La place du droit dans les médiations. Par Maëva Slotine et Claude Amar, Médiateurs.

La place du droit dans les médiations.

Par Maëva Slotine et Claude Amar, Médiateurs.

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Explorer : # médiation # confidentialité # résolution des conflits # homologation judiciaire

Ce que vous allez lire ici :

Cet article explore le rôle du droit dans la médiation, soulignant que celle-ci favorise des solutions créatives par la négociation, éloignées des impératifs juridiques. Tout en reconnaissant l'importance du cadre légal, l'auteur insiste sur la nécessité de préserver la nature collaborative et confidentielle du processus de médiation.
Description rédigée par l'IA du Village

La question de la place du droit dans les médiations touche à l’essence même de ce processus : la partie confidentielle qui se déroule à huis clos entre les parties, leurs conseils, et le médiateur ou les comédiateurs. Lorsqu’une partie ou son avocat invoque le droit pour affirmer que celui-ci lui donne raison : est-ce la fin de la médiation ? En réalité, invoquer le droit pour clore la discussion en médiation revient à faire appel à une autorité, ce qui est contraire à l’esprit de la médiation. En médiation, les parties ne sont pas limitées par les remèdes que le droit pourrait offrir. Elles peuvent imaginer des solutions créatives, adaptées à leurs besoins spécifiques, qui dépassent largement le cadre des sanctions ou réparations prévues par la loi.

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Cet article est né d’un échange spontané entre médiateurs à Hong Kong où je vis et exerce comme solicitor depuis 2011, et plus récemment comme médiatrice. Mes collègues discutaient de l’arrivée sur la scène locale d’une juge très réputée, récemment retraitée de la High Court de Hong Kong, qui avait choisi de devenir médiatrice. Selon eux, l’avis que cette ancienne magistrate pourrait donner sur l’issue probable d’un litige, si celui-ci était jugé, influencerait fortement les parties. Cette influence était perçue comme un avantage par les médiateurs présents, car l’autorité conférée par ses anciennes fonctions pourrait convaincre les parties d’adopter une solution hors procès, similaire à celle qu’un tribunal aurait pu rendre. Cette conclusion, venant de médiateurs expérimentés, était pour le moins surprenante.

La question de la place du droit dans les médiations touche à l’essence même de ce processus : la partie confidentielle qui se déroule à huis clos entre les parties, leurs conseils, et le médiateur ou les comédiateurs. Avec l’aide de Claude Amar, ancien architecte, ancien homme d’affaires, médiateur aguerri, associé fondateur de Mediation & Resolution (en anglais dans le texte), j’ai relevé le défi de lever le voile sur cette question.

Cet article ne traite pas du régime légal de la médiation. Il s’inscrit dans le cadre d’une médiation en cours, qu’elle soit ordonnée par un juge, décidée librement par les parties en dehors de toute procédure judiciaire, ou qu’il s’agisse d’une médiation pénale, familiale, administrative, etc.

Le facteur droit, quel rôle dans une médiation ?

La place du droit dans la médiation.

La médiation se distingue par l’absence de limitation des sujets que les parties peuvent choisir d’évoquer (pas de sujet « ultra petita ») et par l’absence de restriction des solutions envisageables (pas de prescription légale). L’accord de médiation repose sur le principe que ce sont les parties elles-mêmes qui trouvent une solution à leur différend par la négociation, et non une autorité extérieure, même si cette solution pourrait être similaire à celle qu’un tribunal adopterait [1].

L’essence de la médiation : une négociation.

Dans toute médiation, il arrive souvent qu’une partie ou son avocat invoque le droit pour affirmer que celui-ci lui donne raison. Cette déclaration, bien que fréquente, ne marque pas la fin de la médiation. En réalité, invoquer le droit pour clore la discussion en médiation revient à faire appel à une autorité, ce qui est contraire à l’esprit de la médiation. Et comme l’illustre l’exemple ci-dessous [2], l’invocation de la règle de droit ne clôt pas la discussion.

« Exemple : le fournisseur, son client et la mise en œuvre d’un contrat
(…)
Personne A - L’article 42 de la loi du… prévoit que dans ce cas de transport le fabricant est responsable.
Personne B - Mais vous ne nous aviez donné aucune information sur la qualité de …
A - De toute façon, il y a six ans, vous nous aviez déjà fait un sale coup à propos de … On ne l’a pas digéré.
B - Mais de quoi parlez-vous ? C’est vous qui vous plaignez ? Vous avez vu comment vous avez reçu nos représentants ? Vous les avez traités de tous les noms !
A - Chez nous, on est franc. Quand on a des choses à dire, on est direct.
B - Mais les produits livres étaient rigoureusement conformes au contrat prévu.
A - Je vous ai déjà dit que l’article 42 de la loi du … prévoit bien que dans ce cas de transport, le fabricant est responsable.
A et B finissent par se répéter, le dialogue tourne en rond
 ».

Dans le cadre d’une procédure judiciaire, les questions soumises au tribunal sont des questions juridiques, auquel le tribunal va répondre en droit et c’est la réponse donnée par le tribunal qui met fin au différend sur ces questions. Il en va de même dans le cadre d’un arbitrage. En saisissant la justice ou un organisme d’arbitrage pour trancher leur différend, les parties s’en remettent à cette autorité et renoncent à tenter de trouver ensemble une solution.

A l’inverse, en participant à une médiation, les parties tentent de trouver ensemble une solution avec l’aide des méthodes propres à la médiation. Comme le soulignent Alain Lempereur, Jacques Salzer et Aurélien Colson : « La médiation propose de poursuivre la négociation par d’autres moyens » [3]. Dans le cadre d’une négociation, le droit a un rôle différent de celui qu’il a dans un procès ou un arbitrage.

Thierry Garby, pionnier de la médiation en France, et défunt ami de Claude Amar, résume ainsi ce point :

« L’usage du droit dans une négociation est une grossière erreur. En général, chacun connaît ses droits et résiste néanmoins à la prétention de l’autre. Le droit n’est pas un moyen de négociation entre parties. C’est un moyen de prendre une décision pour le juge. Confondre l’autre partie avec le juge qui devra nous départager est un contresens » [4].

Une négociation hors contrainte.

Thierry Garby définit en creux la négociation comme un processus de prise de décision hors contrainte [5]. Contraintes qu’il classe en trois catégories : la violence, la culpabilité et le droit. Le droit, en tant que moyen de mettre fin au conflit se retrouve ici avec la violence et la culpabilité. Le dialogue imaginé entre deux sœurs qui se disputent une orange illustre ce propos de Thierry Garby. Dans l’exemple, la solution imposée par le droit résulterait à attribuer à chacune des sœurs une moitié de l’orange, solution qui met fin au différent par application d’une règle objective, mais comme nous le verrons plus loin, cette solution est très éloignée de la solution à laquelle les deux sœurs pourraient parvenir par une négociation. En résumé : la solution imposée par le droit résout le différent, sans pour autant satisfaire aucune des sœurs ; tandis que la solution négociée résout le différent, à la satisfaction des deux sœurs, mais aussi, elle leur donne accès à un processus de décision hors contrainte pour résoudre d’autres différents qui pourraient surgir entre elles.
L’absence de contrainte qui caractérise le processus de prise de décision lors d’une médiation, se retrouve dans l’absence de limitation des sujets que les parties peuvent choisir d’évoquer et des solutions envisageables.

Révéler les véritables origines du conflit.

Résoudre un conflit en médiation, quelle que soit la méthodologie du médiateur, requiert que celui-ci invite les parties à s’exprimer sur le conflit - sans limitation. La formulation tranchée de Thierry Garby citée plus haut exprime une observation fondamentale : le conflit ne trouve pas son origine dans un problème de droit mais dans un problème commercial, une lutte d’egos, une différence d’interprétation ou une vision différente, entre autres, entre personnes ou partenaires commerciaux.
Le droit n’est que l’un des moyens de résolution à leur disposition, certes le plus répandu, mais aussi le plus douloureux. Lorsque les parties invoquent le droit en médiation, elles masquent souvent les véritables enjeux de leur conflit. Derrière l’argument juridique se cachent généralement des frustrations, des incompréhensions, des besoins non exprimés ou des intérêts divergents qui n’ont jamais été clairement identifiés.

Le travail du médiateur consiste précisément à aller rechercher les origines du différend et à faire émerger les intérêts et les besoins, respectifs et réciproques, de chacun. Cette démarche permet aux parties, individuellement et collectivement, de bâtir une solution satisfaisant l’ensemble de ces intérêts et besoins, au-delà de ce que pourrait offrir une décision judiciaire strictement fondée sur l’application du droit.

Ainsi dans l’exemple de l’orange ci-dessus, la négociation entre les deux sœurs révèle que l’une veut l’orange pour son jus, pour le boire, et l’autre pour son zeste, pour faire un gâteau. La négociation permet de définir une solution qui satisfait pleinement chacune des sœurs en créant deux oranges à partir d’une. Ce que le Program On Negotiation d’Harvard [6] appelle « agrandir le gâteau » (« make the pie bigger »).

La confidentialité : un espace de liberté.

L’un des principaux ingrédients de la médiation, la confidentialité, joue ici un rôle essentiel. Elle permet, en médiation, de se dire ce que l’on ne peut pas dire ailleurs, de se dire ce que les conseils ne peuvent pas écrire dans leurs conclusions. Cette confidentialité crée un espace de liberté où les parties peuvent enfin exprimer leurs véritables préoccupations, leurs inquiétudes, leurs espoirs, sans crainte que ces révélations soient utilisées contre elles dans une éventuelle procédure judiciaire ultérieure.

C’est dans cet espace protégé que peut s’opérer la transformation du conflit : de la confrontation à la recherche collaborative de solutions.

L’absence de limitation des sujets et des solutions.

En procédure judiciaire, le juge ne peut statuer que dans les limites des prétentions des parties (principe du contradictoire et de l’interdiction de statuer ultra petita). En médiation, cette limitation disparaît : les parties peuvent aborder tous les aspects de leur relation, même ceux qui ne font pas l’objet du litige initial [7].

Cette ouverture permet souvent de traiter les causes profondes du conflit plutôt que ses seules manifestations juridiques. Les parties peuvent ainsi aborder des questions relationnelles, organisationnelles ou stratégiques qui, bien qu’étrangères au litige stricto sensu, sont essentielles pour une résolution durable du conflit.

Gary Friedman, pionnier de la médiation en Californie, et ami de Claude Amar, propose une systématisation des sujets qui sont susceptibles d’être évoqués par un couple, à l’occasion d’une médiation sur les conséquences d’un divorce - liste qui peut être transposée à d’autres domaines de médiation (traduction libre des auteurs) :
« La loi et ses principes-sous-jacents
Le sens de l’équité de chacun
Les besoins identifiés et les intérêts de toutes personnes concernées
La relation du couple en médiation
Tout accord préexistant entre les deux
Des critères personnels et leur signification particulière pour le couple, telles que des croyances ou des références religieuses ou communautaires
Les réalités pratiques et économiques
 » [8].

Rompre le charme.

Commentant cette liste, Gary Friedman explique que le droit figure en première place non pas parce que c’est le sujet le plus important, mais parce qu’il est souvent perçu comme prédominant par les parties elle-même et qu’il bloque la perception des autres sujets, jusqu’à ce que sa magie cesse (« … until the charm is dispelled… ») [9]. Expliquant son approche en tant que médiateur, Gary Friedman définit sa position entre deux extrêmes :

  • d’une part, les médiateurs qui font de la règle de droit, implicitement ou expressément, la norme en médiation, et qui vont tenter d’arriver à un résultat similaire à celui qui serait décidé par un tribunal ; et
  • d’autre part, les médiateurs qui considèrent que le droit n’est pas pertinent en médiation et qui encouragent les parties à ne pas le prendre en considération.

Selon Gary Friedman, la position intermédiaire entre ces deux extrêmes, et qu’il fait sienne est qu’il est essentiel que chaque partie comprenne ses droits et leur application en l’espèce (…the law…) mais que l’importance donnée à cette information dépend des parties.

Revenant à l’exemple du dialogue imaginé par Alain Lempereur, Jacques Salzer et Aurélien Colson cité plus haut :
« ...la médiation orchestre des temps de parole où les parties peuvent successivement s’expliquer sur :
Pour A (selon ses termes) :

  • l’application de l’article 42 de la loi du... ;
  • les traces du contentieux ancien (« Il y a six ans... ») qui ont pu ne pas être effacées.
    Pour B (selon ses termes) :
  • la réalité du manque d’information ;
  • l’accueil des représentants perçus comme insultant ;
  • la vérification de la conformité des produits livrés » [10].

Cette conception nuancée du rôle du droit en médiation, qui reconnait sa présence sans en faire un impératif, ouvre la voie à une distinction essentielle dans les pratiques de médiation.

Distinction entre médiation facilitative et médiation évaluative.

Cette approche nous amène naturellement à distinguer la médiation facilitative de la médiation évaluative. Dans la médiation facilitative, le médiateur aide les parties à communiquer et à négocier sans donner son opinion sur le fond du litige ou sur l’issue probable d’une éventuelle procédure judiciaire. Il se concentre sur le processus de communication et de négociation.

À l’inverse, dans la médiation évaluative, le médiateur peut donner son opinion sur les chances de succès de chaque partie devant un tribunal, évaluer les forces et faiblesses juridiques de leurs positions respectives, et suggérer des solutions fondées sur ce qu’un juge pourrait décider.

L’exemple de la juge retraitée de Hong Kong cité en introduction illustre parfaitement cette seconde approche : l’autorité de l’ancien magistrat est utilisée pour orienter les parties vers la solution que le droit imposerait, plutôt que vers la solution qu’elles pourraient créer ensemble. Claude Amar, ancien homme d’affaires, souligne d’ailleurs que la tentation pour le médiateur d’orienter les parties vers la solution qu’il identifie n’est pas limitée aux anciens magistrats. Fort de son expérience, il lui arrive d’imaginer une solution commerciale qui serait susceptible de satisfaire toutes les parties à une médiation, solution qu’il se garde de partager dans ce contexte, pour ne pas dénaturer le processus de médiation, au moins jusqu’à la phase de créativité du processus de médiation.

L’absence de limitation des solutions envisageables : la médiation hors du cadre des prescriptions légales.

En médiation, les parties ne sont pas limitées par les remèdes que le droit pourrait offrir. Elles peuvent imaginer des solutions créatives, adaptées à leurs besoins spécifiques, qui dépassent largement le cadre des sanctions ou réparations prévues par la loi.

Par exemple, dans un conflit commercial, au lieu de se contenter de dommages-intérêts, les parties peuvent convenir d’une modification des termes de leur contrat, d’un partenariat renforcé, d’une formation commune de leurs équipes, ou encore d’un protocole de communication pour éviter de futurs malentendus. Ces solutions, impossibles à obtenir devant un juge, peuvent s’avérer bien plus satisfaisantes pour toutes les parties que l’application stricte du droit.

Cette liberté créative est l’un des atouts majeurs de la médiation : elle permet de sortir du cadre binaire gagnant-perdant imposé par le système judiciaire pour construire des solutions gagnant-gagnant adaptées aux besoins réels des parties.

L’ordre public de protection, aussi dans la médiation.

L’ordre public protège les parties à une éventuelle médiation :

  • en disposant que certains droits ne peuvent pas faire l’objet d’un accord de médiation, en particulier les droits concernant les personnes, ou des informations sur des crimes ou délits ; et
  • dans certaines matières ou les rapports de force entre les parties sont considérés comme structurellement déséquilibrés, la médiation où tous autres Modes Alternatifs de Règlement des Différents (MARD) sont considérés avec méfiance.

Des droits hors médiation : les droits extrapatrimoniaux.

L’accord auquel parviennent les parties à la médiation ne peut porter que sur des droits disponibles [11].

Par disponible, il faut entendre positivement un droit dont on peut disposer et plus précisément un droit qui ne relève pas de la catégorie des droits qui sont dits « hors du commerce ».

Par hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, une médiation ne pourrait porter que sur les seuls droits patrimoniaux. Pour mémoire, ils se scindent en deux catégories :

  • les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel) ;
  • les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire).

En droit français, le recours à la médiation est exclu pour les litiges portant sur :

  • le statut personnel (nom, filiation, nationalité) ;
  • le mariage et le divorce, sauf pour les conséquences patrimoniales ou parentales ;
  • les autres droits indisponibles (ordre public, protection des mineurs, etc.).

La tension entre confidentialité et ordre public.

L’ordre public est abordé ici sous l’angle des tensions avec la confidentialité. En effet :
« ... la confidentialité ne saurait couvrir des atteintes à l’ordre public. Voilà pourquoi le médiateur module le principe de confidentialité avec le principe de respect du droit… » [12].

Cette limitation de la confidentialité soulève des questions délicates pour le médiateur.

Comment concilier la nécessité de créer un espace de parole libre et protégé avec l’obligation de respecter certaines règles fondamentales ? Cette tension est particulièrement sensible lorsque sont révélées, au cours de la médiation, des informations relatives à des infractions passées ou en cours [13].

L’article 40, 2ᵉ alinéa du Code de procédure pénale, pertinent dans le cadre d’une médiation administrative, dispose que :

« Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

L’approche pragmatique du médiateur.

En pratique, le médiateur doit naviguer entre ces exigences contradictoires avec discernement. La révélation d’informations couvertes par la confidentialité ne doit intervenir qu’en cas d’atteinte grave à l’ordre public, et le médiateur doit généralement informer les parties de cette limitation avant d’entamer le processus de médiation.

Cette exception à la confidentialité ne doit pas pour autant paralyser la médiation.

Dans la grande majorité des cas, les conflits portent sur des questions commerciales, contractuelles ou relationnelles qui ne soulèvent aucune question d’ordre public. La possibilité théorique de lever la confidentialité ne doit pas empêcher les parties de s’exprimer librement sur les véritables enjeux de leur différend.

Assurer les conditions de la médiation.

Certains organismes de médiation demandent aux parties de compléter un questionnaire d’évaluation visant à s’assurer leur capacité à participer à une médiation [14]. En droit français, certaines personnes sont protégées par un encadrement plus strict d’une éventuelle médiation : les consommateurs en cas de litige avec un professionnel, et les salariés en cas de procédure prud’homale.

En droit de la consommation, les parties en position de faiblesse sont très protégées face à de possibles abus de MARD.

  • Le professionnel doit mettre en place un système transparent et accessible de médiation de la consommation en ligne, mais celle-ci reste facultative pour le consommateur [15].
  • Les clauses imposant une médiation préalable aux consommateurs dans les litiges entre consommateurs et professionnels sont considérées comme abusives, sauf preuve contraire apportée par le professionnel. La Cour de cassation le rappelle régulièrement en ces termes : « la clause qui contraint le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire » [16].

En matière de contrat de travail, les clauses de médiation stipulées dans un contrat de travail sont réputées sans effet. La Cour de cassation considère :
« …en raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend … » [17].

Le contrôle du juge sur l’accord intervenu à l’issue d’une médiation.

Un retour au droit facultatif.

A deux exceptions près, l’homologation judiciaire est facultative.
Les exceptions concernent :

  • les accords négociés dans le cadre des actions de groupe [18] ; et
  • les transactions conclues en liquidation judiciaire [19].
    A condition que l’accord issu d’une médiation ait été formalisé par un écrit et conclu conformément aux règles du droit commun des contrats [20], toute partie à cet accord peut solliciter son homologation [21] auprès du juge compétent [22].

La procédure d’homologation s’applique aussi bien à la médiation judiciaire qu’à la médiation conventionnelle [23] :
« la demande d’homologation est formée par requête par l’ensemble des parties à l’accord ou par la plus diligente d’entre elles devant le juge déjà saisi du litige ou devant le juge qui aurait été compétent pour en connaitre » [24].

L’homologation judiciaire donne force exécutoire à l’accord intervenu entre les parties et permet, en cas d’inexécution d’une obligation par une des parties, le recours à la force publique, et plus généralement aux voies d’exécution forcées. L’accord homologué est un titre exécutoire [25] exécutable pendant dix ans.

Le paradoxe du retour au droit.

Il existe un certain paradoxe dans le fait que l’accord issu de la médiation, processus qui s’affranchit des contraintes du droit, puisse ensuite être soumis au contrôle du juge pour homologation. Ce contrôle judiciaire réintroduit le droit au cœur d’un processus qui cherchait précisément à s’en émanciper [26].

Cependant, ce contrôle reste limité et respecte l’autonomie des parties. Le juge ne peut pas modifier l’accord ou substituer sa vision à celle des parties. Il se contente de vérifier que l’accord ne contrevient pas à l’ordre public et respecte les formes requises [27]. Cette approche préserve l’essence de la médiation tout en offrant aux parties la sécurité juridique qu’elles peuvent légitimement rechercher.
Le juge saisi de l’homologation statue sur la requête qui lui est présentée sans débat, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties. S’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu la décision. La décision qui refuse d’homologuer l’accord peut faire l’objet d’un appel [28].

Une contestation de l’accord peut être formée même après son homologation par le juge, qu’elle soit relative à la portée de l’accord [29], ou aux conditions dans lesquelles l’accord est intervenu (vices du consentement éventuels) [30].

Conclusion.

Selon certains commentateurs, la médiation facilitative aurait fait sa première apparition dans le livre de l’Exode, lorsque le beau-père de Moïse lui enjoint de déléguer le [jugement] des affaires simples [31]. Pour ces commentateurs, un médiateur qui connaitrait la solution en droit avant même d’avoir entendu les parties, ne peut pas arriver à une solution équitable du conflit, génératrice de paix. Quelqu’un qui connait le droit, et Moïse en est la personnification, ne pourrait s’empêcher d’énoncer la solution en droit, et donc ne devrait être saisi qu’en dernier recours, pour rendre la justice, qui n’est pas forcément significative de paix.

En France, depuis la loi de 1995, la médiation s’est construite comme une alternative au système judiciaire et à l’arbitrage en offrant aux parties à un conflit l’opportunité de résoudre elles-mêmes leur conflit, en s’appuyant sur un processus et des méthodes. Si le droit peut y jouer un rôle utile, comme cadre de référence, comme repère, ou comme outil de compréhension, il ne doit pas devenir un instrument de pression ou de normalisation, risquant d’étouffer la dynamique propre à la médiation.

Gary Friedman, pionnier Californien de la médiation, défend une approche fondée sur la compréhension, où le droit est un facteur parmi d’autres, mobilisé selon les besoins des parties. Cependant, aux Etats-Unis, certains observateurs relèvent que l’intégration croissante de la médiation dans les institutions judiciaires n’a pas transformé en profondeur les pratiques ni la culture judiciaire : la médiation est instrumentalisée comme un outil procédural parmi d’autres, servant à justifier des décisions dans le cadre du contentieux [32].

A rebours de cette dérive, il convient de rappeler que la médiation puise sa force dans sa capacité à redonner aux parties le premier rôle. Le modèle évaluateur, où le médiateur devient prescripteur de la solution, peut sembler naturel, et comme le soulignent les auteurs de Méthodes de médiation :
« … une tradition volontiers arbitrale et les parties elles-mêmes poussent souvent en direction du modèle [évaluateur], ou le médiateur joue le premier rôle. Ce modèle et connu et instinctif : nous aimons tous prodiguer des conseils, exprimer des opinions et émettre des avis pour les autres.

Mais aimons-nous suivre les conseils d’autrui ?

Acceptons-nous de nous entendre dire ce que nous devrions faire ?

Non, bien sûr, et il en va de même pour des parties en conflit… » [33].

C’est pourquoi le pari d’une médiation fondée sur l’écoute, le questionnement et la facilitation est plus exigeant, mais aussi plus fécond. Quelle que soit l’expérience du médiateur, ancien magistrat, gestionnaire de biens, homme d’affaires etc, l’efficacité de la médiation ne réside pas dans le fait qu’un accord ait été trouvé, mais dans le processus qui permet aux parties de trouver leur solution à leur conflit. L’expérience du médiateur ne peut que l’aider dans sa démarche de médiateur, au service du processus et des méthodes de médiation.

Ce choix n’est pas une perte de temps, mais une reconnaissance du processus : en cocréant leur solution, les parties s’approprient le résultat, ce qui en garantit la durabilité.

La médiation doit donc préserver son essence : un processus volontaire, confidentiel et créatif, centré sur les besoins réels des parties. Le droit y a sa place, mais il ne doit ni l’envahir, ni la détourner de son objectif premier : permettre aux individus de construire ensemble des solutions durables, où les parties deviennent les véritables artisans de leur réconciliation, en dehors de la logique purement judiciaire ou arbitrale.

Maëva Slotine, Associée fondatrice du cabinet Slotine
Solicitor (Hong Kong), Solicitor (England & Wales), Avocat à la Cour au barreau de Paris (France)
et Claude Amar, médiateur, président et co-fondateur de Mediation & Resolution

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Notes de l'article:

[1Idée exprimée notamment dans l’article de Robert H. Mnookin et Lewis Kornhauser, "Bargaining in the Shadow of the Law : The Case of Divorce" publié initialement en 1979 et actualisé pour une publication récente dans l’ouvrage collectif, Discussions in Dispute Resolution, d’Art Hinshaw, Andrea Kupfer Schneider, and Sarah Rudolph Cole, Oxford University Press (2021).

[2Exemple tiré de Méthodes de médiation — Au cœur de la facilitation, 2ème édition, 2025, Dunod, d’Alain Lempereur, Jacques Salzer et Aurélien Colson, page 76.

[3Méthodes de médiation (cité plus haut), page 76.

[4Voir l’ouvrage toujours disponible en version électronique de Thierry Garby, D’accord - Négociation / médiation au 21ᵉ siècle, publié par l’ICC, Chambre de Commerce Internationale, avec un avant-propos de Claude Amar, page 57.

[5D’accord - Négociation / médiation au 21ème siècle (cité plus haut), page 57.

[6Le Program On Negotiation (PON) est un consortium universitaire dédié au développement de la théorie et de la pratique de la négociation dans la résolution des conflits. Créé en 1983 à l’occasion d’un projet de recherche de la Harvard Law School, le PON regroupe des facultés, des étudiants et des équipes des Universités de Harvard, du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de Tufts.

[7A l’occasion d’un litige en cours, le juge peut ordonner une médiation qui « porte sur tout ou partie du litige » (art. 1534 du Code de procédure civile).

[8Gary J. Friedman, A Guide to Divorce Mediation, Workman Publishing, 1993, page 49.

[9A Guide to Divorce Mediation (cité plus haut), page 49.

[10Méthodes de médiation (cité plus haut), page 76.

[11D’après l’article 21-4 de la loi n°95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative ; voir également sur le site du Ministère de la Justice, justice.fr, La médiation.

[12Méthodes de médiation (cité plus haut), page 81.

[13Alain Lempereur, Jacques Salzer et Aurélien Colson, Méthodes de médiation - Au cœur de la facilitation, page 105.

[14Voir par exemple aux Etats-Unis, le “ Pre-Mediation Screening Guide” développé par la juridiction familiale de l’Etat de New York (New York State Unified Court System) pour les médiateurs inscrits sur leurs listes pour évaluer si un conflit adresse par les tribunaux pour une médiation judiciaire peut effectivement faire l’objet d’une médiation en évaluant la capacite des parties et la sécurité en termes de risque de violence d’un partenaire. L’évaluation se fait à l’aide d’un guide d’une quinzaine de pages, lors d’entretiens individuels avec chacune des parties.

[15D’après l’article L612-4 Code de la consommation.

[16Voir par exemple : Cass. 1re civ., 16 mai 2018, nº 17-16.197 ; Cass. 3e civ., 19 janvier 2022, n° 21-11.095.

[17Voir par exemple : Cass. soc. 14 juin 2022, n°22-70.004.

[18Voir l’article art. 16, III.-C.-2., L. n° 2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.

[19Voir l’article L642-24 du Code de commerce.

[20Art. 1541 du Code de procédure civile.

[21L’article 1543 du Code de procédure civile dispose que : « …toute partie souhaitant conférer force exécutoire a une transaction ou à un accord, même non transactionnel, issue … d’une médiation … peut demander son homologation selon les modalités de la section II du chapitre II du titre IV du livre V du Code des procédures civile d’exécution ».

[22Art. 1545 du Code de procédure civile.

[23Titre IV du Chapitre V du Code de procédure civile.

[24Art. 1545 du Code de procédure civile.

[25Art. L111-3, 1º du Code des procédures civiles d’exécution.

[26Art. L111-4 du Code des procédures civiles d’exécution.

[27Art. 1544 du Code de procédure civile ; Voir pour illustration : Cass. 2e civ., 26 mai 2011, nº 06-19.527.

[28Art. 1545-1 du Code de procédure civile.

[29Civ. 3e, 25 janv. 2012, n° 10-19.554.

[30Cass. 2e civ., 28 sept. 2018, nº 16-19.184, publié au Bulletin : « …l’homologation d’un accord transactionnel qui a pour seul effet de lui conférer force exécutoire ne fait pas obstacle à une contestation de la validité de cet accord devant le juge de l’exécution ».

[31Il s’agit de la paracha de Yitro dans le livre de l’Exode 18:17-23 commentée au XIXe siècle par le rabbin Naftali Zvi Yehuda Berlin, dont l’analyse est reprise par l’ancien chef rabbin du Commonwealth, Jonathan Sacks, dans son livre Exodus : The Book of Redemption, publié en 2010 aux éditions Maggid.

[32Discussions in Dispute Resolution (cité plus haut), introduction.

[33Méthodes de médiation (cité plus haut), page 172.

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