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L’abus de position dominante par auto-préférence
La décision de l’ADLC sanctionnant Google est la première au monde à se pencher sur les processus algorithmiques complexes d’enchères par lesquels fonctionne la publicité en ligne « display » dont l’objet est de proposer l’achat d’espaces publicitaires sur Internet. Mais cette décision n’est pas la première condamnation de Google pour abus de position dominante par recours à des pratiques d’auto-préférence consistant à mettre en avant ses propres services au détriment de ceux offerts par des concurrents (v. notamment, en droit européen : Com. euro., Google Shopping, 27 juin 2017 : amende de 2.42 milliards d’euros ; Com. euro., Google Android, 17 juillet 2018 : amende de 4.34 milliards d’euros ; Com. euro., Google AdSense, 29 mars 2019 : amende 1.49 milliards d’euros – en droit italien : AGCM, Google Play Store, 13 mai 2021 : amende 100 millions d’euros).
En l’espèce, la décision de l’Autorité fait suite à la saisine de plusieurs éditeurs de presse qui monnayent les contenus de leur site Internet et applications mobiles par la fourniture d’espaces publicitaires en utilisant deux technologies proposées par Google :
un serveur publicitaire DFP « Doubleclick For Publisher » permettant aux éditeurs de vendre leurs espaces publicitaires aux annonceurs,
une plateforme de mise en vente SSP « Supply-Side Platform » AdX mettant en place les enchères pour vendre leurs inventaires publicitaires, c’est-à-dire l’ensemble des espaces publicitaires disponibles à la vente à un moment donné pour une durée déterminée.
Les éditeurs soutenaient que Google se comporte de manière à ce que ces deux technologies s’avantagent réciproquement, tant au détriment des fournisseurs de technologie concurrents que du rendement de leurs inventaires publicitaires en ligne.
L’Autorité relève que Google a effectivement mis en œuvre deux pratiques distinctes visant à ce que son serveur publicitaire DFP avantage sa plateforme de mise en vente d’espaces publicitaires SSP AdX et, réciproquement, que cette dernière favorise son serveur publicitaire DFP.
D’une part le serveur publicitaire DFP organisait une mise en concurrence inéquitable entre la plateforme de mise en vente AdX et ses concurrentes. L’une des asymétries les plus notables entre cette plateforme et ses concurrentes provenait du fait que DFP indiquait le prix proposé par les plateformes concurrentes à AdX, et que cette dernière utilisait cette information afin d’optimiser ses enchères et de maximiser ses chances de les remporter contre les SSP concurrentes, notamment en faisant varier sa commission en fonction de la pression concurrentielle émanant des autres SSP.
D’autre part, la plateforme AdX n’était que partiellement interopérable avec des serveurs publicitaires concurrents de DFP, et ne permettait pas à ces derniers d’organiser une mise en concurrence entre AdX et ses concurrentes, alors même qu’AdX disposait d’un accès privilégié à une partie significative de la demande des annonceurs, et que l’ensemble de ces concurrentes avait adopté des normes permettant une mise en concurrence plus équitable.
Selon l’ADLC, ces pratiques sont d’autant plus graves qu’elles se sont déroulées sur un marché encore émergent à forte croissance, et qu’elles ont pu affecter la capacité des concurrents à se développer sur ce marché. Elles ont limité, en particulier, l’attractivité des serveurs publicitaires et des SSP tierces du point de vue des éditeurs, et ont permis à Google d’accroître sensiblement sa part de marché et ses revenus. À cet égard, l’Autorité a constaté que plusieurs concurrents de Google ont connu des difficultés significatives pendant la durée de ces pratiques, tandis que Google bénéficiait d’une forte croissance de son activité et de ses revenus, augmentant même sa part de marché déjà considérable sur un marché en forte croissance.
Ces pratiques n’ont pas affecté uniquement les concurrents. Les éditeurs ont été privés de la possibilité de faire jouer pleinement la concurrence entre les différentes SSP. Ils n’ont pas pu obtenir les meilleures offres de la part des SSP, et en particulier de la plateforme AdX de Google qui a vu la pression concurrentielle exercée par ses concurrentes amoindrie du fait des pratiques en cause.
Google n’a pas contesté les griefs qui lui ont été communiqués sur le fondement de l’analyse précédente et a sollicité de l’Autorité le bénéfice de la procédure de transaction prévue à l’article L 464-2, III du code de commerce. Dans ces conditions cette dernière a prononcé une amende de 220 millions d’euros et rendu obligatoires les engagements proposés par Google.
Les engagements imposés à Google
Ces engagements obligent Google à :
1 - offrir aux SSP tierces une modalité d’interopérabilité avec le serveur DFP permettant une concurrence par les mérites entre AdX et les SSP tierces pour l’achat des inventaires des éditeurs utilisant DFP. Ce premier engagement implique :
- de permettre un accès équitable à l’information sur le déroulé des enchères pour les SSP tierces ;
de préserver la pleine liberté contractuelle des SSP tierces de sorte que celles-ci puissent négocier des conditions particulières avec les éditeurs ou pour mettre en concurrence les acheteurs qu’elles souhaitent ;
- de garantir qu’AdX n’utilise plus le prix de ses concurrents afin d’optimiser ses enchères d’une manière qui ne soit pas reproductible par les SSP tierces ;
- d’offrir des garanties de stabilité technique, tant pour les SSP tierces que pour les éditeurs ;
2 - apporter des changements aux configurations existantes qui permettent aux éditeurs utilisant des serveurs publicitaires tiers d’avoir accès à la demande AdX en « temps réel ».
Google s’est en outre engagée à désigner un mandataire indépendant, rémunéré par ses soins, qui sera en charge du suivi de la mise en œuvre de ces engagements, et transmettra tous les éléments permettant à l’Autorité d’exercer son contrôle sur ces derniers.
ADLC, déc. 21-D-11 du 7 juin 2021
Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat
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