Village de la Justice : Pourquoi, comment en êtes vous venu(e) à exercer votre métier en milieu transfrontalier ?
Katia Martineau : « J’ai fait une partie de mes études de droit en Allemagne, à Saarbrücken, le DEUG à l’époque puis deux LLM, dont l’un en droit allemand. J’y ai aussi travaillé dans un cabinet d’avocats pour financer mes études. Tout naturellement, j’ai voulu faire l’école d’avocat à Strasbourg et m’y installer, pensant que c’était le meilleur endroit pour mettre en pratique ces expériences. Je n’ai eu finalement que très peu l’occasion d’utiliser mes compétences dans des dossiers transfrontaliers.
Mais depuis juin 2023 un service de consultations juridiques gratuites est proposé à Kehl dans le cadre du projet « Justice sans frontière » mis en place par le Centre européen de la consommation. Le CEC organise ces consultations en faisant appel, notamment, à des avocats français, sur la base du volontariat.
C’était une opportunité pour moi de renouer avec le franco-allemand ».
Quelles sont les particularités d’un tel exercice (formation au droit du pays voisin, relation avec vos confrères/juridictions étrangers, méthode de travail, outils de travail…) ?
« En présence d’un conflit transfrontalier, il faut ressortir ses réflexes de droit international privé et se poser en premier lieu deux questions : quel est le tribunal compétent, dans quel pays faut-il assigner et quel est le droit applicable ?
Si l’examen du dossier révèle que la compétence judiciaire et la loi applicable se situent en Allemagne, je renvoie les justiciables vers un avocat allemand. Si on assigne en France, mais que le défendeur est en Allemagne, alors il faut veiller à traduire l’assignation et à la signifier avec le délai supplémentaire de 2 mois de rigueur pour les défendeurs demeurant à l’étranger.
Ce sont des réflexes que tout avocat doit avoir, et qui ne sont pas propres à l’exercice en milieu transfrontalier.
En revanche, dans certaines matières, notamment pour le divorce, il est bon d’avoir certaines notions de droit allemand, ou en tout cas de savoir comment cela fonctionne dans l’un et l’autre pays.
Lorsque le jugement est rendu, il faut recourir à un avocat ou un huissier allemand pour l’exécuter en Allemagne, ce qui complique et rallonge les formalités pour le justiciable ».
Pourriez-vous nous indiquer les procédures, dossiers les plus fréquents, les plus demandés ?
« Mon domaine d’activité tourne autour du droit immobilier (propriété, copropriété, locatif, construction, etc.). Les consultations que je fais par exemple dans le cadre de « Justice sans frontière » sont donc tournées vers ce domaine, mais je fais aussi face à des demandes en matière familiale : des couples franco-allemands qui se séparent ou des problèmes de succession avec des enfants allemands ayant un parent français décédé en France ».
La langue est-elle une barrière ? Faites-vous appel à des traducteurs ou avez-vous au sein de votre cabinet un service de traduction ?
« La langue n’est pas une barrière – sans être bilingue, j’ai encore quelques souvenirs des termes juridiques allemands qui me permettent de communiquer. Les services de traduction en ligne sont aussi très utiles pour compléter ses connaissances lorsqu’on doit faire un courrier circonstancié. Pour les traductions simples de pièces par exemple, cela m’arrive souvent de faire la traduction moi-même, mais pour celles qui doivent être certifiées, notamment les assignations, je fais appel à des traducteurs assermentés ».
Quels en sont les points forts d’une telle situation dans la pratique de votre métier ?
« Depuis que j’exerce, j’ai pu constater qu’assez paradoxalement très peu d’avocats parlent allemand à Strasbourg. C’est donc une aubaine pour une “Française de l’intérieur” (je suis Angevine), comme les Alsaciens nous appellent, de pouvoir participer à ce projet de “Justice sans frontière” ».
Le parcours professionnel de Katia Martineau :
« J’ai fait une grande partie de mes études en Allemagne. Je suis revenue en France pour passer l’examen d’avocat et exerce à Strasbourg depuis 18 ans.
J’ai toujours travaillé en collaboration pour des cabinets strasbourgeois, et, après avoir quitté la profession pendant trois ans pour travailler à la Cour européenne des droits de l’Homme, j’ai repris avec l’idée d’exercer mon métier différemment en privilégiant l’amiable et les modes alternatifs de règlement des conflits. Et, travailler dans le domaine franco-allemand, notamment dans le cadre de ce projet "Justice sans frontière" à Kehl, me redonne aussi de l’élan et l’envie de combiner les deux aspects ».