Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.
Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence.
Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que :
- cette production soit indispensable à son exercice et que,
- l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel [3].
Le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement [4].
Il en résulte que la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié.
Faits et procédure.
Une salariée engagée, le 1ᵉʳ avril 2010, en qualité de secrétaire, puis à compter du 17 mai 2010, en qualité de secrétaire comptable, par l’EPIC Domitia habitat OPH, victime d’un accident du travail survenu le 14 juin 2013, a repris son poste de travail à temps partiel thérapeutique le 1ᵉʳ octobre 2014.
Le 4 juin 2015, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.
Elle soutenait avoir subi un harcèlement moral et a saisi, le 5 octobre 2015, la juridiction prud’homale de demandes tendant au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral et licenciement abusif.
En cause d’appel, elle a demandé que son licenciement soit jugé nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel de Montpellier a estimé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et a débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes estimant qu’elle avait d’autres choix que d’enregistrer l’entretien du 1ᵉʳ décembre 2014 avec son employeur pour prouver la réalité du harcèlement subi depuis plusieurs mois, et que cet enregistrement clandestin, contraire au principe de la loyauté dans l’administration de la preuve, devait être écarté des débats.
Les arguments de la salariée.
Elle reprochait précisément à la cour d’appel d’avoir écarté une pièce qu’elle avait produite consistant en la retranscription d’un enregistrement de l’employeur réalisé à son insu, sans rechercher si :
- elle disposait d’autres moyens pour établir la réalité des pressions exercées par l’employeur afin qu’elle signe une rupture conventionnelle, en la menaçant de licenciement.
- et si l’atteinte ainsi portée au droit de l’employeur n’était pas strictement proportionnée.
Elle faisait valoir que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier :
- si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble,
- si la production est indispensable à l’exercice du droit de la preuve et si l’atteinte est strictement proportionnée au but poursuivi.
La décision de la Cour de cassation.
Dans son arrêt du 10 juillet 2024, la chambre sociale casse et annule l’arrêt critiqué qui a écarté des débats l’enregistrement litigieux produit par la salariée pour faire la preuve des pressions alléguées lors de l’entretien du 1ᵉʳ décembre 2014. Elle renvoie les parties devant la cour d’appel de Nîmes.
En l’espèce, la salariée invoquait notamment au titre des éléments permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral :
- le défaut de formation sur son nouveau poste de travail et le fait qu’elle avait été sanctionnée à plusieurs reprises ;
- les pressions exercées par l’employeur pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle.
Il appartenait donc à la cour d’appel, d’examiner ces éléments de fait et d’apprécier :
- si ceux-ci, pris dans leur ensemble avec les autres éléments dont les éléments médicaux, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, et, dans l’affirmative,
- si l’employeur démontrait que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement.
Il lui appartenait également de vérifier si la production de l’enregistrement de l’entretien, effectué à l’insu de l’employeur, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué et, dans l’affirmative, si l’atteinte au respect de la vie personnelle de l’employeur était proportionnée au but poursuivi.
Dès lors, le juge ne peut, pour écarter des débats un enregistrement clandestin d’un entretien avec l’employeur, retenir que le salarié avait d’autres choix que d’enregistrer cet entretien pour prouver la réalité du harcèlement subi depuis plusieurs mois et que l’atteinte portée aux principes protégés en l’espèce n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi.
Conclusion.
Un salarié peut être admis à produire aux débats un enregistrement réalisé à l’insu de l’employeur, dès lors que le juge constate qu’il est indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement allégué et que l’atteinte portée à la vie privée de l’employeur qui en résulte est proportionnée au but poursuivi.