Clé de voûte des problématiques inhérentes à la santé au travail, l’obligation de sécurité incombant à l’employeur est une création prétorienne.
L’obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié.
Précisée au fil de sa jurisprudence, l’obligation de sécurité a été posée par l’arrêt de principe du 28 février 2002, consécutivement aux affaires relatives à l’amiante :
“En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L452-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver” [1].
Au fond, l’obligation de sécurité s’en trouve satisfaite au moyen d’actions et de mesures nécessaires, préservant la santé physique et mentale du salarié. Pour ce faire, l’employeur "prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs". Ces mesures comprennent :
"1° Des actions de prévention des risques professionnels...
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes” [2].
Concrètement, cette obligation légale se décline, en outre, en obligation de prévention : protéger la santé physique et mentale des salariés ; obligation de réaction à l’alerte faisant état de la souffrance ; actions de prévention des risques professionnels, y compris les risque psychosociaux ; des actions d’information et de formation. Outre,
- la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés,
- la tenue et la mise à jour d’un DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels) [3].
Obligation de prévention.
Attribut de l’obligation de sécurité, les principes généraux de prévention posent les garde-fous des préconisations tendant à protéger la santé et la sécurité au travail. Principes à caractère impératif, applicables aux risques psychosociaux.
En clair, la prévention des risques professionnels s’analyse comme action nécessaire à l’effet d’assurer la sécurité, l’hygiène et protéger la santé au travail.
Ici, essentielles à bien des égards, les dispositions de l’article L4121-2 du Code du travail posent neuf principes généraux de prévention :
“L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Éviter les risques ;
2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention …
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs".
En outre, l’effectivité de l’obligation de prévention s’apprécie concrètement à l’aune de la mise en pratique régulière de ces neuf principes de prévention, exigeant la tenue d’un document unique de prévention des risques professionnel, tel que prévu par l’article L4121-3 (Pour aller plus loin Risques professionnels - DUERP : obligation de prévention et faute inexcusable de l’employeur. Par M.Kebir, Avocat et Inès Agguini, Juriste.).
En effet, l’employeur, "compte tenu de la nature des activités de l’établissement", évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations, dans l’organisation du travail et dans la définition des postes de travail" [4].
Laquelle évaluation des risques, conformément à l’article L42121-3 du Code du travail, tient compte de "l’impact différencié de l’exposition au risque en fonction du sexe."
A cette fin, contribue à l’évaluation des risques professionnels dans l’entreprise :
- le comité social et économique et sa commission santé, sécurité et conditions de travail. Le CSE est consulté sur le document unique d’évaluation des risques professionnels et sur ses mises à jour ;
- le référent à la protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise [5] ;
- le service de prévention et de santé au travail auquel l’employeur adhère [6].
Au terme de cette évaluation, l’employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement [7].
Par ailleurs, évolution récente, la Haute assemblée a précisé les contours de l’obligation de sécurité. Celle-ci s’analyse comme obligation de moyens renforcée : l’employeur doit rapporter la preuve qu’il a mis en œuvre toutes les mesures de prévention idoines :
« Mais attendu que ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail » [8].
Ainsi, dès lors que le salarié invoque un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, les juges doivent rechercher si l’employeur a bien mis en place les mesures nécessaires. Il a été ainsi jugé que, au titre des dispositions des articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail :
"L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et qu’il ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.
En se déterminant ainsi, sans rechercher si, alerté par la salariée des difficultés rencontrées et en présence de deux arrêts maladie en septembre et octobre 2017, l’employeur avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de celle-ci, alors même qu’elle invoquait un manquement de l’employeur aux règles de prévention et de sécurité à l’origine de l’accident du travail dont elle avait été victime, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision” [9].
Néanmoins, l’employeur ne peut être sanctionné, pour manquement à l’obligation de sécurité, si les juges du fond n’ont pas examiné les mesures rapportées, en vertu du contradictoire : "Lorsque le salarié invoque un manquement de l’employeur aux règles de prévention et de sécurité à l’origine de l’accident du travail dont il a été victime, il appartient à l’employeur de justifier avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail.
Pour dire que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité, l’arrêt retient que le salarié a été victime d’un accident du travail le 24 mars 2017 en déchargeant des sacs de polystyrène transportés dans le véhicule qu’il conduisait et qu’il appartenait à l’employeur de prendre les mesures permettant de protéger le salarié des conséquences des opérations de déchargement.
L’arrêt conclut que le licenciement est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
En se déterminant ainsi, sans examiner les mesures que l’employeur soutenait avoir mises en œuvre conformément aux articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision” [10].
Progressivement, la Jurisprudence intègre les risques psychosociaux conformément aux protections légales liées à la santé au travail et la prohibition du harcèlement. Évolution consacrée par la Loi Rebsamen de 2015 [11], instituant une négociation annuelle autour de la qualité de vie au travail [12].
Principes généraux de prévention et risques psychosociaux
Résultante, notamment, des nouveaux usages et dysfonctionnements organisationnels, les risques psychosociaux (RPS) correspondent, selon l’INRS, à "des situations de travail où sont présents, combinés ou non" :
"du stress : déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes de son environnement de travail et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ; des violences internes commises au sein de l’entreprise par des salariés : harcèlement moral ou sexuel, conflits exacerbés entre des personnes ou entre des équipes ; des violences externes commises sur des salariés par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces, agressions…).
Ce sont des risques qui peuvent être induits par l’activité elle-même ou générés par l’organisation et les relations de travail" [13].
Tel que dit supra, les principes généraux de prévention sont indissociables de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu l’employeur.
Sur le terrain de la responsabilité, l’obligation de sécurité est considérée comme satisfaire si l’employeur fait la démonstration qu’il a accompli les actions nécessaires.
C’est, en somme, le raisonnement qui s’infère de la jurisprudence "Air France" du 25 novembre 2025 [14].
Concrètement, c’est au regard des principes de prévention que sont appréciées, par le juge, les mesures prise par l’employeur tendant à éviter la survenance des risques psychosociaux.
Plus généralement, il importe de souligner qu’aux termes des dispositions des articles L4121-1 et suivants Code du travail, l’obligation légale de sécurité se décline en :
- obligation de prévention des risques professionnels,
- obligation de protection de la santé physique et mentale des salariés.
Dit autrement, l’employeur, à la fois, met en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés, et doit empêcher la réalisation du risque (Voir notre publication y afférente Harcèlement moral au travail : prévention, réaction et sanction. Par M. Kebir, Avocat.).
Inaptitude et manquement à l’obligation de sécurité.
La prescription des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, ne font pas obstacle au salarié de s’en prévaloir.
Ainsi :
Un salarié licencié pour inaptitude, qui conteste son licenciement dans le délai imparti, peut invoquer un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité à l’origine de l’inaptitude, y compris si les faits constitutifs de ce manquement sont prescrits [15].
En l’espèce, une salariée était en arrêt de travail depuis le 20 février 2013. Elle est déclarée inapte à son poste, à l’issue de deux visites de reprise des 18 septembre et 5 octobre 2015, avant d’être licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 23 décembre 2015.
La cour d’appel déclare irrecevables comme prescrites ses demandes, au titre des manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, au motif que, d’une part, le délai de départ ne peut pas être antérieur à la date de la déclaration d’inaptitude. Et, d’autre part, la salariée avait nécessairement connaissance des manquements à l’obligation de sécurité à la date de son arrêt de travail, le 20 février 2013 : les faits dont elle se prévaut au soutien de ses demandes sont prescrits depuis le 20 février 2015.
Raisonnement censuré par la Chambre sociale, au visa de l’article L1471-1 du Code du travail :
« Toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».
Concrètement, le point de départ du délai de prescription de l’action en contestation du licenciement pour inaptitude d’un salarié, est la date de notification du licenciement.
Du reste, de jurisprudence constante « est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu’il est démontré que l’inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l’employeur qui l’a provoquée » [16].
Dès lors, « lorsqu’un salarié conteste, dans le délai imparti, son licenciement pour inaptitude, il est recevable à invoquer le moyen selon lequel l’inaptitude est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ».
En substance, en matière de prescription, un salarié licencié pour inaptitude, qui conteste son licenciement peut invoquer un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité ayant causé l’inaptitude, peu important si les faits y afférents sont prescrits.
Obligation de sécurité et harcèlement.
En matière de prévention du harcèlement, entre autres mesures, la QCVT (Qualité de vie et des conditions de travail) effective et continue, le management humain et bienveillant sont des leviers féconds. Sources d’épanouissement et de satisfaction collective.
A cet titre, l’obligation de prévention qui résulte des articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L1152-1 du même Code.
Par conséquent, l’obligation légale de sécurité, prescrivant à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés notamment en matière de harcèlement moral, s’en trouve remplie, si ’l’employeur justifie avoir pris toutes les mesures de prévention [17].
Harcèlement moral et faute inexcusable de l’employeur.
Du point de vue de la faute inexcusable, les mesures prises par l’employeur doivent être adaptées et suffisantes.
Ici, de jurisprudence constante, il résulte des articles L452-1 du Code de la Sécurité sociale et L4121-1 et L4121-2 du Code du travail que :
"Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver" [18].
Dans le cas où la conscience du danger ne peut être ignorée, l’efficacité des mesures prises par l’employeur est de nature à écarter la faute inexcusable - s’agissant d’une récente affaire d’agression d’un médecin par une patiente au sein d’un service d’urgences :
"La victime a subi une agression physique par une patiente rentrée dans l’espace ambulatoire alors que le médecin ne prêtait pas attention à elle, et que seule l’équipe de soins est intervenue pour les séparer. Il relève que la recrudescence d’actes violents au sein du service des urgences de l’hôpital avait été évoquée dès 2015, en raison, notamment, de l’engorgement des services générant l’insatisfaction des usagers, l’altération des conditions de travail et la dégradation de la qualité des soins. Il en déduit que l’employeur ne pouvait ignorer le risque d’agression encouru par son personnel soignant, médecins compris" [19].
Qui plus est, l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs se doit, invariablement, prévenir les situations de harcèlement et réagir, si celles-ci surviennent : Sur la notion de harcèlement managérial : (Harcèlement managérial : contours juridiques et responsabilité. Par M. Kebir, Avocat.).
De sorte que, il y a manquement à cette obligation, lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissement de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre des salariés, quand bien même l’employeur aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements [20].
Au fond, cette jurisprudence rappelle la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur, appliquée aux situations de harcèlement moral. En cela, dès lors que le résultat n’est pas atteint, la responsabilité du débiteur de l’obligation de sécurité est susceptible d’être engagée.
En clair, la mise en œuvre de mesures préventives peut ne pas suffire à exonérer l’employeur si ces dernières s’avèrent imparfaites.
A ce sujet, évolution notable, la Cour de cassation consacre un droit à des réparations distinctes :
- dédommagement au titre du manquement par l’employeur à son obligation de sécurité,
- dommages et intérêts résultant du harcèlement.
Concrètement, l’employeur est responsable des agissements de harcèlement de ses salariés ; sauf s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention et, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer une mesure de harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser [21].
De surcroît, conformément aux articles L1152-4 et L4121-1 du Code du travail, l’obligation organisationnelle se rapportant à la prévention du harcèlement recouvre, simultanément :
- l’obligation de prendre des mesures pour éviter que des agissements de harcèlement y surviennent,
- l’obligation de réaction : enquêter, faire cesser les agissements de harcèlement et, le cas échéant, sanctionner [22].
A défaut de quoi, sa responsabilité pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention peut être retenue.
Alerte harcèlement et "mesures immédiates" à la charge de l’employeur.
Par un récent arrêt, la Haute assemblée a jugé que l’employeur ne manque pas à son obligation de sécurité, dès lors que :
« alerté par le courrier de l’avocat de la salariée d’un possible harcèlement moral,
il diligente une enquête une semaine plus tard, confiée à une commission composée de représentants du personnel et d’un représentant de la direction, que cette commission entend 25 personnes,
et conclut trois mois plus tard à l’absence de harcèlement moral de la part de la supérieure hiérarchique de la salariée [23].
En substance, les mesures préventives, effectives, en réaction au signalement exercé par le salarié, sont appréciés in concreto par le juge du fond.
Si l’employeur a pris les mesures adéquates, l’enquête interne n’est pas obligatoire.
Sur ce point, l’employeur ayant pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité du salarié, nonobstant l’absence d’enquête interne, celui-ci n’avait pas manqué à son obligation de sécurité" [24].
Un salarié peut-il être débouté de sa demande indemnitaire relativement au manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral, au seul motif qu’il a échoué à démontrer l’existence d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral ?
Non. En ce sens que la demande du salarié inhérente à la prévention des actes de harcèlement moral, n’exige pas de rapporter la preuve de « la matérialité d’éléments de fait précis et concordants laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral n’est pas démontrée ».
De telle sorte que, l’absence de réaction de l’employeur à un signalement du salarié peut caractériser le manquement à son obligation de prévention, alors même que les faits de harcèlement ne sont pas établis [25].
Pour finir, de par sa vocation et finalités, l’obligation de sécurité trouve sa pleine essence au travers l’application des principes généraux de prévention aux fins de protection, continue et adaptée, de la santé physique et mentale du salarié ; la promotion de la qualité de vie et des conditions de travail. Et, effet vertueux, la préservation du vivre-ensemble, la croissance éthique au sein des organisations.