Prescription civile et contrefaçon de droits d’auteurs : vers une clarification jurisprudentielle.

Par Clémentine Normand Levy et Loren Fadika, Avocates.

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Explorer : # contrefaçon # prescription # droits d'auteur # preuve

Ce que vous allez lire ici :

Les actions en contrefaçon se prescrivent en cinq ans, à compter de la connaissance des faits. Deux théories existent: l'acte distinct, où chaque usage illicite relance la prescription, et le prolongement normal, où la prescription court à partir du premier acte. La jurisprudence évolue et favorise la protection des auteurs en s'appuyant sur le principe d'acte distinct.
Description rédigée par l'IA du Village

Lorsqu’une œuvre est contrefaite, le titulaire des droits n’a que quelques années pour agir. Mais concrètement, que se passe-t-il lorsque la contrefaçon dure, se répète ou passe inaperçue ? Longtemps incertaine, la jurisprudence oscillait sur le point de départ effectif du délai de prescription. La Cour de cassation semble aujourd’hui vouloir mettre fin au flou : entre sécurité juridique et protection des titulaires de droit, l’enjeu est de taille.

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1. Le droit commun de la prescription.

Les actions civiles en contrefaçon se prescrivent par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » [1].

En conséquence, seule la date de connaissance des faits litigieux ou la date à laquelle les faits litigieux auraient dû être connus par le demandeur font courir le délai, indépendamment de la durée de l’exploitation litigieuse de l’œuvre. C’est-à-dire que la perdurance d’un acte unique de contrefaçon dans le temps ne permet pas d’écarter la prescription [2].

En matière pénale, le délai est de six ans [3].

2. Acte distinct de contrefaçon versus prolongement normal de la contrefaçon.

Deux conceptions du point de départ de la prescription civile coexistent.

a) La théorie de l’acte distinct.

Selon cette approche, chaque usage illicite constitue un acte autonome faisant courir un nouveau délai de prescription.

Ainsi, la Cour d’appel de Rennes (22 avril 2025, RG 24/02618, 1ʳᵉ chambre B) a jugé qu’un photographe, dont les clichés avaient été exploités une première fois en 2014 par insertion dans des contenus audiovisuels diffusés sur France Télévisions puis une seconde fois en 2020 dans d’autres contenus audiovisuels diffusés sur France Télévisions, n’était pas prescrit lorsqu’il a assigné dans les 5 ans suivant la seconde exploitation des photographies, car cette dernière constituait un acte distinct faisant courir un nouveau délai de prescription.

b) La théorie du prolongement normal.

À l’inverse, la Cour d’appel de Paris [4] a retenu que les actes de commercialisation et de diffusion d’un titre musical intitulé « Whenever » dans un album des Black Eyed Peas en cours au moment de l’assignation « n’étaient que le prolongement normal de la commercialisation et de la diffusion réalisée antérieurement ».

En conséquence, une action introduite en 2018 à propos d’une exploitation litigieuse toujours en cours (en l’espèce la mise à disposition du titre « Whenever » sur la plate-forme d’achat iTunes Store par téléchargement et la vente d’exemplaires physiques de l’album à la Fnac) mais dont le premier acte de contrefaçon allégué est survenu en 2010 (en l’espèce la parution initiale de l’album intégrant le titre « Whenever ») était jugée prescrite au motif que le demandeur a eu connaissance des faits dès 2010.

c) L’arbitrage de la Cour de cassation.

Il existait ainsi une incertitude juridique — voire une contradiction — quant aux faits qui doivent être qualifiés d’« actes distincts » au sens de la jurisprudence de la Cour d’appel de Rennes et ce qui relève, à l’inverse, d’un « prolongement normal de la commercialisation ou de la diffusion réalisée antérieurement ».

Par un arrêt du 3 septembre 2025 (23-18.669, Première chambre civile, la Cour de cassation) s’aligne avec la théorie de l’acte distinct.

« Lorsque la contrefaçon résulte d’une succession d’actes distincts, qu’il s’agisse d’actes de reproduction, de représentation ou de diffusion, et non d’un acte unique prolongé dans le temps, la prescription court pour chacun de ces actes à compter du jour où l’auteur a connu ou aurait dû en avoir connaissance ».

Cette clarification constitue une prise de position en faveur de la protection effective des titulaires des droits d’auteurs, tout particulièrement s’agissant de la protection dans l’environnement numérique où les œuvres sont reproduites et rediffusées massivement sur les plateformes.

3. La charge de la preuve du point de départ du délai de prescription.

La Cour de cassation par un arrêt du 24 janvier 2024 (22 10492, Chambre commerciale) considère qu’il revient à celui qui invoque la prescription de l’action en contrefaçon de supporter la charge de la preuve du point de départ du délai. En pratique, cette charge de la preuve est relativement simple à établir puisqu’il faut démontrer qu’à compter d’une certaine date, l’adversaire pouvait accéder aux informations relatives à la contrefaçon alléguée, car ces informations étaient publiques et accessibles et qu’il « aurait donc dû » avoir connaissance des faits de contrefaçon.

Il revient alors ainsi au titulaire des droits revendiqués de démontrer qu’il n’a pas eu connaissance des faits et qu’il était légitime à les ignorer (par exemple parce que les faits n’ont pas fait l’objet d’une importante publicité). Cette démonstration semble plus complexe à effectuer que celle qui incombe à celui qui invoque la prescription.

Conclusion.

La jurisprudence récente de la Cour de cassation constitue donc une évolution favorable aux auteurs : chaque acte distinct de contrefaçon fait courir un délai autonome. Toutefois, cette avancée est tempérée par une conception stricte du point de départ de la prescription, qui demeure attachée à la connaissance des faits générateurs.

Cette jurisprudence s’inscrit ainsi dans une logique d’équilibre : ouvrir l’action en contrefaçon aux auteurs confrontés à des atteintes multiples et répétées, tout en évitant une remise en cause permanente de la sécurité juridique des exploitants.

Il est également important de garder en tête les leviers permettant de suspendre ou d’interrompre la prescription tels que la démonstration d’une incapacité à agir en raison d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure [5], la suspension de la prescription par le recours à une médiation ou une conciliation [6] ou par le recours à une mesure d’instruction [7] ou encore l’interruption de la prescription par des mesures conservatoires ou un acte d’exécution forcée [8] ou par une reconnaissance des droits par l’auteur de la contrefaçon [9].

Clémentine Normand Levy et Loren Fadika
Avocates à la Cour
Normand Levy Avocats
https://normand-levy.com

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Notes de l'article:

[1Article 2224 du Code civil.

[2Cour de cassation 15 novembre 2023, RG 22-23.266, Première chambre civile.

[3Article 8 Code de procédure pénale.

[417 mai 2023, RG 21/15795, Pôle 5 - Chambre 1.

[5Article 2234 Code civil.

[6Article 2238 Code civil.

[7Article 2239 Code civil.

[8Article 2244 Code civil.

[9Article 2240 Code civil.

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