La paternité des œuvres générées par l'Intelligence Artificielle. Par Jean-Pierre Koboyah Laoudema, Juriste et Edith Yendouboim Tchelougou, Etudiante.

La paternité des œuvres générées par l’Intelligence Artificielle.

Par Jean-Pierre Koboyah Laoudema, Juriste et Edith Yendouboim Tchelougou, Etudiante.

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Explorer : # intelligence artificielle # droit d'auteur # propriété intellectuelle # création assistée

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L'article explore les défis juridiques liés à l'attribution des droits d'auteur sur les œuvres générées par l'intelligence artificielle. Il examine les perspectives de reconnaissance de l'IA, du concepteur et de l'utilisateur comme auteurs, ainsi que la possibilité de créer un régime spécifique ou de placer ces œuvres dans le domaine public.
Description rédigée par l'IA du Village

L’intelligence artificielle (IA) est définie comme « un procédé logique et automatisé reposant généralement sur un algorithme et en mesure de réaliser les tâches bien définies » [1].
Elle est apparue pour la première fois à la conférence de Dartmouth en 1956, et s’impose aujourd’hui dans toutes les sphères de la vie quotidienne.
Le domaine artistique n’échappe pas à cette révolution. De ChatGPT à Midjourney, en passant par Canva ou AIVA, pour ne citer que ceux-ci, les outils d’IA deviennent des partenaires de création privilégiés.
Toutefois, l’intégration de l’IA au domaine artistique soulève des problématiques de propriété littéraire et artistique : à qui appartient une œuvre artistique générée par une machine ? Qui est titulaire des droits issus d’une création de l’IA ?

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Une collaboration inédite réunissant les voix des artistes Booba et Gims cumulant près de 15 millions de vues sur YouTube, Beyoncé qui reprend le morceau Bohemian Rhapsody, l’artiste Robbie Barrat qui explore la création picturale entièrement issue d’algorithme, l’actualité en regorge d’exemples. Entre fascination et inquiétude, l’IA repousse les soubassements du droit d’auteur.

Le présent article aborde cette problématique en traitant de l’ambiguïté de la détermination de l’auteur de l’œuvre générée dans une première partie (I), puis des perspectives d’attribution des droits sur l’œuvre générée (II).

I- L’ambiguïté de la détermination de l’auteur de l’œuvre générée.

La détermination de l’auteur d’une œuvre générée par l’IA soulève de profondes interrogations en raison de la diversité des acteurs impliqués dans le processus de création. Face à cette incertitude, la doctrine et la jurisprudence ont proposé diverses approches. La première approche repose sur l’idée de reconnaître l’IA comme autrice (A). La seconde quant à elle envisage le concepteur de l’IA comme auteur (B). Enfin, la troisième entrevoit la reconnaissance de l’utilisateur comme auteur (C).

A- La conception de l’IA autrice.

La conception de l’IA autrice renvoie à l’idée selon laquelle l’IA pourrait être reconnue comme autrice des œuvres qu’elle crée de façon autonome. Une telle reconnaissance suppose d’admettre que la machine puisse être détentrice des droits, ce qui contredit les principes fondamentaux du droit d’auteur. Cette conception remet en question la notion traditionnelle d’auteur.

Dans la plupart des systèmes juridiques, l’auteur est défini comme une personne physique [2]. En France [3], l’auteur d’une œuvre de l’esprit, doit être une personne physique. Seules les personnes physiques sont habilitées à revendiquer la qualité d’auteur. De même, en Suisse, l’auteur est la personne physique qui crée l’œuvre [4]. De ce fait, un système d’IA, en tant qu’entité non humaine, ne peut être reconnu comme l’auteur d’une œuvre.

Aux États-Unis, la jurisprudence illustre clairement ce refus d’accorder la paternité à l’IA. Dans l’affaire Thaler [5], le créateur a cherché à enregistrer l’œuvre « A Recent Entrance to Paradise », en identifiant son auteur comme « la machine à créativité » tout en précisant l’absence de contribution humaine. La Commission de révision du Copyright Office a refusé l’enregistrement en estimant que l’œuvre ne remplissait pas l’exigence fondamentale de la paternité humaine. Plus récemment, dans l’affaire Suryast [6], la même Commission, a refusé d’enregistrer un droit d’auteur à l’égard de Suryast, tout en estimant que « l’apport de M. Sahni n’était pas suffisant pour répondre au critère de paternité humaine » [7]. Ces décisions démontrent à suffisance que, pour être protégeable, une œuvre doit refléter l’empreinte personnelle d’un humain, condition que l’IA ne peut satisfaire.
Aussi, ce refus de reconnaître l’IA comme auteur traduit avant tout l’impossibilité de lui attribuer une personnalité juridique. Exclue du cercle des sujets de droit, l’IA reste un simple outil au service de la création humaine.
Il convient dès lors de s’interroger sur la possibilité de reconnaître le concepteur comme auteur de l’œuvre.

B- L’hypothèse du concepteur auteur.

L’hypothèse du concepteur auteur repose sur l’idée que la paternité d’une œuvre générée par une IA devrait revenir au concepteur du logiciel, c’est-à-dire au développeur de l’IA. Cette approche repose sur la théorie de l’investissement qui vise à récompenser l’effort intellectuel et financier initial [8] déterminant dans la création du logiciel à l’origine de l’œuvre. Autrement dit, aucune création générée par l’IA ne serait possible sans le logiciel conçu par l’ingénieur ; ce qui justifie alors l’attribution de la paternité au concepteur.

Cette position suscite un intérêt particulier dans certains systèmes juridiques, notamment au Royaume-Uni. En vertu de la loi britannique sur le droit d’auteur, l’auteur d’une « œuvre créée au moyen d’un ordinateur » est « la personne ayant pris les dispositions nécessaires » à sa création. L’article 178 précise qu’une « œuvre créée par ordinateur » désigne toute production résultant d’un processus entièrement autonome excluant l’intervention humaine. En reconnaissant implicitement le concepteur comme auteur, cette disposition remet en cause le principe fondamental du droit d’auteur fondé sur l’ancrage humain [9].

Cependant, cette approche connaît des limites. D’une part, le concepteur du logiciel qui est l’auteur du programme, n’est pas celui des multiples œuvres qui peuvent être générées par ce dernier. Attribuer alors la paternité des œuvres au concepteur de l’IA, serait une confusion manifeste. Cela équivaudrait à reconnaître le fabricant d’un stylo comme l’auteur de tous les textes rédigés avec son instrument. C’est également le cas de la société Microsoft qui, bien qu’étant l’auteur du logiciel Word, n’est pas pour autant l’auteur des documents créés à l’aide de ce logiciel [10].

Ainsi, cette théorie, quoique séduisante, ne parvient pas à résoudre le problème d’originalité puisque ne découlant d’aucune intention créative directe du concepteur.
En définitive, face aux limites de cette approche centrée sur le concepteur, une autre approche s’est développée : celle de l’utilisateur auteur.

C- La théorie de l’utilisateur auteur.

La théorie de l’utilisateur auteur repose sur l’idée selon laquelle, est considérée comme auteur de l’œuvre générée, la personne physique qui interagit avec la machine. C’est en effet l’humain qui initie le processus créatif en paramétrant l’outil, en concevant des prompts et en filtrant les résultats pour obtenir une production conforme à sa vision artistique. L’IA est alors un simple instrument d’exécution, au service d’une intention humaine prédéfinie. Dans ce sens, le travail de retouche, de sélection ou d’ajustement effectué par l’utilisateur confère à l’œuvre le caractère d’originalité requis par le droit d’auteur pour fonder la paternité. Comme le dira un auteur, « il n’y a pas d’œuvre sans intervention humaine » [11].

Cependant, cette théorie se trouve limitée lorsque l’intervention de l’humain est réduite à une simple commande. Lorsqu’un utilisateur se limite à fournir une instruction textuelle sans exercer un réel contrôle sur le processus de création, la jurisprudence tend à refuser la reconnaissance du statut d’auteur. Le Copyright Office estime par exemple que les descriptions textuelles adressées à une IA reposent sur des suggestions plutôt que sur des ordres, et qu’elles ne peuvent être comparées au travail d’un photographe humain prenant le contrôle de manière consciente sur sa création [12].

Ainsi, pour que la qualité d’auteur soit reconnue à un utilisateur, celui-ci doit démontrer sa contribution humaine substantielle dans le processus créatif [13]. Cela implique un apport personnel apte à façonner l’expression finale de l’œuvre. Cette exigence permet de distinguer la création véritablement assistée de la création purement automatisée.
En somme, cette approche de l’utilisateur auteur cherche à allier le rôle sans cesse grandissant de l’IA avec le principe selon lequel, seule une personne physique peut être un auteur. Elle met également en lumière des difficultés à distinguer ce qui relève de la création humaine de l’autonomie de la machine. Qui est alors titulaire des droits issus de l’œuvre générée ?

II- Les perspectives d’attribution de la titularité des droits sur l’œuvre générée.

La question de la titularité des droits sur les œuvres générées par l’IA demeure incertaine dans la plupart des législations. Face à cette incertitude, plusieurs propositions ont été faites par la doctrine et la pratique pour un encadrement légal de la titularité des droits issus des œuvres générées par l’IA. La première consiste à la reconnaissance de l’utilisateur comme titulaire des droits (A). Une seconde envisage la création d’un régime spécifique adapté à ces créations (B). Enfin, une troisième propose que les œuvres générées par l’IA appartiennent au domaine public (C).

A- La reconnaissance de l’utilisateur comme titulaire des droits.

La reconnaissance de l’utilisateur comme titulaire des droits générés par l’IA est l’une des solutions des plus prospectées. Généralement, l’utilisateur ayant souscrit à une licence d’exploitation, il est des plus crédibles de lui reconnaître la paternité des droits sur les œuvres générées. L’utilisateur de l’IA est perçu comme « celui qui a la maitrise de l’outil et de l’élection du résultat en tant qu’œuvre » [14]. Perçu comme tel, plusieurs auteurs proposent de lui reconnaître des droits sur l’œuvre.

Deux arguments principaux sont avancés pour reconnaitre l’auteur comme bénéficiaire des droits issus de l’IA. Premièrement, c’est l’utilisateur qui déclenche le processus de création : sans son intervention, aucune œuvre ne verrait le jour.

Deuxièmement, l’utilisateur est responsable de la mise en place du cadre créatif. Il fixe le fixe et l’oriente [15].
L’utilisateur conserve la maîtrise du processus de création et confère à l’œuvre une empreinte personnelle. C’est ce lien d’intention et de contrôle qui justifie la paternité de ses droits.
Bien que séduisante, cette option n’est pas exempte de critiques. Une partie de la doctrine estime que le rôle de l’utilisateur dans la génération de l’œuvre est souvent trop minime pour lui reconnaître des droits. Ainsi, une autre voie a été proposée. Il s’agit de la création d’un régime sui generis.

B- La proposition d’un régime sui generis.

Une solution souvent évoquée consiste à la création d’un droit sui generis c’est-à-dire un régime spécifique pour les œuvres générées par l’IA. Il offrirait l’avantage d’accorder une protection juridique aux créateurs et propriétaires de système d’IA, leur permettant de bénéficier d’un retour sur investissement sur les créations de leur IA, estiment certains auteurs [16].

De nombreux acteurs du monde artistique estiment que l’avènement de l’IA a bouleversé leur modèle économique : « Les IA génératives n’ont pas d’esprit créateur : elles imitent, plagient, mixent. Il faut, pour qu’elles puissent générer des contenus, les nourrir de données constituées de milliards d’œuvres aspirées automatiquement sur internet et complétées de métadonnées les décrivant. C’est ce qui permet aujourd’hui de demander aux IA de générer par exemple une œuvre picturale ou photographique dans le style de tel artiste. Les IA viennent donc directement capter la valeur qui est attachée aux œuvres existantes » [17].

En septembre 2023, une proposition de loi n° 1630 a été déposée en France par huit députés dont le député Guillaume Vuilletet était l’un des principaux défenseurs. Cette proposition de loi envisageait de compléter le Code de propriété intellectuelle pour permettre aux artistes une meilleure prise en charge de leurs droits face au développement de l’IA. La proposition de loi considérait que « lorsque l’œuvre est créée par une intelligence artificielle sans intervention humaine directe, les seuls titulaires des droits sont les auteurs ou ayant droits des œuvres qui ont permis de concevoir ladite œuvre artificielle » [18]. Cette proposition vise une meilleure gestion des rémunérations issues des œuvres générées par l’IA. Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a invoqué une volonté de créer un régime sui generis pour les créations autonomes de l’IA afin de favoriser la protection des œuvres générées.
Cette solution séduit une partie du monde artistique. Toutefois, cette piste n’est pas exempte de critiques. La professeure Jane Ginsburg formule des réserves à ce propos : « faudrait-il trouver un autre système, éventuellement un droit sui generis pour protéger les sorties ? Je ne suis pas convaincue non plus. Je pense qu’il faut beaucoup plus d’informations » [19]. De manière plus radicale, certains auteurs envisagent de placer par défaut les créations de l’IA dans le domaine public.

C- La thèse d’un domaine public par défaut.

La troisième solution proposée par la doctrine pour encadrer les œuvres générées par l’IA serait de les placer dans le domaine public par défaut. En matière de propriété intellectuelle, le domaine public recouvre « les œuvres et les connaissances qui ne sont pas couvertes par un droit de propriété. Il constitue un espace de liberté et de gratuité, composé de ressources accessibles et utilisables par tous, sans droits réservés, sans qu’il soit nécessaire de demander une autorisation à quiconque » [20]. Ainsi donc, les œuvres générées par l’IA seraient reversées dans le domaine public pour être utilisé par toute personne désireuse sans que les droits soient attribués à une personne en particulier.
Le Professeur Georges Azzaria juge cette option réaliste. Il estime que deux critères sont requis pour que l’œuvre générée bascule dans un domaine public par défaut : « D’abord il faut que le résultat particulier ne soit pas visible par les programmeurs et les utilisateurs. L’IA doit jouer un rôle prédominant, voire quasi exclusif, dans l’expression de l’œuvre. Ensuite, l’intervention humaine doit être minimale » [21]. Autrement dit, pour que l’œuvre appartienne au domaine public, il faut au préalable que l’apport de l’IA dans la génération de l’œuvre soit importante et majoritaire. Dans ces conditions, l’œuvre n’a alors ni auteur, ni titulaire des droits, donc il appartiendrait au domaine public.
Cette hypothèse présente l’avantage de garantir un accès libre aux créations. Néanmoins, les créateurs des systèmes d’IA et les utilisateurs perdraient tout retour investissement et pourraient se sentir lésés.

L’IA transforme profondément le domaine artistique et soulève des enjeux sur la paternité des œuvres. Plusieurs approches sont envisagées pour concilier protection des acteurs et innovations. Ces approches reflètent un débat continu sur l’adaptation du droit de la propriété intellectuelle aux nouvelles innovations technologiques. Un encadrement efficace nécessitera une concertation collective entre les différents acteurs du domaine, les juristes et le législateur.

Jean-Pierre Koboyah Laoudema, Juriste
et Edith Yendouboim Tchelougou, Étudiante en droit des technologies de l’information

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Notes de l'article:

[2C. Gestin-Vilion, La protection par le droit d’auteur des créations générées par intelligence artificielle, Mémoire maitrise en droit, Université Laval – Université Paris Saclay, 2017, p. 16.

[4Art.6 de la loi fédérale sur le droit d’auteur.

[5Stephen Thaler v. U.S. Copyright Office, 18 mars 2025, disponible sur https://www.copyright.gov/ai/docs/us-brief-for-appellees.pdf

[9Ibid.

[10Ibid.

[11M. Vivant et J-M. Bruguiere, Droit d’auteur et droits voisins, 3e éd., Paris, Dalloz, 2016, p.142.

[12H. Felisberto, « ChatGPT et les œuvres littéraires : quelques considérations de droit d’auteur », Fabula/Les colloques, « Droit et littérature : la fiction en pouvoir ? » https://www.fabula.org/colloques/document12449.php, consulté le 01 octobre 2025.

[15C. Gestin-vilion, La protection par le droit d’auteur des créations générées par intelligence artificielle, Mémoire de maitrise en droit, Université Laval - Université Paris Saclay, 2017, p. 62.

[17S. Le Cam et F. Maupome, Un argumentaire pour une meilleure régulation des IA : Quels impacts pour les métiers de la création ?, in Ligue des auteurs professionnels, https://ligue.auteurs.pro/wp-content/uploads/2023/04/argumentaire-de-la-ligue.pdf, p. 15, cité par L. D. Godefroy, « Quel droit pour l’IA générative », Revue LexSociété, 2025, p. 10.

[20D. De Rosnay Mélanie, et H. Le Crosnier, « Le domaine public », Propriété intellectuelle, CNRS Éditions, 2013.

[21G. Azzaria, « Intelligence artificielle et droit d’auteur, l’hypothèse d’un domaine public par défaut », Les cahiers de propriété intellectuelle, Vol. 30, n° 3, p. 944.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

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