Clarisse Andry : Quelles circonstances ont poussé la Sacem à lancer la création d’une telle plateforme ?
Caroline Champarnaud : Pour comprendre URights, il est effectivement important de comprendre comment fonctionne la Sacem, notamment dans le domaine du online. Nous sommes une société civile à but non lucratif, dont l’objet est de collecter les droits de nos membres auteurs, compositeurs, éditeurs, ... Nous mettons en commun les répertoires des différents créateurs, et négocions des licences avec l’ensemble des utilisateurs de musique, pour ensuite collecter les droits correspondants et les répartir entre les créateurs. Dans les domaines traditionnels de l’exploitation de la musique, nous avons en général des autorisations territoriales, qui couvrent la France, et éventuellement Monaco et Luxembourg, pour 100% du répertoire mondial, grâce aux accords de représentation que nous avons avec des sociétés d’auteurs du monde entier.
Ce n’est plus le cas pour dans le domaine du online. Suite, notamment, à une recommandation de la commission européenne d’octobre 2005 [1], le système repose maintenant sur une fragmentation du répertoire : certains ayant droits, comme des éditeurs anglo-américains, ont retiré de la gestion collective leurs droits de reproduction.
Depuis une dizaine d’années, nous donnons donc des autorisations pour l’ensemble de notre répertoire aux plateformes online qui ont une activité multiterritoriale, comme Deezer, Spotify, Apple Music, YouTube, Amazon, pour une diffusion sur l’ensemble des territoires européens. Ce répertoire comprend notre répertoire direct, regroupant les œuvres de nos membres, ainsi que celui d’Universal Music Publishing qui nous a confié la gestion de son répertoire depuis 10 ans et de Wixen Music Publishing depuis 2014. Chaque autorisation implique une multitude de territoires, mais aussi d’offres commerciales différentes d’une plateforme à l’autre. Nous devons aujourd’hui identifier chacune des œuvres exploitées par ces plateformes, pour pouvoir vérifier si elles font partie du répertoire que l’on représente.
Comment la plateforme URights vous aide concrètement ?
Le volume de données que nous devons traiter est gigantesque. Nous avons jusqu’ici fonctionné avec des outils internes, mais compte tenu des volumes, nous souhaitions tout déporter dans le cloud, et pour ce faire trouver un partenaire qui soit capable de nous apporter une évolutivité indispensable. Après un appel d’offre, nous avons choisi IBM, qui présente l’avantage non seulement de pouvoir gérer et traiter les volumes importants, mais qui développe des technologies innovantes qui nous semblaient primordiales.
L’identification des œuvres est aujourd’hui plus complexe. Il n’existe plus qu’une seule version enregistrée par un label. On trouve notamment de nombreuses reprises, postées par des utilisateurs sur des plateformes comme YouTube. Les technologies d’IBM vont nous permettre d’identifier une œuvre quel que soit le contenu ou la version, ce qui est primordial pour identifier une œuvre et ses différentes versions.
Nous devons ensuite calculer les droits selon le contrat qui a été négocié avec chacune des plateformes, puis permettre la répartition de ces droits aux différents créateurs et éditeurs concernés. Il faut aussi que nous puissions obtenir un certain nombre de statistiques afin d’avoir, selon nos besoins, une vue synthétique ou plus détaillée sur ces données. Là encore, avec sa technologie Cognos, IBM nous apporte la faculté de faire tous types d’analyses, et même de faire du prédictif, en nous permettant, sur la base de données historiques, de rejouer un modèle de licence ou de contrat avec des paramètres un peu différents, pour savoir, en cours de négociation, si nous pouvons accepter un renouvellement des conditions ou en élaborer de nouvelles.
Quels sont les premiers retours depuis le lancement de URights ? La Sacem voit-elle déjà d’autres applications à développer ?
Les livraisons des différentes applications se font au fil de l’eau, et jusqu’ici nous sommes très contents du résultat. Le web évolue très vite, et les plateformes sont très créatives. Vous dire que nous avons prévu 100% des cas serait faux. Mais nous voulions justement avoir un partenaire qui nous permettrait de nous adapter le plus rapidement possible dès qu’une nouvelle offre, une nouvelle façon d’écouter de la musique ou un nouveau modèle économique apparaîtra. Nous avons donc souhaité que cette plateforme soit évolutive, afin de pouvoir ajouter de nouvelles technologies, ou de nouveaux types de droit à gérer. Car nous avons parlé des plateformes purement musicales, mais URights est aussi fait pour traiter de la VOD [2] et de la SVOD [3], qui sont des modes d’exploitation audiovisuelle dans lesquels il y a aussi de la musique. Et la Sacem ne gère pas que des auteurs de paroles de chansons, mais aussi des auteurs de doublage et de sous-titrage, qui sont donc dans les contenus audiovisuels.
Je précise que si la plateforme URights est développée par IBM, la Sacem en est propriétaire, et elle est conçue pour être utilisable par d’autres sociétés de gestion collective. Créer un tel outil représente un certain investissement, et nous avons toujours eu l’habitude de travailler avec des sociétés d’auteurs du monde entier : si certaines sont intéressées pour utiliser URights, nous pouvons en discuter.
Utiliser les technologies comme la blockchain permet-il finalement d’apporter plus de sécurité juridique aux auteurs, que ce soit pour le respect de leurs droits, l’application des contrats, une rémunération plus précise ?
Le droit fondamental des auteurs est le droit à rémunération sur l’exploitation de leurs œuvres, et nous essayons de le faire respecter tous les jours. Nous sommes dans un monde qui va de plus en plus vite, et URight nous permet de répartir ces droits plus rapidement à nos membres, en apportant encore plus de transparence, et de répondre aux nouvelles obligations imposées par la dernière directive européenne transposée en droit français fin 2016 [4]. Par exemple, la directive indique que l’on doit répartir à nos membres dans un délai maximum de 9 mois après l’utilisation d’une œuvre : se doter d’un tel outil permet de respecter cette obligation, voire d’être plus efficace.
Nous serons attentifs à toute technologie qui nous permettra de mieux identifier les œuvres exploitées. Et le test qui est fait actuellement consiste à savoir si la blockchain répond à cette attente-là.