Autrement-dit, l’UE est indifférente tant du statut confessionnel (ou non) d’une structure que de la manière dont le droit national gère cette question. Cependant, qu’en est-il lorsqu’une structure confessionnelle excipe, à l’encontre d’un Etat membre, la violation de la liberté d’établissement dans un autre Etat membre (art. 49 TFUE [3]) ainsi que la mise en place de mesures restrictives à la libre circulation de services (art. 56 TFUE [4]) ?
En l’espèce (Décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), 2 févr. 2023, aff. C-372/21), un organisme confessionnel [5] établi en Allemagne et principal financeur d’un établissement d’enseignement scolaire privé exerçant en Autriche, sollicite l’autorité compétente Autrichienne (Bildungsdirektion für Vorarlberg) afin d’obtenir des subventions publiques au profit de l’école confessionnelle qu’il soutien. A ce titre, les fonds publics auront pour affectation la rémunération du personnel de l’école confessionnelle comme le permet (sous conditions) l’article 17 de la Loi fédérale autrichienne (du 25 juillet 1962) sur les établissements d’enseignement scolaire privé.
Toutefois, ne répondant pas aux conditions posées par la Loi fédérale autrichienne précitée, l’organisme confessionnel reçoit un refus. En effet, la Loi fédérale autrichienne (art. 17) relative au droit d’octroi de subventions aux écoles privées confessionnelles ouvre cette prérogative uniquement aux organismes confessionnels répondant aux conditions de reconnaissance posée par l’article 1er de la loi autrichienne (du 20 mai 1874 ; « AnerkennungsG ») sur la reconnaissance légale des sociétés religieuses et l’article 11 de la Loi fédérale sur la personnalité juridique des communautés confessionnelles (« BekGG »). Ces dispositions posent une sorte de « pacte républicain [6] » ainsi que des conditions d’ancienneté (« BekGG ») d’existence tant sur le plan international qu’en Autriche.
Ces contraintes ont été opposées à l’organisme confessionnel allemand (Freikirche der Seibenten-Tag-Adventisten in Deutschland KdöR) par une décision, en date du 3 septembre 2019, prononcée par l’autorité compétente autrichienne (Bildungsdirektion für Vorarlberg). C’est à ce titre que l’organisme confessionnel saisi le Tribunal administratif fédéral d’Autriche (Bundesverwaltungsgericht) puis la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). C’est cette dernière juridiction qui formule une demande de décision préjudicielle sur l’interprétation des articles 17 et 49 du TFUE.
La question préjudicielle, est un préliminaire nécessaire à la résolution d’une difficulté ou d’un doute dans la compréhension d’une ou plusieurs règles juridiques excipées comme principal support de droit d’un litige pendant devant une juridiction. Dès lors, il s’agit pour la juridiction, en proie à la difficulté ou à l’incertitude quant à l’interprétation d’un texte juridique, de solliciter une autre juridiction ayant autorité sur la portée (c’est-à-dire le champ d’application, l’applicabilité du fondement au litige en cause) et le sens du fondement juridique qui est au cœur du débat de droit dont dépend l’issue du litige. À ce titre, la décision préjudicielle s’impose tant à la juridiction ayant sollicité « l’éclairage » que toutes les autres juridictions qui seront confrontées à la même question, toute chose égale par ailleurs. En l’espèce, afin de contester le refus qui lui est opposé par les juridictions autrichiennes, l’organisme confessionnel allemand souhaite soumettre le droit autrichien de subvention des écoles privées confessionnelles aux impératifs posés par le TFUE notamment les articles 17 et 49.
Ainsi, conformément à l’article 267 du TFUE [7] et l’article 19.3.b du TFUE [8], la Cour administrative autrichienne (Verwaltungsgerichtshof) pose deux questions préjudicielles à la CJUE.
Premièrement, la Cour administrative demande si
« Une situation dans laquelle une société religieuse reconnue et établie dans un État membre introduit, dans un autre État membre, une demande de subvention pour un établissement d’enseignement scolaire privé, sis dans ce dernier, qu’elle a reconnu en tant qu’école confessionnelle et qui est géré par une association immatriculée conformément au droit de cet autre État membre relève-t-elle, eu égard à l’article 17 TFUE, du champ d’application du droit de l’Union, notamment de l’article 56 TFUE ? ».
Deuxièmement,
« L’article 56 TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition de droit national prévoyant, comme condition préalable au subventionnement d’écoles privées confessionnelles, que le demandeur soit reconnu en tant qu’Église ou société religieuse par ce même droit ? ».
I. L’applicabilité du droit de l’Union Européenne aux organismes confessionnels fournisseurs de prestation de services.
L’applicabilité du droit de l’Union Européenne (UE) aux organismes confessionnels est déterminable, en l’espèce, non par rapport à l’article 17 du TFUE mais surtout au regard du contenu de l’activité de ses derniers.
A. L’indifférence du droit de l’UE vis-à-vis du statut des organismes confessionnels.
L’article 17 du TFUE pose deux règles. La première prône une indifférence de l’UE vis-à-vis du statut qu’octroie chaque droit national aux organismes confessionnels, non confessionnels ou philosophiques : « 1. L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. 2. L’Union respecte également le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les organisations philosophiques et non confessionnelles […] ».
A ce titre, et c’est la deuxième règle, l’UE (notamment par le biais de la Commission européenne voire par celui du Parlement européen) institue un dialogue qui doit être régulier avec les organismes confessionnels, non confessionnels ou philosophiques : « 3. Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces églises et organisations ».
En effet, inséré au TFUE par le traité de Lisbonne en décembre 2009, l’article 17 du TFUE est surtout un fondement juridique pour la mise en place d’un dialogue régulier [9], largement accessible par l’ensemble des organismes intéressés, et transparent. Ce dialogue régulier doit intervenir entre les institutions de l’Union Européennes et les églises, les associations cultuelles, organismes non confessionnels ainsi que les organismes philosophiques.
Par conséquent, l’article 17 du TFUE est davantage un dispositif instaurant un droit à la participation au fonctionnement et à la construction de l’UE qu’une prescription faisant entrer dans le champ d’application du droit de l’UE les questions d’ordre confessionnel ou/et philosophique. Cela dit en passant, est-ce pour autant à dire que cet article exclu du champ d’analyse du TFUE tout litige ayant un lien avec des organismes confessionnels ?
Dans le premier temps [10] de sa décision préjudicielle, la CJUE, en date du 2 février 2023 (aff. C-372/21), prescrit que l’article 17 du TFUE n’a pas vocation à exclure du champ d’application du droit de l’Union Européenne la situation dans laquelle se trouve un organisme confessionnel, reconnu par un Etat membre, qui souhaite obtenir une subvention (d’un autre Etat membre) au profit d’une école privée confessionnelle située dans un autre Etat membre. Ce dernier réservant la possibilité d’obtention de subventions aux seuls organismes confessionnels qu’il aura reconnu en application de son droit national.
Autrement-dit, l’article 17 du TFUE, n’est pas une disposition qui trouve à s’appliquer au litige de l’espèce dans le sens où il ne pose pas un principe d’exclusion de l’applicabilité du droit de l’Union Européen aux problématiques tenant aux conditions d’éligibilité aux subventions d’écoles privées soutenues par un organisme confessionnel. L’article 17 du TFUE pose un principe d’indifférence quant au statut des organismes cultuels posés par les différents droits nationaux. C’est par ce prisme que ce texte doit être appréhendé. Dès lors, dans le fond de la question préjudicielle, ce n’est pas l’élément cultuel qui importe mais surtout l’élément économique qui caractérise l’activité à l’occasion de laquelle la problématique s’est révélée. Il était question du financement d’une école privée confessionnelle.
B. La prestation d’enseignement privé.
Selon l’article 57 du TFUE [11], est un service, et par voie de conséquence une activité économique, toutes prestations réalisées en contrepartie d’une rémunération [12] sans nécessairement rechercher à réaliser un bénéfice [13]. À ce titre, au regard de l’article 56 du TFUE, sont prohibées, au sein de l’UE, toutes dispositions posant des restrictions à la libre prestation des services.
Dès lors, doivent être appréhendés comme des services au sens de l’article 57 du TFUE, les cours fournis par une école privée dont l’essentiel du financement provient de fonds privés [14]. En l’espèce (Décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), 2 févr. 2023, aff. C-372/21), l’école privée confessionnelle établie en Allemagne est essentiellement financée par des fonds privés dont ceux de l’organisme confessionnel qui a formulée la demande de subvention. Ainsi, la question qui est posée est celle de savoir si le droit autrichien relatif au subventionnement de services d’enseignement privé pose des restrictions au droit de libre circulation des prestations de services (art. 56 du TFUE) ainsi qu’à la liberté d’établissement (art. 49 du TFUE).
II. L’opposabilité de la liberté d’établissement par les organismes confessionnels fournisseurs de prestation de services.
En tant qu’entité économique, un organisme confessionnel peut exciper à son profit des dispositions du TFUE. Cependant, le droit de l’UE est indifférent du statut que la structure pourrait avoir du fait du droit interne considéré, ce qui implique l’absence de droit acquis tiré dudit statut de droit national et interdit de percevoir les modalités de reconnaissance (posées par les états membre) comme des restrictions à la liberté d’établissement prescrite par les dispositions de l’article 49 du TFUE.
A. L’absence de droit acquis de reconnaissance d’organisme confessionnel d’un État membre à un autre.
Le refus opposé par l’autorité compétente autrichienne n’était pas motivé par le fait que la demande de subvention était formulée par un organisme confessionnel. Ce qui était opposé repose sur le fait que l’organisme confessionnel allemand, dans le cadre d’une demande de financement public, ne répondait pas aux exigences du droit national. Ces dernières sont notamment caractérisées par des attentes spécifiques au niveau de l’ancienneté de l’organisme confessionnel [15].
Le fait qu’un organisme ait déjà fait l’objet d’une reconnaissance par un autre État membre ne s’impose pas aux autres États membres. Ainsi, l’article 17 du TFUE ne pose pas un droit acquis à la reconnaissance d’un organisme confessionnel dès lors qu’il a d’ores et déjà subit une reconnaissance par un autre État membre. Cependant, l’organisme confessionnel étant une entité économique, dans la mesure où elle fournit des prestations de services à titre onéreux, il peut exciper le droit de l’Union Européenne lui permettant de s’établir au sein d’un autre État membre.
En l’espèce, l’organisme confessionnel allemand sollicitait une subvention au profit d’un établissement d’enseignement privé géré par une association immatriculée en Autriche depuis plusieurs années. Ainsi, la condition consistant à octroyer un droit de subvention uniquement aux organismes reconnus par le droit interne autrichien concurremment aux modalités de reconnaissance de la même structure par un autre droit interne d’un État membre de l’UE doivent-elles être appréhendées comme mesures restrictives tant au droit de libres prestations de services qu’à la liberté d’établissement ?
B. L’indifférence du droit de l’UE vis-à-vis des modalités internes d’octroi de subventions publiques au profit de l’activité d’enseignement privé.
L’article 49 du TFUE [16]) prescrit la liberté pour un ressortissant d’un État membre de s’établir sur le territoire d’un autre État membre. Cette liberté implique la possibilité d’accéder à toute activité économique salariée ou non, à toute activité de création et/ou de gestion d’entreprise.
A ce titre, la situation consistant, pour un organisme privé (confessionnel ou non), à chercher à s’établir dans un autre État membre notamment en participant financièrement au capital d’une structure se situant dans l’État membre considéré, entre dans le champ d’application de l’article 49 du TFUE. Ainsi, toutes mesures internes restrictives de cette liberté d’établissement est contraire au droit de l’UE.
Qu’en-est-il des modalités de sollicitation de subventions publiques pour le financement d’une activité d’enseignement privée exercée par un organisme confessionnel ?
En l’espèce, la condition préalable à l’ouverture du droit à subvention publique, impose que l’organisme ait été reconnu comme tel par la loi interne. Ces conditions restrictives de reconnaissance d’un organisme confessionnel constitue-t-elle une mesure restrictive à la liberté d’établissement ?
Dans la mesure où le droit de l’UE est indifférent au droit interne de reconnaissance d’un organisme confessionnel, ces conditions restrictives de reconnaissance ne constituent pas une entrave [17] au droit de l’établissement.
Les États membres ne sont pas liés par la reconnaissance d’un organisme confessionnel posé par un autre. À ce titre, les États membres peuvent librement prescrire les règles internes propres à définir les modalités d’éligibilité d’un organisme confessionnel au bénéfice de subventions publiques sans que ces dernières ne puissent être appréhendées comme des entraves tant à la liberté d’établissement qu’au droit de libre prestation de services.