Œuvres de l’esprit et intelligence artificielle : entre vide juridique et adaptation nécessaire.

Par Ahmed Benattou.

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Explorer : # intelligence artificielle # droits d'auteur # droit moral

L’intelligence artificielle est considérée par certains auteurs comme une boite de Pandore qu’il ne fallait absolument pas ouvrir. Son émergence a ouvert tant de possibilités et d’opportunités pour les utilisateurs, mais elle menace en même temps le droit d’auteur et les œuvres de l’esprit, fruit d’un travail laborieux et d’un effort intellectuel.

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Introduction.

L’intelligence artificielle désigne tout service numérique reposant sur des algorithmes probabilistes, qui exploitent le traitement statistique de vastes ensembles de données pour produire des résultats comparables à ceux d’une activité cognitive humaine. Cette définition implique que des créations préexistantes protégées peuvent être exploitées par l’IA pour générer un nouveau contenu.

Mais cela n’empêche pas l’IA de générer du contenu sans l’intervention de l’homme, et dans ce cas il est difficile de parler de droits d’auteur. Par contre, si l’homme fournit des instructions avant que le contenu soit généré, il est fort probable que l’IA se base sur des œuvres protégées dont l’empreinte pourrait plus ou moins apparaitre explicitement dans la nouvelle œuvre, et dans ce cas l’originalité de la création peut être remise en question.

Une œuvre de l’esprit, pour qu’elle soit protégeable, doit être originale et distincte, reflétant ainsi l’empreinte de la personnalité de l’auteur, ce qui signifie qu’elle doit apporter une plus-value intellectuelle unique. Dans quelle mesure une création générée par l’IA peut-elle être considérée comme originale et susceptible d’être protégée ?

L’affaire du portrait of Edmond de Belamy.

Cette question a suscité plusieurs débats doctrinaux aux Etats-Unis suite à l’affaire du Portrait of Edmond de Belamy qui est un tableau généré en 2018 par une IA utilisant un algorithme GAN (Generative Adversarial Network) entraîné sur un ensemble de portraits historiques. L’œuvre a été présentée par le collectif français Obvious, et vendue aux enchères chez Christie’s à New York pour plus de 432 500 dollars.

Ce cas soulève plusieurs questions. La première étant celle se rapportant à la qualité d’auteur.

Si on considère l’IA générative comme auteur, la loi relative aux droits d’auteur, quant à elle, désigne indirectement l’auteur comme une personne physique car l’auteur suppose une création intellectuelle originale . Il n’existe alors aucune disposition juridique qui désigne comme auteur un service numérique reposant sur des algorithmes. Sachant que le collectif français Obvious a revendiqué la paternité de cette œuvre, n’est-il pas plus sensé de considérer les personnes ayant programmé l’algorithme sur un ensemble de portraits historiques comme les véritables auteurs de cette œuvre, et relever toute ambiguïté quant à sa légitimité ?

Le Copyright Office des Etats-Unis a statué sur cette affaire en s’appuyant sur le principe d’après lequel « seules les créations issues d’une intervention humaine peuvent être protégées par le copyright ».

La deuxième question se rapporte au droit moral et aux droits patrimoniaux découlant des œuvres qui ont servi de référence pour générer le portrait.

Le droit moral et les droits patrimoniaux découlant d’une œuvre générée par IA.

Si ces œuvres sont tombées dans le domaine public, aucun problème juridique ne se pose. Les données peuvent être utilisées librement. Si elles sont encore protégées, il est fort probable que la nouvelle création ressemble fortement à une œuvre préexistante ou y présenter quelques similarités susceptibles de porter confusion chez le consommateur, éclipsant ainsi l’auteur original. Une telle manipulation de données pourrait être assimilée à une reproduction non-autorisée, portant atteinte au droit au respect de l’œuvre.

Le droit moral peut être violé si l’IA dénature ou occulte complétement l’œuvre de l’auteur original. Les droits patrimoniaux sont protégés tant que les œuvres ne sont pas tombées dans le domaine public.

Toutefois, afin d’encourager la recherche scientifique et en vue de ne pas freiner l’innovation, l’Union Européenne a prévu quelques exceptions en vertu de la directive 2019/790 du parlement européen et du conseil, relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans le marché unique numérique. Désormais, via le text and data mining, les organismes de recherche et les institutions de conservation du patrimoine culturel peuvent bénéficier d’une exception obligatoire à l’aide de laquelle ils peuvent extraire de la connaissance à l’aide d’algorithmes, sans que les œuvres soient utilisées telles quelles et sans que les ayant-droits puissent s’y opposer. Le même procédé peut être suivi par une personne physique, à condition d’avoir un accès légal aux œuvres sollicitées.

La qualification juridique du portrait généré par IA.

La dernière question se rapporte à la qualification juridique du portrait susmentionné.

Sur le marché, le portrait est reconnu comme une œuvre d’art et a fait l’objet d’une vente fructueuse. Juridiquement, le statut de cette création reste flou devant le vide juridique presque total face à tout ce qui touche à l’intelligence artificielle, dont l’existence est devenue profondément ancrée dans le quotidien des individus.

Cette situation a engendré un décalage entre l’état du droit positif et les pratiques sociales et économiques qui se transforment rapidement sous l’effet du progrès technologique.

Il en résulte que le droit du numérique et de l’intelligence artificielle se construit de manière progressive et fragmentée, en profitant des règles existantes tout en ayant pour objectif de les adapter à de nouveaux instruments juridiques. Ce processus exige un effort permanent du législateur et du juge pour rattraper une réalité en constante évolution et assurer, malgré l’accélération technologique, la protection des droits fondamentaux et la sécurité des transactions.

Ahmed Benattou
Docteur en Sciences juridiques et politiques
Cadre administratif au Ministère Marocain de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation
ahmedbenattou166 chez gmail.com

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L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

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