1. Les faits à l’origine de la décision.
Une salariée a été embauchée en mai 2016 en qualité d’esthéticienne.
En avril 2019, elle fait l’objet d’un licenciement verbal, non motivé, qui sera par la suite jugé sans cause réelle et sérieuse.
Cependant, entre novembre 2016 et avril 2019, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie non professionnelle.
La cour d’appel, en tenant compte de cette suspension du contrat de travail, a considéré que l’ancienneté de la salariée était inférieure à un an.
Sur cette base, les juges du fond l’ont déboutée de sa demande d’indemnité pour licenciement abusif, estimant qu’elle ne remplissait pas la condition d’ancienneté minimale.
La salariée s’est alors pourvue en cassation, contestant cette analyse.
2. Le principe posé par la Cour de cassation : aucune déduction des périodes de suspension.
2.1. L’absence de restriction textuelle.
La Haute juridiction censure le raisonnement de la cour d’appel en conformité avec la lettre du texte.
L’article L1235-3 du Code du travail, qui fixe le barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne comporte aucune restriction en cas de suspension du contrat de travail [1].
Ce barème, communément appelé « barème Macron », détermine les montants minimaux et maximaux de l’indemnité que l’employeur doit verser au salarié licencié abusivement.
Le calcul de cette indemnité repose sur deux critères principaux : l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et son salaire mensuel de référence.
2.2. Une solution de continuité jurisprudentielle.
La Cour de cassation précise que cette solution n’est pas nouvelle.
Elle transpose au barème Macron une jurisprudence déjà établie sous l’empire des textes antérieurs à l’ordonnance du 22 septembre 2017 [2].
Cette continuité jurisprudentielle démontre la constance de la position de la Cour de cassation sur cette question.
Les périodes de suspension du contrat de travail, quelle qu’en soit la cause, ne rompent pas l’ancienneté du salarié lorsqu’il s’agit d’apprécier son droit à l’indemnité de licenciement.
Cette règle s’applique aussi bien à l’indemnité légale de licenciement, pour laquelle huit mois d’ancienneté sont nécessaires, qu’à l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
2.3. Les conséquences pratiques de cette solution.
En l’espèce, l’ancienneté de la salariée devait être calculée de mai 2016 à avril 2019, sans déduction des périodes d’arrêt maladie.
Elle totalisait donc deux ans et dix mois d’ancienneté au sein de l’entreprise.
En application du barème prévu par l’article L1235-3 du Code du travail, la salariée pouvait ainsi prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 0,5 et 3,5 mois de salaire.
La Cour de cassation, statuant au fond, lui a d’ailleurs accordé une indemnité correspondant au montant maximal du barème.
3. Une double erreur de la cour d’appel.
3.1. L’erreur sur le calcul de l’ancienneté.
La première erreur commise par la cour d’appel réside dans la déduction des périodes d’arrêt maladie du calcul de l’ancienneté.
Cette méthode de calcul méconnaît le principe selon lequel les périodes de suspension du contrat de travail ne sont pas déduites de l’ancienneté du salarié.
L’arrêt maladie suspend certes l’exécution du contrat de travail, mais ne rompt pas le lien contractuel entre l’employeur et le salarié.
Par conséquent, ces périodes doivent être prises en compte pour apprécier l’ancienneté globale du salarié dans l’entreprise.
3.2. L’erreur sur l’indemnisation des salariés ayant moins d’un an d’ancienneté.
La cour d’appel a également commis une seconde erreur, indépendante de la première, en considérant que les salariés ayant moins d’un an d’ancienneté ne pouvaient prétendre à aucune indemnisation.
La Cour de cassation avait pourtant déjà clarifié ce point dans un arrêt du 12 juin 2024 [3].
Dans cette décision, elle a jugé que le salarié comptant moins d’un an d’ancienneté dans une entreprise de moins de onze salariés a droit à une indemnité fixée par le juge.
Cette indemnité est toutefois plafonnée à un mois de salaire.
Ainsi, même si la cour d’appel avait eu raison de déduire les périodes d’arrêt maladie, ce qui n’est pas le cas, elle aurait dû accorder une indemnité à la salariée dans la limite d’un mois de salaire.
4. Les enseignements de cet arrêt pour la pratique.
4.1. La distinction entre droit à l’indemnité et calcul du montant.
Il convient de bien distinguer deux questions différentes lorsqu’il s’agit d’indemniser un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
D’une part, la question du droit à l’indemnité, qui suppose d’apprécier si le salarié remplit les conditions pour bénéficier d’une indemnisation.
D’autre part, la question du calcul du montant de cette indemnité, qui intervient une fois le principe de l’indemnisation acquis.
S’agissant du droit à l’indemnité, les périodes de suspension du contrat de travail ne sont jamais déduites de l’ancienneté du salarié.
En revanche, pour le calcul du montant de l’indemnité légale de licenciement, la Cour de cassation a précisé que les absences pour maladie peuvent impacter le montant, sans pour autant affecter le droit [4].
Cette distinction, parfois subtile, doit être maîtrisée par les praticiens pour éviter toute confusion.
4.2. L’application du barème Macron aux petites entreprises.
Le barème prévu par l’article L1235-3 du Code du travail distingue les entreprises selon leur effectif.
Pour les entreprises d’au moins 11 salariés, l’indemnité minimale est fixée à un mois de salaire à partir d’un an d’ancienneté.
Pour les entreprises de moins de 11 salariés, cette indemnité minimale est de 0,5 mois de salaire.
Dans les deux cas, le plancher est nul pour les salariés ayant moins d’un an d’ancienneté, mais ces derniers peuvent néanmoins obtenir une indemnité dans la limite d’un mois de salaire, comme le rappelle la jurisprudence récente.
Cette différenciation selon la taille de l’entreprise doit être prise en compte lors de l’évaluation du préjudice du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse.


