Ce paradoxe mérite une analyse approfondie, tant il révèle les tensions entre les exigences normatives et les dynamiques de pouvoir au sein des conseils d’administration.
La gouvernance est-elle une simple conformité ?
De nombreux administrateurs et dirigeants continuent d’assimiler la gouvernance à un ensemble de formalités : procès-verbaux, codes d’éthique, structures de comités, règles de quorum. Ces mécanismes, pourtant essentiels à la traçabilité des décisions et à la responsabilité fiduciaire, sont parfois relégués au rang de « bureaucratie ». Le professionnel de l’administration devient alors le gardien du formalisme, celui qui « ralentit » les processus en insistant sur les exigences de régularité.
Une telle perception est alimentée par plusieurs facteurs :
- Une vision du court terme : les directions privilégient les enjeux opérationnels immédiats au détriment de la construction de cadres pérennes.
- Une personnalisation du pouvoir : certains présidents ou dirigeants concentrent l’autorité, et y voient un obstacle à leur marge de manœuvre.
- Une absence de formation juridique : de nombreux administrateurs ignorent leurs obligations fiduciaires, faute d’une formation adéquate en droit des sociétés ou en droit associatif.
Les pièges d’une gouvernance affaiblie.
Lorsque la gouvernance est négligée, les conséquences ne sont pas seulement organisationnelles, elles sont aussi juridiques et institutionnelles. Les décisions prises hors cadre peuvent être entachées d’irrégularité ; les conflits d’intérêts non gérés peuvent exposer l’organisation à des risques de responsabilité. Ainsi, l’absence de mémoire procédurale fragilise la continuité institutionnelle.
La légitimité du conseil s’en trouve compromise. Le droit ne se contente pas d’encadrer les actes : il fonde la confiance des parties prenantes — salariés, membres, donateurs, régulateurs, voire le public. Une gouvernance faible est une gouvernance vulnérable.
Entre ritualisation et discipline juridique.
Certaines organisations, particulièrement dans les secteurs régulés ou à forte culture juridique, intègrent la gouvernance comme une composante essentielle du leadership. Les procédures ne sont pas perçues comme des entraves, mais comme des garanties de transparence et d’équité. Néanmoins, un autre risque guette : celui de la ritualisation. Lorsque les usages sont suivis sans réflexion sur leur finalité, la gouvernance devient un automatisme, déconnecté de ses objectifs substantiels.
Le droit de la gouvernance ne saurait être réduit à une mécanique procédurale. Il doit demeurer un instrument de régulation stratégique, au service de la responsabilité, de la performance et de la légitimité.
Pour une administration dynamique et crédible.
La leçon est universelle : la gouvernance fonctionne lorsque celle-ci se vit comme une valeur partagée, et non comme une obligation réglementaire. Elle doit être réinterrogée à chaque génération de dirigeants et adaptée aux exigences contemporaines en matière d’éthique, de transparence et d’efficacité.
Cela suppose :
- Une formation juridique systématique des administrateurs sur leurs responsabilités fiduciaires et les règles de fonctionnement des instances.
- Une reconnaissance institutionnelle du rôle des professionnels, comme garants de la régularité et de la légitimité.
- Une évaluation continue des pratiques, pour éviter la dérive vers une administration formelle sans substance.
Lorsqu’elle est négligée, la gouvernance expose l’organisation à des risques juridiques, affaiblit la qualité des décisions et érode la confiance. Mais, lorsqu’elle est pensée comme une pratique vivante — alliant rigueur normative et agilité stratégique — elle devient un levier de résilience et de légitimité.


