Dans un procès très médiatisé, il n’est pas toujours aisé d’être du côté de la Défense, que ce soit pour les accusés comme pour leurs avocats, encore moins lorsque l’on parle de terrorisme et que l’auteur de l’attentat ne peut être jugé pour ses actes, car décédé.
Les victimes, leurs familles attendent des réponses, des explications qui parfois n’arrivent pas ou ne suffisent pas à atténuer leurs souffrances, leur peine et parfois leur colère.
Souvent, les personnes accusées sont, comme le dit l’auteur « déjà condamnées avant le procès par les effets de l’émotion collective (...) », et leur avocat est souvent vu comme « l’avocat de la terreur » et leur défense comme impossible.
Dans son récit des huit semaines du procès en appel de l’attentat de Nice, l’auteur, alors avocat de l’un des accusés, Oualid G., veut aborder sans pudeur les enjeux d’un tel procès dans le contexte plus global de la lutte antiterroriste que mène la France depuis un certain temps déjà. Il veut aborder les fondements de la défense : est-ce celle d’un individu, dont la parole n’est parfois pas audible, ou celle des principes d’un État de Droit ?
Il partage avec le lecteur ses interrogations, ses doutes, le déroulé parfois arbitraire des journées de procès, la pression de l’opinion publique, la solitude des bancs de la Défense... L’auteur ne cherche pas à ce que l’on s’apitoie, il souhaite simplement partager une réalité certaine et rappeler que les avocats de la défense n’ont pas à rougir de leur action.
Ce livre est aussi un signal d’alerte pour que les droits de la Défense ne s’étiolent pas au nom de la préservation de l’ordre public.
L’entretien de la Rédac’ avec Vincent Brengarth.
Quelles ont été vos motivations à la rédaction de ce livre ?
« Depuis près de dix ans, je suis régulièrement amené à traiter de dossiers en lien avec le terrorisme. J’ai notamment participé, en défense, à un certain nombre de grands procès (le procès des « bonbonnes de Notre-Dame » en 2019, le procès de l’attentat de Nice, le procès de Magnanville, le procès de l’assassinat de Samuel Paty…). Ce livre a été l’occasion de livrer un regard critique sur cette justice à la faveur de l’expérience ainsi cumulée, et ce à travers un exemple précis : celui du procès de l’attentat de Nice en appel. Il propose une plongée sur les bancs de la défense pendant plusieurs semaines d’audience, pour faire du lecteur le témoin privilégié de notre travail dans ses différents aspects (le rapport à la juridiction, la manière de gérer un procès au long cours, ce que nous pouvons ressentir, le rapport à la presse…). Avant même le procès, j’avais pressenti que notre marge de manœuvre serait extrêmement réduite et j’ai donc voulu, dans le prolongement de mon implication au cours des débats, faire en sorte que cette implication ne soit pas entièrement vaine, par le biais de la transmission que permet l’écriture. Le livre se nourrit de mes notes d’audience. Cet ouvrage part également du constat plus général que si ces dossiers sont souvent largement médiatisés, le travail de la défense est souvent négligé, s’il n’est pas caricaturé ».
À qui s’adresse t-il ?
« Ce livre se veut avant tout être un témoignage qui s’adresse au plus grand nombre. Il a été rédigé sous forme de compte-rendu d’audience pour dynamiser la lecture. J’ai veillé à adopter un style qui ne le ferme précisément pas à une catégorie de lectorat. Le partage d’anecdotes d’audience est régulièrement le moyen d’introduire des réflexions plus globales sur cette justice, qui me sont permises par l’expérience dont je dispose en la matière. Si le livre défend bien évidemment un certain regard sur cette justice, j’ai également été soucieux de permettre au lecteur de disposer des informations nécessaires à sa propre réflexion, sans lui imposer ma vision ».
Quel message souhaitez-vous faire passer au travers de votre livre ?
« Sans être un pamphlet, le livre dresse un certain nombre de constats qui doivent nous interroger sur le rapport aux droits de la défense dans ces dossiers et spécifiquement le cas très éloquent du procès de l’attentat de Nice. Si la vague d’attentats depuis 2015 a contraint la justice antiterroriste à une profonde mutation, celle-ci ne doit pas être synonyme d’abandon de nos grands principes. Un procès est avant tout celui des accusés. Le livre développe le mouvement qui tend à renverser ce principe et les préoccupations qu’il fait naitre. L’avantage de l’écriture est qu’elle nous sort des moyens de communication rapides qui limitent l’expression de la pensée en quelques caractères. J’ai cherché à offrir à toute personne qui serait intéressée par ces sujets la possibilité de disposer des moyens pour avoir un autre angle de vue, avec le souci d’un propos argumenté. Répondre à la question de "pourquoi défendre un suspect de terrorisme ?" ».
Quel enseignement avez-vous tiré de ce procès ?
« Ce procès m’a donné le sentiment d’une forme d’acceptation de l’étiolement des droits de la défense, au nom de la préservation de l’ordre public et pour répondre à l’horreur de l’acte. Sans même parler du principe de la condamnation, il y a pourtant un fossé considérable entre les peines prononcées et la réalité des comportements en cause. Je trouve profondément regrettable que le grand public soit entretenu dans une vision simplifiée d’une réalité bien plus complexe. Mon client est notamment libre lorsqu’il a comparu à l’audience en première instance, il travaillait. Il a été subitement condamné à une peine qui le bannit d’une société à laquelle il appartenait encore il y a peu ».
Comment professionnellement et personnellement, gérez-vous le fait d’être, aux yeux de la société, l’avocat de la "terreur" ? Cette défense des accusés (quels qu’ils soient) est-elle plus difficile en ce XXIe siècle ?
« Précisément parce que j’œuvre dans le respect et le souci du droit, je n’ai jamais eu à rougir de cette partie de mon exercice, surtout que notre cabinet est connu pour ses nombreux engagements. Si j’ai parfois craint que cette défense abîme mon image professionnelle, je pense également que si nous ne nous engageons pas publiquement dans ces dossiers comme dans d’autres, cette parole ne peut pas exister et qu’elle ne sera donc jamais connue. La défense des suspects du terrorisme est très engageante, difficile, notamment car les dossiers sont souvent très volumineux et qu’elle ne devrait donc ni être dévalorisante ni être dévalorisée. À travers l’antiterrorisme, la question est aussi celle d’un basculement plus global de notre justice, car la lutte contre le terrorisme est souvent la porte d’entrée à des dérives qui s’étendent au restant du droit. Il est impératif de pouvoir le dénoncer. J’ignore si cette défense est plus difficile au XXIe siècle, car chaque période a ses singularités. Néanmoins, ce qui a changé, c’est notamment l’importance des réseaux sociaux et l’aptitude d’anonymes à jeter l’anathème sur les avocats de la défense, sans chercher à se renseigner, sans chercher à comprendre. Ce livre est aussi une réponse à leur égard ».
Informations techniques :
Titre : Défendre l’impossible ;
Auteur : Vincent Brengarth ;
Maison d’édition : Michalon (Polars réels) ;
ISBN : 978-2-347-00362-3
Parution : novembre 2024 ;
Nombre de pages : 208 ;
Prix : 18 euros.