Les faits : La société Michelin confie le transport de pneus à la société Synergie Logistiques, laquelle affrète pour ce transport la société Juvirex, assurée auprès de la société Gjensidige.
La livraison n’ayant jamais eu lieu, la société Michelin assigne la société Synergie Logistiques devant le Tribunal de commerce et cette dernière assigne en garantie la société Juvirex et son assureur la société Gjensidige.
L’indemnisation du préjudice ayant été limitée en première instance, la société Michelin relève appel uniquement à l’encontre de la société Synergie Logistiques qui, par voie d’assignation, forme appel incident contre la société Juvirex.
Celle-ci décide alors de déposer une déclaration d’appel principal à l’encontre de la société Gjensidige, son assureur mis hors de cause par le tribunal de commerce.
Selon un arrêt du 8 décembre 2016, la Cour d’appel de Lyon déclare irrecevable l’appel de la société Juvirex à l’encontre de la société Gjensidige, motif pris qu’un appel principal ne pouvait être régularisé au lieu et place d’un appel provoqué.
Demanderesse au pourvoi, la société Juvirex soutenait qu’elle avait, elle aussi, intérêt à interjeter appel à titre principal de la décision de mise hors de cause de son assureur indépendamment de toute remise en cause du chef de la condamnation qui la visait.
Mais la deuxième chambre civile approuve le raisonnement de la Cour d’appel de Lyon et rejette le pourvoi en estimant « qu’ayant constaté que la société Juvirex était intimée et formait un recours contre une partie de première instance jusque-là non attraite en cause d’appel, la cour d’appel, qui en a déduit exactement que l’appel qu’elle formait s’analysait nécessairement en un appel provoqué qui ne pouvait être régularisé que par voie d’assignation valant conclusions dans les deux mois de l’appel qui l’avait provoqué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ».
Dans le cas soumis à la Haute juridiction, l’appelant avait fait le choix, plutôt que d’assigner en appel provoqué, de former un appel principal à l’encontre de la société Gjensidige, son assureur, non intimé sur la première déclaration d’appel de la société Michelin.
À première vue, si la société intimée était toujours dans le délai légal de l’appel, pour quelle raison lui interdire de former, à son tour, un appel principal et demander par la suite une jonction des deux procédures. En effet, dès lors qu’elle avait été condamnée à garantir les condamnations prononcées en première instance à la charge de la société Synergie Logistiques et que son assureur avait été mis hors de cause par les premiers juges, elle pouvait avoir intérêt à remettre en cause la décision de première instance.
Cependant, la Cour de cassation a toujours eu une lecture stricte des textes. On sait en effet que par application de l’article 549 du code de procédure civile, l’appel incident peut émaner, sur l’appel principal ou incident qui le provoque, de toute personne, même non intimée, ayant été partie en première instance et que l’article 550 ajoute que l’appel provoqué peut être formé alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal, à condition qu’il soit présenté dans les délais des articles 909 et 910 ou désormais 905-2 du code de procédure civile si l’appel a été fixé à bref délai.
En outre, l’article 551 dispose que l’appel incident ou l’appel provoqué est formé de la même manière que le sont les demandes incidentes, c’est-à-dire par voie d’assignation conformément à l’article 68 du code de procédure civile qui précise bien que les demandes incidentes sont faites à l’encontre des parties ou des tiers dans les formes prévues pour l’introduction de l’instance et qu’en appel « elles le sont par voie d’assignation ».
Enfin, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 est venu réparer l’omission maladroite de l’article 909 du code de procédure civile qui précise maintenant, sans équivoque, que l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois pour former appel provoqué.
Ainsi, s’il n’est bien sûr pas interdit qu’une partie, intimée sur un acte d’appel principal, relève à son tour appel principal (elle peut craindre par exemple que l’appelant laisse rendre, sciemment ou non, une caducité de sa déclaration d’appel conduisant à l’irrecevabilité de ses conclusions même notifiées antérieurement) en intimant des parties déjà présentes sur l’acte d’appel principal, le recours contre une partie non intimée sur l’acte d’appel principal ne peut qu’être formé par voie d’assignation en appel provoqué.
Disons-le, l’apport de cet arrêt n’apparaît pas immédiatement évident tant il semble la réplique d’une solution déjà dégagée par la Cour de cassation en 2014.
La deuxième chambre civile, par un arrêt également publié au bulletin et très commenté, avait en effet déjà censuré la pratique de l’appel principal au lieu et place de l’assignation en appel provoqué [1].
La deuxième chambre civile avait estimé que l’appel qui découle d’un appel principal ou incident qui le provoque doit être considéré comme un appel provoqué.
Deuxième enseignement, l’appel provoqué, c’est-à-dire contre une partie non intimée sur l’acte d’appel principal mais partie en première instance, se fait uniquement par voie d’assignation, valant conclusions.
Troisième et dernier enseignement, l’assignation en appel provoqué doit être délivrée dans le délai de deux mois (C. pr. civ., art. 909 anc.) de l’appel incident qui le provoque.
Cependant, dans l’arrêt de 2014, les deux attendus de la Cour de cassation apparaissaient moins limpides au regard des faits et de la situation procédurale tandis que l’apport véritable de l’arrêt de 2018 tient moins de la solution (déjà) acquise que de la clarté de son attendu.
Si la deuxième chambre civile a entendu donner la même publicité à cet arrêt de rejet, c’est qu’il écarte le moyen avancé d’un intimé qui avait, lui aussi, intérêt à relever appel principal puisqu’il avait été condamné à garantir les condamnations prononcées en première instance à la charge d’un co-intimé et d’un assureur déclaré hors de cause par les premiers juges. Mais cet assureur n’était pas intimé sur l’acte d’appel principal et la généralité de l’attendu s’impose donc avec force : dès lors qu’un intimé veut former un recours contre une partie de première instance non attraite en cause d’appel, seul un appel provoqué, régularisé par voie d’assignation valant conclusions dans le délai imparti pour conclure, est recevable.
L’avocat devra donc veiller non seulement au recours approprié, mais encore à analyser la situation procédurale le plus en amont possible pour conclure et assigner au plus tôt et ne pas tomber dans le piège de l’article 911 du code de procédure civile qui accorde à l’appelant ou à l’intimé un délai augmenté d’un mois pour signifier ses conclusions à un intimé non constitué sur l’acte d’appel.
Dans le cas de l’appel provoqué, la partie présente en première instance n’est pas, par définition, présente sur la déclaration d’appel principal et l’assignation, qui vaut conclusions, devra l’avoir touchée avant l’expiration du délai de trois mois pour conclure, voire d’un mois si l’affaire a été fixée à bref délai conformément aux dispositions des articles 905 et suivants du code de procédure civile.
Aussi, si dans les deux cas les avocats devront avoir respecté leur délai de remise des conclusions au greffe, ils ne seront pas placés sur un même pied d’égalité. Celui qui devra signifier ses écritures à l’intimé non constitué bénéficiera d’un délai d’un mois supplémentaire à compter de l’expiration de son délai pour conclure, et celui qui devra assigner en appel provoqué non seulement n’aura pas de délai augmenté mais devra de facto réduire son délai pour conclure s’il veut que l’huissier de justice dispose du temps suffisant pour la remise de son acte.
L’assignation en appel provoqué, ou l’art de l’anticipation.
Article paru initialement sur Dalloz Actualité.