[Pièce de théâtre] "Article 36-2" : quand les questionnements sur la définition juridique du consentement et du viol s'invitent sur les planches.

[Pièce de théâtre] "Article 36-2" : quand les questionnements sur la définition juridique du consentement et du viol s’invitent sur les planches.

Marie Depay,
Rédaction du Village de la Justice.

926 lectures 1re Parution: 1 commentaire 4.7  /5

Alors que le 18 juin 2025, le Sénat a adopté la proposition de loi visant à modifier la notion pénale du viol et des agressions sexuelles en y intégrant celle de consentement [1], la pièce de théâtre "Article 36-2" [2] écrite par Guillaume Bertholon, professeur de Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain et mise en scène par Sabrina Nanni apporte un éclairage vivant et actuel sur les enjeux de ce changement de législation en cours en France.
Cette pièce de théâtre s’inspirant de faits réels montre combien il est délicat de rendre justice dans des affaires d’agressions sexuelles, combien les débats y sont vifs.

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L’histoire commence ainsi : Une femme laisse son ex entrer chez elle, il exprime une colère avec violence verbale et matérielle (bris d’objet), puis il se radoucit et obtient un rapport sexuel... Un procès s’ensuit.

La pièce de théâtre nous plonge dans ce procès tiré d’une histoire vraie [3] où l’homme a été condamné à six ans de prison en première instance puis acquitté en appel.
Elle explore les complexités d’un viol présumé, marqué par une crise de jalousie intense et une vidéo troublante filmée par l’accusé. Alors que les témoignages et les éléments de preuve semblent clairs, la réalité est bien plus nuancée.

Mais pourquoi un tel titre ? À quel texte juridique est rattaché l’article 36-2 ? Cette pièce interroge sur la notion de consentement dans le cadre d’une relation sexuelle, sur sa délicate définition juridique dans le droit français, alors qu’une telle définition apparaît dès 2011 dans l’article 36-2 de la Convention du Conseil de l’Europe, signée à Istanbul, sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

Elle met en lumière la diversité des opinions et perception des jurés d’assise face à l’interprétation des faits lors d’un tel procès ou encore du désaccord qui peut sourdre des débats entre professionnels du droit. L’ensemble permettant un débat intense et prenant.

Il est à noter que la pièce a été relue par François Lavallière, magistrat et formateur à Science Po Rennes.

La pièce se joue :

  • du 5 au 11 juillet au théâtre la Petite Caserne à Avignon, dans le cadre du festival off.

L’entretien de la Rédac’ avec Guillaume Bertholon.

Quelles ont été vos motivations à la création de cette pièce ? Pourquoi avoir choisi ce thème ?

« Je suis professeur de sciences économiques et sociales depuis 2003 et professeur Droit et Grands Enjeux du Monde Contemporain depuis la création de la discipline en 2015. Mon intérêt pour le droit, discipline découverte à l’IEP de Lyon, a été ravivé à cette date, même s’il ne m’avait jamais vraiment quitté.

Suite à la déferlante « Me too », en 2017, il y a un fort intérêt de la part de mes élèves en droit pour les questions liées au consentement dans le cadre d’une relation sexuelle. Pour blinder ma connaissance du sujet, afin de répondre à leur soif de compréhension, qui nourrissait la mienne, j’ai lu des livres, de nombreux articles de presse, et regardé des films documentaires sur ces questions.
Chaque année, je cherche donc à progresser dans ma compréhension des enjeux en cette matière, pour que mes élèves soient confrontés aux bonnes questions, avec les bons arguments de part et d’autre. L’objectif est également de sortir de l’affrontement « parole contre parole » et « présomption d’innocence versus présomption de crédibilité de la victime », pour aller plus loin, vers : comment prendre en compte les circonstances ?

Cette quête m’a conduit à explorer en avril 2023 les archives des Cahiers de la Justice, revue de l’ENM. J’y ai découvert un récit paru en 2021, relatant l’acquittement en appel d’un accusé dans une affaire de viol, alors que les juges de première instance avaient condamné l’auteur des faits à 6 ans de prison ferme. Les faits, filmés par l’agresseur, ne souffraient aucun débat : seule l’interprétation des circonstances avait varié d’un verdict à l’autre.
J’ai été ému par cette affaire, parce que j’avais le sentiment que les arguments de la partie civile avaient été balayés trop vite par les jurés d’appel. Notamment, d’après les attendus publiés à la fin de l’article, je découvrais que c’était l’attitude de la victime, pas assez « vraie », pas assez « logique », qui avait conduit au verdict d’acquittement. Alors que le comportement de l’auteur des faits avait fait l’objet d’un examen moins approfondi, d’après ce que je comprenais des motivations du jugement. J’ai aussi constaté que l’article 36-2 de la convention d’Istanbul n’était pas mentionné, alors que les faits remontaient à 2017, soit après l’entrée en vigueur de ce texte.

En mai 2023, j’ai assisté à la représentation d’une pièce de théâtre donnée par les élèves de l’option théâtre de mon lycée. La pièce évoquant l’affaire Jacqueline Sauvage, les personnages étant des jurés tirés au sort, j’ai eu le déclic : moi aussi, j’allais écrire une pièce de théâtre autour de cette affaire venant des Cahiers de la Justice. »

Quel message souhaitez-vous faire passer au travers de votre pièce ?

« Mon but, en écrivant cette pièce, c’est qu’après avoir vu ou lu la pièce [4], la majorité des spectateurs ou lecteurs.trices, élèves entre autres, se disent que ce n’est pas simple de rendre justice sur ce genre d’affaire. Qu’on peut ressentir le devoir d’innocenter l’accusé au vu de la loi en vigueur, tout en espérant que la loi change bientôt pour qu’on puisse juger autrement.
Que parfois, les juges peuvent aussi prendre de l’avance, faire œuvre de jurisprudence et marquer l’histoire de la Justice de leur pays par une jurisprudence qui fera date, au lieu de se couler dans le moule de ce qui se fait déjà. D’autant qu’une nouvelle définition pénale du viol, inspirée de l’article 36-2 de la convention d’Istanbul, a été adoptée par l’Assemblée Nationale le 1ᵉʳ avril 2025 et par le Sénat le 18 juin dernier.

L’espoir que je nourris concernant cette pièce, c’est qu’elle devienne un outil pédagogique dont d’autres que moi s’emparent, pour faire comprendre les conséquences et les enjeux d’un changement de législation, tel que celui qui est en cours en ce moment même. »

Marie Depay,
Rédaction du Village de la Justice.

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Notes de l'article:

[1La proposition de loi a été rédigée par les députés Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, Cyrielle Chatelain et Gabriel Attal. Le texte de loi précise la notion en décrivant un consentement "libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable". Cette proposition de loi a été adoptée le 1ᵉʳ avril 2025 par l’Assemblée nationale.

[2Article 36-2 de la Convention d’Istanbul.

[3Récit de l’affaire publié en 2021 dans la revue les Cahiers de la Justice.

[4Le texte de la pièce est aussi publié en auto-édition et il est disponible à la commande dans la plupart des librairies.

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Discussion en cours :

  • par Juliette , Le 29 juin à 19:15

    Qui que vous soyez, courez voir cette pièce !
    Pas besoin de s’y connaître en droit pour comprendre ce sujet sensible très bien amené.
    C’est un formidable moyen pour se questionner sur ses actes et ses responsabilités. C’est un formidable support pour aborder la question du viol et du consentement avec les jeunes !

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