni les conclusions de l’étude de l’impact des nuisances sonores ni les nuisances alléguées par les requérants et qu’il se bornait à évoquer des circonstances insuffisantes, telles que le caractère ponctuel d’une étude postérieure ou la rareté des plaintes déposées contre l’exploitant.

Or, il lui appartenait pour se défendre de démontrer de manière active que les griefs n’étaient pas fondés, en produisant des éléments techniques ou factuels de nature à établir le respect des seuils d’émergence.

De la même manière, l’exploitant, invité au débat contradictoire, ne pouvait se contenter d’une simple attestation d’installation d’un limiteur de pression acoustique pour justifier d’un respect effectif de la réglementation.

Il devait prouver que cet équipement avait été mis en place conformément aux prescriptions de l’étude d’impact et que les modifications contractuelles invoquées étaient effectives et datées.

L’argument selon lequel une plainte isolée ou la fréquence limitée des événements pourrait dispenser l’administration d’agir a été rejeté par le juge.

En effet, la protection de la tranquillité publique ne dépend pas du nombre de plaintes reçues, mais de la constatation objective d’infractions à la réglementation acoustique.

Ainsi, le devoir d’intervention du Préfet s’est trouvé affirmé, matérialisant une obligation positive d’action en matière de police spéciale des lieux à diffusion de sons amplifiés.

Cependant, le juge adopte une approche prudente en annulant exclusivement la décision implicite de rejet, tout en constatant que le préfet aurait dû mettre en demeure l’exploitant de se conformer à la réglementation.

N’ayant pas été saisi en ce sens, il s’est abstenu d’ordonner toute mesure contraignante à l’encontre du préfet postérieurement au jugement, telle qu’une astreinte ou une injonction spécifique, limitant ainsi la portée coercitive de sa décision.

Conclusion.

Ce jugement réaffirme l’obligation d’action qui incombe au Préfet en matière de lutte contre les nuisances sonores des lieux à diffusant des sons amplifiés. En vertu de la police spéciale prévue par le Code de l’environnement en la matière, le représentant de l’Etat ne peut rester inactif dès lors qu’il est informé d’un manquement, quelles que soient l’ampleur ou l’origine des plaintes.

Cette obligation implique non seulement d’examiner les signalements mais aussi, lorsqu’une étude de l’impact des nuisances sonores ou des rapports de mesurage acoustique révèlent des dépassements, de mettre en demeure l’exploitant de se conformer à la réglementation et, au besoin, de prendre des mesures coercitives.

Christophe Sanson
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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