Principes généraux d’évaluation des biens successoraux : les œuvres d’art.

Par François Buthiau, Avocat.

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Explorer : # évaluation des biens # fiscalité # Œuvres d'art # partage successoral

Source d’un contentieux nourri de nature tant fiscale que civile, l’évaluation des œuvres d’art en matière successorale obéit à des règles spécifiques qu’il convient de rappeler succinctement.

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1/ L’ouverture d’une succession nécessite naturellement d’en évaluer les actifs.

Cette évaluation doit être réalisée à deux dates différentes suivant les problématiques en cause :

  • Au plan fiscal, la base des droits est la valeur vénale réelle des biens au jour du fait générateur, c’est-à-dire au décès. C’est le principe rappelé par l’article 666 du Code général des impôts (CGI) et par la doctrine administrative.
  • Au plan civil, la répartition entre copartageants se fait à la date de la jouissance divise, fixée par l’acte (ou par le juge) sachant qu’elle doit être « la plus proche possible du partage ». Cette règle résultant de l’article 829 du Code civil gouverne le calcul des soultes et corrige les effets des variations de prix entre décès et partage.

S’agissant plus spécifiquement des libéralités entre vifs, la valeur à retenir est celle du bien donné à l’époque du partage, d’après son état au jour de ladite libéralité, sauf stipulation contraire.

2/ À considérer le cas des œuvres d’art, la problématique est en premier lieu d’ordre fiscal.

Il convient à ce titre de déterminer si les œuvres en cause relèvent de la catégorie des meubles meublants ou des objets d’art et de collection afin de leur appliquer le régime adéquat.

Les meubles meublants désignent les meubles destinés à l’usage et à l’ornement des résidences (tableaux et statues compris, lorsqu’ils font partie du « meuble » d’un bien immobilier, à l’exclusion des collections en galeries).

L’article 764 I du CGI impose alors un ordre de détermination de la valeur : en priorité le prix net d’une vente publique intervenue dans les deux ans du décès ; à défaut, l’estimation d’un inventaire dressé dans les formes de l’article 789 du Code civil et dans les cinq ans ; en dernier lieu, l’application d’un forfait de 5% de l’actif brut hors meublants. La doctrine administrative explicite ces principes et en particulier les conditions de réalisation de l’inventaire [1].

À défaut d’intégration au « mobilier d’ornement », les objets d’art et de collection suivent le régime distinct du II de l’article 764 du CGI. La base d’imposition privilégiée est le prix net d’une vente publique dans les deux ans ; à défaut, l’administration retient la valeur la plus probante résultant notamment des polices d’assurance contre le vol ou l’incendie, voire d’estimations sérieuses, étant précisé que la valeur imposable ne peut dans cette hypothèse être inférieure à l’évaluation retenue à de telles polices en vigueur au jour du décès ou ayant moins de 10 ans.

La doctrine administrative formalise la frontière entre « meuble meublant » et « objet d’art/collection » et précise la hiérarchie des modes de preuve [2]. En pratique, une même œuvre peut être traitée comme meublant si elle orne le salon familial, ou comme objet de collection si elle est conservée au coffre ou en galerie : la qualification factuelle emporte changement de régime fiscal (ibid.). Les requalifications d’œuvres (meublant/objet d’art) sont fréquentes en pratique, l’administration devant alors démontrer que l’usage ou la localisation ne correspondent pas à l’ornement domestique.

D’une manière générale, il convient d’établir un dossier probatoire complet : démonstration de l’ornement (si pertinent), inventaires aux normes, comparables de marché contemporains, polices d’assurance, traçabilité des flux, etc.

Il peut être précisé qu’en présence d’œuvres majeures, une solution particulière peut être envisagée : la dation en paiement. Elle permet, après agrément, d’acquitter tout ou partie des droits de mutation par la remise à l’État, s’il l’accepte, d’objets d’art ou de collection ; la décision d’agrément fixe la valeur libératoire des biens remis.

Au plan civil, le partage se fera selon les règles précitées (évaluation à la date de jouissance divise, problématique des libéralités).

L’évaluation est alors très fréquemment source d’importantes dissensions entre les héritiers, surtout en présence de donations ou de volontés d’attribution, comme en témoigne le contentieux en la matière - la succession de Claude Berri en est un exemple récent, posant la double problématique fiscale et civile d’évaluation des œuvres (sans évoquer celle du recel successoral).

La présence d’œuvres d’art dans une succession, tout particulièrement d’œuvres d’importance, suppose ainsi d’être tout particulièrement attentif aux principes applicables afin d’éviter de se trouver dans des situations délicates, au plan fiscal comme civil.

François Buthiau,
Avocat à la Cour,
Barreau de Paris.
https://bsavocats.net

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