L’ordonnance provisoire comme moyen de protection rapide des victimes de violences domestiques.

Par Fabien Koala, Juriste.

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Les violences domestiques en France sont en hausse, avec 444.700 victimes, dont 271.000 cas de violences conjugales. La récente loi a introduit l'ordonnance provisoire de protection immédiate pour garantir une aide rapide aux victimes. Elle permet au juge d'agir sous 24 heures, renforçant les mesures de sécurité existantes.
Description rédigée par l'IA du Village

La dernière intervention législative à propos des violences domestiques est l’adoption de la loi n°2024-536 du 13 juin 2024 qui vient consolider le dispositif de l’ordonnance de protection préexistante par l’allongement de sa durée maximale de 6 mois à 12 mois, pour protéger plus longuement les victimes. Elle crée par ailleurs et surtout l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) visant à les protéger plus rapidement, au bout de 24 heures à compter de la saisine du JAF (Juge aux affaires familiales).

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Les chiffres relatifs aux violences domestiques sont de plus en plus alarmants. Cette remarque est corroborée par le ministère de l’Intérieur dont les données les plus récentes font état de 444.700 victimes de violences commises dans le cadre intrafamilial dont 271.000 victimes de violences conjugales. Sur les 444.700 victimes, 114.100 sont des victimes de violences sexuelles parmi lesquelles sont dénombrées 65.300 mineures [1].

Les violences conjugales et intra-familiales sont ainsi donc un phénomène majeur qui ne saurait être ignoré. C’est pour cela que la législation évolue constamment pour mieux répondre aux besoins de protection des victimes. Nous pouvons notamment citer la création par la loi du 9 juillet 2010, de l’ordonnance de protection visant à assurer en urgence à la victime vraisemblable de violences conjugales et qui est en danger, ainsi qu’aux enfants du couple, des mesures de protection judiciaires [2]. D’ailleurs, les statistiques du ministère de la justice relèvent 4500 demandes en moyenne par an d’ordonnances de protection. Cela signifie que le dispositif est plus que nécessaire.

La dernière intervention législative à ce propos est la consolidation de l’ordonnance de protection préexistante par l’allongement de sa durée maximale passant de 6 mois à 12 mois, pour protéger plus longuement les victimes. Il y a par ailleurs et surtout la création de l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI) visant à les protéger plus rapidement.

Ce nouveau dispositif est celui qui retiendra notre attention, l’ordonnance de protection ayant déjà suscité une littérature abondante.

Un tel sujet ne manque manifestement pas d’intérêt ne serait-ce qu’un intérêt pratique consistant à élargir la connaissance de ce dispositif aux non juristes.

Ainsi donc, il est convenable de s’interroger sur l’apport de ce dispositif supplémentaire dans la lutte contre les violences intrafamiliales.

La réponse à cette question nous conduira à présenter les conditions d’octroi et les effets (II) après rappel de la base légale et l’objectif recherché (I) avant d’évoquer les sanctions prévues en cas de non-respect du dispositif (III).

I- La base légale et l’objectif du recours à l’ordonnance provisoire de protection immédiate (OPPI).

L’ordonnance provisoire de protection immédiate qui est fondée sur une base légale précise (A) poursuit un objectif clairement défini (B).

A- La base légale directe de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

Il faut rappeler que la France s’est engagée dans l’espace du Conseil de l’Europe à lutter âprement contre les violences domestiques. Nous disons cela en pensant assurément à la Convention d’Istanbul qui prévoit que ses Etats parties « prennent les mesures législatives et autres nécessaires pour agir avec la diligence voulue afin de prévenir, enquêter, punir, et accorder une réparation pour les actes de violence couverts par le champ d’application de la présente Convention commis par des acteurs non étatiques » [3].

C’est vraisemblablement dans cet élan qu’est intervenue la loi n°2024-536 du 13 juin 2024 portant création du nouveau dispositif de l’ordonnance provisoire de protection immédiate. Cette loi apporte un amendement au Code civil français qui dispose désormais que « lorsque le juge aux affaires familiales est saisi d’une demande d’ordonnance de protection dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article 515-10, le ministère public peut, avec l’accord de la personne en danger, demander également une ordonnance provisoire de protection immédiate » [4]. Elle habilite, dès lors, le juge aux affaires familiales à intervenir rapidement pour mettre une victime à l’abri du danger.

B- L’objectif du recours à l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

La dizaine d’années d’application de l’ordonnance de protection a permis de déceler quelques insuffisances qui obèrent l’efficacité de ce dispositif en dépit de son importance indéniable aperçue.

En effet, les modalités de mise en œuvre de l’ordonnance de protection impliquent un temps d’attente à compter de la saisine du juge aux affaires familiales dans la mesure où celui-ci dispose d’un délai maximal de 6 jours pour statuer sur la demande d’ordonnance de protection [5], ce qui pouvait consister une longue attente pour la victime qui court un danger imminent. C’est ainsi que l’ordonnance provisoire de protection immédiate apparait comme un adjuvant à l’ordonnance de protection. C’est pour cela que rapporteure Dominique Verien l’a présentée comme une réponse à « la difficulté bien identifiée que constitue la protection des victimes dans le court temps qui sépare la saisine du JAF et sa décision sur l’ordonnance de protection, laps de temps pendant lequel le danger peut être prégnant » [6]. L’ordonnance provisoire de protection immédiate a donc vocation à assurer une protection temporaire mais immédiate à la victime durant l’examen de sa demande d’octroi de l’ordonnance de protection puisque sa délivrance a lieu dans les 24 heures à compter de la saisine [7].

De plus, le législateur met le ministère public (parquet) au centre de la mise en œuvre de la requête d’ordonnance provisoire de protection immédiate pour garantir la protection des victimes qui peuvent être en situation de grande vulnérabilité. C’est ainsi que le ministère public est le seul à qui il revient soit d’initiative propre soit à la demande de la personne en danger, de présenter cette requête d’ordonnance provisoire au juge aux affaires familiales. Toute victime qui souhaite bénéficier de ce dispositif devra donc passer par le procureur de la République pour l’introduction d’une requête.

II- Les conditions d’octroi et les mesures contenues dans l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

L’ordonnance provisoire peut contenir un ensemble varié de mesures adaptées (B) dont le bénéfice est toutefois soumis à des conditions qu’il nous convient de rappeler (A).

A- Les conditions de mise en œuvre de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

Comment déjà mentionné plus haut, l’article 515-13-1 nouveau, prévoit en ses alinéas 1 et 2 que

« lorsque le juge aux affaires familiales est saisi d’une demande d’ordonnance de protection dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article 515-10, le ministère public peut, avec l’accord de la personne en danger, demander également une ordonnance provisoire de protection immédiate.
L’ordonnance provisoire de protection immédiate est délivrée par le juge aux affaires familiales dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine s’il estime, au vu des seuls éléments joints à la requête, qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger grave et immédiat auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés
 ».

La lecture combinée de ces deux alinéas et de l’article 515-10 du Code civil nouveau nous apprend qu’un certain nombre de conditions gouvernent la délivrance de cette ordonnance provisoire.

La première condition est effectivement celle qui veut que la demande de l’ordonnance provisoire soit accessoire à une demande principale d’ordonnance de protection. En prévoyant la possibilité de demande d’ordonnance provisoire seulement « lorsque le juge aux affaires familiales est saisi d’une demande d’ordonnance de protection dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article 515-10 », le législateur n’a pas voulu dissocier ce dispositif mais plutôt en faire une demande dépendante au regard de ses objectifs rappelés plus haut. La demande d’ordonnance provisoire doit donc être introduite en complément d’une requête de délivrance d’une ordonnance de protection.

On peut déduire des textes rappelés et de la pratique jurisprudentielle des ordonnances de protection que la seconde condition pour l’ordonnance provisoire est double et manifestement cumulative. Elle suppose en effet l’existence aussi bien de faits de violences vraisemblables qu’un danger grave et imminent. Le caractère cumulatif de cette double condition a déjà été affirmée par les juges [8] concernant les demandes d’ordonnance de protection, ce qui peut sembler un recul dans la lutte contre les violences domestiques. Mais pour certains, « il s’agit moins d’un recul que d’un recentrage de l’ordonnance de protection sur son objectif premier qui est de protéger les femmes en danger et non de sanctionner en général des violences commises par un des membres du couple » [9].

Cela dit, cette procédure n’est pas soumise au contradictoire, le juge aux affaires familiales se décidant à partir des seuls éléments joints à la requête et suivant les observations du ministère public. La partie requérante peut très bien se prévaloir d’éléments comme des témoignages, des rapports médicaux ou des signalements aux autorités compétentes.

A ces conditions, nous ajouterons les risques de mariage forcé comme condition admise pour la délivrance d’une ordonnance provisoire de protection immédiate. Cette condition est traitée par l’article 515-13, point II qui dispose qu’

« une ordonnance provisoire de protection immédiate peut également être délivrée en urgence par le juge à la personne majeure menacée de mariage forcé ».

B- Les mesures pouvant être contenues dans l’ordonnance provisoire.

A l’image de l’ordonnance de protection, l’ordonnance provisoire se veut un cadre de sécurité pour la victime à la différence que cette dernière doit intervenir plus rapidement. L’ordonnance provisoire ouvre logiquement droit aux mêmes mesures sécurisantes.

Du reste, l’article 515-13-1 nouveau du Code civil affirme que les mesures mentionnées aux 1° à 2° bis de l’article 515-11, la suspension du droit de visite et d’hébergement mentionné au 5° du même article 515-11 et la dissimulation par la personne en danger de son domicile ou de sa résidence dans les conditions prévues aux 6° et 6° bis dudit article 515-11 pourront être contenues dans l’ordonnance provisoire du juge.

Nous pouvons ainsi donc citer des mesures comme :

  • L’interdiction pour l’auteur d’entrer en contact avec la victime
  • L’interdiction de recevoir ou rencontrer certaines personnes ou entrer en contact avec elles
  • L’interdiction pour lui de se rendre dans certains lieux fréquentés par la victime
  • L’attribution temporaire du logement familial à la victime
  • La suspension de l’autorité parentale ou la fixation de modalités spécifiques pour la garde des enfants.

Le juge peut même décider que l’adresse de la victime soit masquée quand une demande de la liste électorale est faite par l’auteur.

III- Les sanctions prévues en cas de non-respect l’ordonnance provisoire de protection immédiate.

L’ordonnance provisoire de protection immédiate a irradié l’arsenal juridique de lutte contre les violences domestiques. Le Code pénal a par exemple été modifié pour prévoir désormais que

« le fait, pour une personne faisant l’objet d’une ou de plusieurs obligations ou interdictions imposées dans […] ou dans une ordonnance provisoire de protection immédiate rendue en application de l’article 515-13-1 du même code, de ne pas s’y conformer est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende » [10].

Cette disposition aligne les sanctions prévues pour le non-respect de ce dispositif sur les mêmes sanctions que celles prévues pour le cas de l’ordonnance de protection.

On peut d’ailleurs remarquer un alourdissement, des sanctions qui étaient plutôt de 1 an de prison et de 15 000 euros d’amende avant la création de l’ordonnance provisoire, parce qu’une sanction pénale légère du non-respect du dispositif lui ferait perdre son effet dissuasif et laisserait les victimes dans une situation de vulnérabilité.

Cependant, la configuration du dispositif peut laisser tout observateur sur sa faim. En effet, il hérite des imperfections constatées dans la configuration de l’ordonnance de protection notamment concernant la protection des enfants, victimes directes de violences en l’absence de violences conjugales. Tout comme l’ordonnance de protection, l’ordonnance provisoire de protection immédiate semble ne pas être envisageable pour une protection immédiate des enfants, ce qui est regrettable au regard du principe de défense de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Malgré tout, l’ordonnance provisoire de protection immédiate reste un outil qui sera essentiel. Les acteurs n’attendent plus que le décret d’application du dispositif qui est annoncé pour début 2025.

Fabien Koala, Juriste

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Notes de l'article:

[1Chiffres enregistrés par les forces de sécurité et contenus dans un rapport publié le 6 novembre 2024 par le Ministère de l’Intérieur.

[2Articles 515-9 nv du Code civil ; Cour de cassation - Chambre civile 1, 23 mai 2024 - n° 22-22.600.

[3Article 5, point 2 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée par la France le 04 juillet 2014 et entrée en vigueur le 01 novembre de la même année.

[4Article 515-13-1, al1. nv du Code civil.

[5Article 515-11, al 1. nv du Code civil.

[6Propos tenus lors de sa présentation de la proposition de loi visant à allonger la durée de l’ordonnance de protection et à créer l’ordonnance provisoire de protection immédiate le 30 avril 2024, V. https://www.senat.fr/rap/l23-557/l23-5574.html

[7Article 515-13-1, al 2. nv du Code civil.

[8Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 13 février 2020, 19-22.192, Inédit.

[9Adeline Gouttenoire, Le point sur... L’ordonnance de protection : une véritable mesure d’urgence, La lettre juridique, juin 2020.

[10Article 227-4-2 nouveau du Code pénal.

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