Présent d'usage : régime civil et fiscal d'exception. Par Karim Idir.

 Présent d’usage : régime civil et fiscal d’exception.

Par Karim Idir.

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Explorer : # présent d'usage # droit des successions # donation # fiscalité

Ce que vous allez lire ici :

Le présent d’usage est un don non soumis au rapport successoral, reconnu par le Code civil. Il doit respecter deux conditions : une valeur modique et une occasion particulière. Sa requalification en donation manuelle peut entraîner des conséquences fiscales et successorales, nécessitant précaution et documentation.
Description rédigée par l'IA du Village

À l’occasion des fêtes, d’un mariage ou d’un anniversaire, il est courant d’offrir des cadeaux aux proches. Derrière ces gestes d’affection se dissimule pourtant une distinction juridique entre le présent d’usage et la donation manuelle. L’enjeu dépasse la simple sémantique : il touche au cœur du droit des successions et de la fiscalité patrimoniale. Défini par l’article 852 du Code civil et précisé par une jurisprudence abondante, le présent d’usage constitue une exception notable au rapport successoral et à la taxation des libéralités. Retour sur une notion dont la qualification s’apprécie au cas par cas et dont les contours jurisprudentiels restent incertains

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I. Fondement civil et conditions cumulatives du présent d’usage.

1. Une exception au rapport successoral.

L’article 852 du Code civil dispose que :

« Le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ».

Cette disposition érige le présent d’usage en exception au principe du rapport successoral prévu à l’article 843 du Code civil.

Autrement dit, le bénéficiaire d’un présent d’usage n’est pas tenu de le rapporter à la succession du donateur, à la différence des donations ordinaires qui doivent être réunies fictivement à la masse successorale [1].

Cette faveur s’explique par la nature de l’acte : un geste d’affection, symbolique, offert selon les usages sociaux, qui n’entraîne aucun appauvrissement notable du disposant.

En cela, il échappe à la définition de la donation entre vifs [2], laquelle suppose un appauvrissement corrélatif du donateur, un enrichissement du donataire et une intention libérale.

Ainsi, le présent d’usage est une libéralité d’affection, mais non une libéralité juridique au sens du Code civil.

2. Les deux critères cumulatifs : valeur modique et occasion particulière.

La jurisprudence exige la réunion de deux conditions cumulatives, dégagées par la célèbre décision (Cass. 1re civ., 6 déc. 1988, n° 87-15.083) :

  • Une valeur modique et proportionnée aux ressources et au train de vie du donateur ;
  • Une circonstance particulière conforme aux usages sociaux ou familiaux.

La modicité s’apprécie in concreto, au jour du don, selon la situation patrimoniale du donateur [3]. L’éventuelle plus-value ultérieure du bien donné, par exemple une œuvre d’art, demeure sans incidence.

L’occasion particulière doit être reconnue par la coutume : anniversaire, mariage, naissance, fiançailles, Noël, réussite à un examen, voire départ en retraite. Encore faut-il une corrélation temporelle entre l’événement et le don.

Ainsi, dans un arrêt du 22 avril 2024 (CA Paris, n° 22/12420), un chèque de 200 000 € remis près de deux ans après le départ à la retraite du bénéficiaire n’a pas été reconnu comme un présent d’usage, faute de lien direct avec l’événement invoqué.

II. Les incertitudes jurisprudentielles : une appréciation casuistique.

1. Une frontière ténue avec la donation manuelle.

Le présent d’usage se distingue difficilement du don manuel, lequel constitue une transmission de main à main d’un bien meuble ou d’une somme d’argent sans acte notarié.
Or, le don manuel, à la différence du présent d’usage, est rapportable à la succession [4] et soumis aux droits de mutation à titre gratuit [5].

La jurisprudence veille donc à encadrer strictement la qualification de présent d’usage :

  • Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-17.556 : un virement non lié à un événement particulier constitue une donation rapportable.
  • Cass. 1re civ., 11 mai 2023, n° 21-18.616 : des versements répétés d’une mère à son fils, sans justification circonstancielle, ont été requalifiés en donations.

La charge de la preuve du caractère d’usage incombe à celui qui s’en prévaut [6]. En pratique, ce sont souvent les héritiers contestataires qui invoquent la requalification pour rétablir l’égalité successorale.

2. La proportionnalité : critère central mais incertain.

La condition de modicité est la plus délicate à apprécier. Ni le Code civil ni le Code général des impôts ne fixent de seuil précis.

La doctrine administrative [7] rappelle que : « La qualification de présent d’usage résulte d’un examen concret des circonstances, incompatible avec des critères normatifs préétablis ».

Ainsi, l’administration fiscale ne fixe aucune règle de proportionnalité stricte et apprécie chaque situation in concreto.

La jurisprudence et la pratique notariale retiennent des repères indicatifs pour apprécier la valeur modique d’un présent d’usage :

  • un montant n’excédant pas 2 à 2,5% du patrimoine du donateur ;
  • ou environ 2,5% de ses revenus annuels.

Selon le doyen Aulagnier, il est possible de retenir des valeurs légèrement supérieures, entre 3 et 4% du patrimoine du donateur [8].

Ces seuils sont purement indicatifs : la qualification de présent d’usage reste factuelle et contextuelle, combinant valeur modique et occasion particulière [9].

Exemples :

  • CA Paris, 11 avril 2002, n° 01/03791 : un chèque de 15 000 € remis à un bénéficiaire dont le patrimoine s’élevait à 1,25 million d’euros a été reconnu comme un présent d’usage.
  • CA Paris, 22 avril 2024, n° 22/12420 : un versement de 200 000 €, représentant plus de 10% du patrimoine du donateur, a été requalifié en donation.

Le contrôle de la proportionnalité relève du pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation exerçant un contrôle restreint à la qualification juridique des faits.

III. Conséquences fiscales et successorales : un enjeu patrimonial majeur.

1. Un régime de faveur.

Le présent d’usage bénéficie d’un régime civil et fiscal de faveur :

  • il n’est pas rapportable à la succession [10], sauf volonté contraire du disposant ;
  • il échappe aux droits de mutation à titre gratuit, en vertu d’une tolérance administrative (BOFiP précité).

Aucune déclaration n’est requise, contrairement au don manuel, qui doit être enregistré via le formulaire CERFA n° 2735 [11] dans le mois suivant la remise.

Pour rappel, en ce qui concerne les donations classiques, les abattements applicables sont :

  • 100 000 € par parent et par enfant [12] ;
  • 31 865 € pour les dons familiaux d’argent [13], sous conditions (donateur < 80 ans, donataire majeur, argent uniquement) ;
  • au-delà, s’applique le barème progressif de 5 à 45% [14]. Ces abattements se renouvellent tous les 15 ans, mais ne concernent pas les présents d’usage.

2. Le risque de requalification.

La requalification d’un présent d’usage en donation manuelle emporte plusieurs conséquences :

  • obligation de rapport à la succession ;
  • soumission aux droits de donation et pénalités en cas de non-déclaration ;
  • et, dans les cas les plus graves, recel successoral.

Les héritiers peuvent solliciter cette requalification lorsque la libéralité a porté atteinte à la réserve héréditaire [15] ou lorsqu’elle révèle un déséquilibre manifeste entre les successibles.

IV. Recommandations pratiques : sécuriser la qualification.

Pour prévenir tout risque de contentieux civil ou fiscal, il convient de :

  • Documenter l’occasion : conserver invitations, cartes, virements ou tout élément établissant le lien entre l’événement et le don.
  • Respecter la proportionnalité : adapter la valeur du présent à la fortune et aux revenus du disposant.
  • Limiter la fréquence : des dons réguliers, même modestes, peuvent être requalifiés.

Conclusion : un équilibre entre liberté de donner et sécurité juridique.

Le présent d’usage illustre la recherche d’un équilibre entre liberté de donner et protection des héritiers réservataires.
Il s’agit d’un acte d’affection encadré par le droit, dont la validité dépend d’une analyse factuelle fine incluant : la fortune, l’occasion, la valeur et l’intention du disposant.

Dans un contexte de transmissions intergénérationnelles croissantes, la vigilance s’impose : il vaut mieux offrir un présent d’usage mesuré qu’un futur contentieux successoral disproportionné.

Références principales.

  • C. civ., art. 843, 852, 894, 921, 922
  • CGI, art. 757, 777, 779, 784, 790 G
  • BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, § 250 et s [16]
  • Synthèse des règles applicables au présent d’usage [17]
  • Cass. 1re civ., 6 déc. 1988, n° 87-15.083
  • Cass. 1re civ., 10 mai 1995, n° 93-15.187
  • Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-17.556
  • Cass. 1re civ., 11 mai 2023, n° 21-18.616
  • CA Paris, 11 avr. 2002, n° 01/03791
  • CA Paris, 22 avr. 2024, n° 22/12420
  • Aulagnier J., Noël, une date bien choisie, Newsletter AUREP n° 164, 17 déc. 2013.

Karim Idir
Expert en ingénierie patrimoniale
Diplômé des universités Paris Dauphine et Clermont-Ferrand

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Notes de l'article:

[1Art. 922 C. civ.

[2Art. 894 C. civ.

[3Cass. 1re civ., 10 mai 1995, n° 93-15.187.

[4Art. 843 C. civ.

[5CGI, art. 757 et 784.

[6Art. 1353 C. civ.

[7BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10, § 250.

[8Aulagnier J., Noël, une date bien choisie, Newsletter AUREP n° 164, 17 déc. 2013.

[9Cass. 1re civ., 6 déc. 1988, n° 87-15.083.

[10Art. 852 C. civ.

[12CGI, art. 779.

[13CGI, art. 790 G.

[14CGI, art. 777.

[15Art. 921 C. civ.

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