Le gel d’actifs numériques dans les sanctions internationales : enjeux et perspectives juridiques.

Par Yanis Mouhou, Juriste.

416 lectures 1re Parution: 1.99  /5

Explorer : # sanctions internationales # actif numérique # blockchain # compliance

L’application des sanctions internationales aux actifs numériques révèle une tension entre le droit existant, conçu pour des systèmes centralisés, et la logique décentralisée de la blockchain.
Les jurisprudences récentes, en particulier américaines, incitent à reconsidérer les fondements juridiques des sanctions, afin de les rendre opérationnelles dans un monde numérique globalisé. Le défi juridique de demain sera de concilier le respect de l’État de droit avec l’efficacité de la coercition internationale sur des outils sans centre ni contrôleur.

-

Introduction.

Les actifs numériques, tels que les cryptomonnaies, les jetons (tokens) et les actifs tokenisés, posent de nouveaux défis au droit international des sanctions. L’architecture décentralisée des réseaux blockchain et l’anonymat relatif de certaines technologies compliquent l’application des mesures coercitives traditionnelles, notamment le gel d’actifs. Le droit des sanctions, qui permet aux États ou organisations internationales d’imposer des restrictions financières, vise à modifier le comportement d’entités étrangères présumées menaçantes. Mais qu’en est-il lorsque les actifs sont inaccessibles, anonymes ou automatisés ?

I. Fondements juridiques des sanctions et du gel d’actifs.

1.1. Sources internationales et nationales.

Le droit des sanctions prend ses sources dans :

  • La Charte des Nations unies (article 41), permettant au Conseil de sécurité d’imposer des sanctions contraignantes ;
  • Les actes de l’Union européenne (ex : règlements adoptés sur base des articles 75 et 215 TFUE) ;
  • Les mesures unilatérales nationales, notamment des États-Unis via l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), administré par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC).

1.2. Le gel d’actifs : une mesure restrictive de nature administrative.

Le gel consiste à empêcher toute mobilisation, transfert ou usage d’un bien, sans que celui-ci ne soit confisqué. Il ne requiert pas de condamnation judiciaire préalable, et repose sur des considérations d’ordre public et de sécurité internationale.

II. Applicabilité aux actifs numériques.

2.1. Qualification juridique des actifs numériques.

Les actifs numériques peuvent être :

  • Des instruments financiers (security tokens) ;
  • Des actifs numériques simples (utility tokens) ;
  • Des monnaies virtuelles (ex : bitcoin, ether).

Leur qualification juridique conditionne leur régime de gel. Par exemple, l’article L561-2 du Code monétaire et financier en France inclut les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) dans le champ des obligations LCB-FT.

2.2. Application pratique du gel aux actifs numériques.

L’application opérationnelle du gel repose sur :

  • L’identification de l’adresse blockchain contrôlée par une personne désignée ("designated person") ;
  • L’obligation pour les PSAN de refuser les transactions et de bloquer les fonds ;
  • L’analyse on-chain permettant le traçage des flux.

III. Jurisprudence et cas emblématique : Tornado Cash.

3.1. Sanction de Tornado Cash par l’OFAC (2022).

L’OFAC a inscrit en août 2022 les smart contracts associés à Tornado Cash sur la SDN List, au motif qu’ils auraient facilité le blanchiment de plus de 7 milliards USD, dont des fonds du groupe nord-coréen Lazarus.

3.2. Décision du 5ᵉ Circuit (Van Loon v. Treasury, 2024).

Les plaignants arguaient que les smart contracts ne peuvent être qualifiés de "property" au sens de l’IEEPA. La cour leur a donné raison, estimant que les smart contracts publics, immuables et accessibles à tous ne constituent pas des biens susceptibles de possession ou de contrôle. La sanction de l’OFAC est donc jugée ultra vires.

Cette décision limite considérablement la portée des sanctions américaines sur les protocoles décentralisés.

IV. Enjeux pratiques et limites de l’application du gel sur blockchain.

4.1. Inexécutabilité technique.

Les blockchains publiques (Bitcoin, Ethereum) sont immuables : les transactions ne peuvent être annulées.

Aucun tiers ne peut geler directement une adresse blockchain sans contrôle d’une entité centralisée.

4.2. Décentralisation et responsabilité juridique.

La responsabilité peut difficilement être attribuée à une entité décentralisée (DAO), sauf en cas de preuve d’une structure de gouvernance contrôlée.

4.3. Effets extraterritoriaux limités.

Un État ne peut contraindre une entité non soumise à sa juridiction à appliquer une mesure de gel. Cela affaiblit l’efficacité de ces sanctions sur des plateformes offshore ou entièrement décentralisées.

V. Perspectives et recommandations juridiques.

5.1. Modernisation du cadre juridique.

Les législateurs doivent redéfinir les notions de "propriété" et de "contrôle" dans les lois sur les sanctions, pour inclure explicitement les actifs numériques.

5.2. Renforcement de la compliance des PSAN/VASP.

Les PSAN (France) et VASP (UE, FATF) doivent être tenus de :

  • Surveiller les flux via outils d’analyse blockchain (ex : Chainalysis) ;
  • Appliquer immédiatement le gel dès qu’une adresse est identifiée ;
  • Coopérer avec TRACFIN/FINCEN.

5.3. Approche coopérative et internationale.

L’harmonisation entre États (UE, GAFI, ONU, FATF) est cruciale pour renforcer la portée des mesures.

Yanis Mouhou, Juriste

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

1 vote

L'auteur déclare avoir en partie utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article (recherche d'idées, d'informations) mais avec relecture et validation finale humaine.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 640 membres, 28382 articles, 127 331 messages sur les forums, 2 620 annonces d'emploi et stage... et 1 500 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• 15e concours des Dessins de justice : "Les vacances des juristes" (appel à dessins).

• Panorama des décrets entrés en vigueur au 1er juillet 2025.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs