[OHADA] L’objet du choix par l’arbitre du droit applicable au fond du litige.

Le professeur Pierre Mayer a pu affirmer dans le cadre du choix par le tribunal arbitral du droit applicable au fond du litige que le facteur de localisation du contrat repose sur la sagesse et les connaissances de l’arbitre [1].

À cet effet, l’arbitre peut, selon qu’il ait la faculté ou l’obligation, utiliser la méthode directe ou conflictuelle pour désigner la règle de droit applicable au fond [2].
En tout état de cause, on peut s’interroger sur la marge de manouvre qu’il dispose, et se poser la question de savoir : sur quoi porte réellement le choix de l’arbitre ? Rappelons qu’au terme de l’article 15 alinéa 1 de l’acte uniforme relatif à l’arbitrage :

« le tribunal arbitral tranche le fond du différend conformément aux règles de droit choisies par les parties. À défaut de choix par les parties, le tribunal arbitral applique les règles de droit qu’il estime les plus appropriées en tenant compte, le cas échéant, des usages du commerce international ».

L’économie de cette disposition présente dans un premier temps comme objet du choix de l’arbitre, les règles de droit « appropriées » (1) et dans un second, soulève la question de la lex mercatoria (2).

1- Le choix par le tribunal arbitral des règles de droit « appropriées ».

La recherche permanente de l’ordre et la discipline comme finalités premières du droit positif gagerait sans doute la sécurité juridique, mais il n’en est pas moins de la justice et de l’utilité. La nécessité de trouver un véritable sens et un contenu au vocable « approprié » s’impose.
Théoriquement, la finalité utilitariste de Bentham pourrait très bien justifier l’emploi du terme. En effet, dans le cadre d’un utilitarisme objectif, il s’agirait d’appliquer au fond du litige, les règles qui sont le mieux dans la majorité des cas. Et pour un utilitarisme subjectif, les règles qui sont le mieux pour les parties. Un rapprochement de cette notion pourrait aussi très bien se faire avec la conception anglo-saxon de la « proper law of contrat ».

Il faut surligner que le législateur soumet aussi le choix à « l’estime » de l’arbitre qui n’est rien d’autre que sa conscience.

Le choix par l’arbitre se fonde donc sur une confiance des parties. Delà, la contestation ne risque pas de causer problème. Mais s’il faut porter une réflexion sur la sériosité dans le choix, il est pensable qu’une sanction puisse frapper la sentence pour manquement à la mission du tribunal surtout si la juridiction est tenue de statuer en droit. A contrario, cette contestation pourra facilement être battue en brèche dans un arbitrage en amiable composition.
En amiable composition, le tribunal arbitral est grandement libre de choisir un droit étatique, une composition de droit, ou même simplement l’équité. Or, lorsqu’il s’agit de l’arbitrage en droit, la marge de manœuvre se réduit au droit ou composition de droit et donc, l’équité ne devrait être appliquée.

C’est donc très remarquable le sens que donne la CCJA à l’amiable composition :

« de façon négative comme le pouvoir des arbitres de ne pas s’en tenir à l’application stricte des règles de droit, ce qui permet aussi bien de les ignorer que de s’en écarter en tant que le sentiment de l’équité l’exige » [3].

Le choix ne repose donc pas seulement sur une ou plusieurs règles de droit, mais il repose également sur l’équité lorsque le tribunal est élu en amiable composition. Ici et là, les vocables « appropriées » et « estime » plutôt que de soulever une insécurité juridique, démontre bien au contraire le souci du législateur d’adapter le droit applicable au contrat [4].

Une autre observation est que, dans la formulation de l’article 15 sus-cité, en écartant les « usages du commerce internationale » des « droits appropriés », le législateur semble soutenir que la lex mercatoria n’est pas du droit, mais des pratiques à prendre en compte exceptionnellement. Ceci soulève la question de la lex mercatoria dans le choix du droit applicable au fond.

2- La question du choix par le tribunal arbitral de la lex mercatoria.

On sait avec Monsieur Bergel que « Toute différence de nature implique une différence de régime » [5].
L’auteur donne ainsi un véritable intérêt aux juristes de qualifier les phénomènes. Ainsi, puisque tant les patries que le tribunal peuvent choisir le droit ou l’équité pour résoudre le fond du différend, et sachant que la lex mercatoria fait désormais indiscutablement partie de l’objet du choix du droit applicable au fond du litige, l’intérêt de la question de la lex mercatoria repose sur sa qualification en tant que loi ou équité.

En effet, comme indiqué plus haut, la désignation du droit applicable doit, outre la résolution du présent différend qui est soumis à l’instance, rechercher une certaine efficacité de la sentence dans l’avenir.
Il n’est pas impossible que la sentence se voie annuler au motif que le tribunal n’a pas respecter sa mission. Concrètement, le tribunal arbitral qui jugera en équité alors qu’il est tenu de trancher en droit, court le risque que la sentence soit annulée [6]. C’est donc essentiel que de connaitre la valeur de la lex mercatoria.

La lex mercatoria n’est pas un droit étatique car elle n’est pas adoptée par les autorités d’un État. Elle n’est non plus une convention internationale à laquelle peuvent se soumettre par ratification les États. Elle est ce que l’acte uniforme désigne à bon titre comme des « usages du commerce internationale ». C’est-à-dire un ensemble des pratiques des hommes d’affaires, accepté comme le doit. Ce serait donc une sorte de coutume internationale des particuliers.

La question de la juridicité de la lex mercatoria (loi des marchands) est favorable en tant que droit aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence qui reconnaît qu’un tribunal arbitral constitué pour trancher en droit, en appliquant la lex mercatoria, ne s’écarte nullement de sa mission. Faisant ainsi de la lex mercatoria, un droit. Peut-être un droit à part, peut-être un droit à part entière, quoiqu’il en soit, son choix peut aussi bien être partiel que total.

Au total, l’arbitre, comme les parties a en droit de l’arbitrage OHADA une liberté de choix du droit applicable au fond du différend. Ce choix peut porter sur un droit étatique, sur la lex mercatoria en tant que droit des marchands et ce, même dans une composition de tribunal soumise à l’application du droit. Il peut également porter sur l’équité lorsque le tribunal est constitué en amiable composition. Toutefois, dans l’arbitrage institutionnel CCJA, l’arbitre est tenu à défaut du choix des parties à s’en tenir à la règle de conflit conformément à l’Art17 du RA /CCJA.
À côté de cette contrainte particulière aux "arbitres-CCJA", il existe bien d’autres qui limitent de manière générale la marge de manœuvre des arbitres dans le choix du droit applicable au fond du différend.

Bergony Nantsop Ngoupa
Doctorant en Droit à l’Université de Yaoundé 2
bergonynantsop chez gmail.com

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Notes de l'article:

[1P. Mayer, droit de l’arbitrage OHADA, coll. Droit uniforme Africain, éd. Bruylant Bruxelles, 2002.

[2Dans l’arbitrage OHADA, lorsque les parties n’ont pas manifesté leur choix, le choix de la méthode (appropriée) est optionnel pour l’arbitre. En revanche, dans l’arbitrage institutionnel CCJA, l’arbitre est tenu par la méthode conflictuelle.

[3CCJA, Arrêt N°028/2007 du 19 juillet 2007, Ohadata J-09-104.

[4D’aucuns parleront d’une « attente raisonnable des parties ».

[5J.-L. Bergel, différence de nature (égale) différence de régime, RTD Civ. 1984, PP. 258

[6À notre sens, il serait normal que l’inverse soitt aussi valable.

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