1. Retour sur l’état d’urgence sanitaire crée le 23 mars 2020 : une restriction massive des droits et libertés, sans garanties suffisantes.
Inspiré de l’état d’urgence sécuritaire déclenché après les attentats du 13 novembre 2015, « l’état d’urgence sanitaire peut être déclaré (…) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».
La loi du 23 mars 2020 a ainsi introduit au sein du code de la santé publique un nouveau chapitre intitulé « Etat d’urgence sanitaire », venant conférer une base légale à l’ensemble des mesures prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19, y compris le confinement décrété à compter du 17 mars, 12 heures.
L’absence de garanties suffisantes.
Il convient de souligner le caractère absolument inédit du confinement général de la population. Il s’agit d’une restriction massive de la liberté individuelle d’aller et venir, décidée par l’autorité administrative et qui suspend de facto l’exercice de nombreuses autres libertés individuelles et collectives : liberté d’entreprendre, de réunion, d’exercice collectif de la religion, de manifestation…
Ce nouvel état d’urgence exigeait donc des garanties suffisantes et de se limiter aux mesures strictement nécessaires et proportionnées à l’objectif sanitaire.
Pourtant, les contours de ce nouvel état d’exception laissent à désirer : « catastrophe sanitaire mettant en péril (…) la santé de la population ». Ces termes sont très subjectifs et pourraient permettre au gouvernement d’activer de nouveau l’état d’urgence pour faire face, par exemple, à une épidémie de grippe saisonnière dont plusieurs milliers de personnes décèdent chaque année.
Compte-tenu des risques que présente un tel régime d’exception sur les droits et libertés fondamentales des individus, un cadre plus précis eut été bienvenu. Si elle venait aux mains d’un exécutif mal intentionné, la rédaction actuelle ferait courir le risque d’un recours abusif à l’état d’urgence sanitaire.
Il convient également de rappeler que ce nouveau régime d’exception n’a fait l’objet d’aucun contrôle constitutionnel et que le contrôle exercé par le parlement est à ce stade très insuffisant.
Entorse aux principes généraux de la procédure pénale, multiplication des arrêtés préfectoraux : des mesures allant au-delà de l’objet sanitaire.
L’état d’urgence sanitaire a généré un très grand nombre de mesures, allant parfois bien au-delà de l’objet sanitaire. Ainsi, à la date du 7 mai 2020, plus de 51 ordonnances avaient été adoptées par le gouvernement.
Certaines d’entre elles ont bien sûr des objectifs louables et visent à accorder une certaine sécurité juridique et financière aux entreprises et aux citoyens. D’autres en revanche sont extrêmement discutables voire totalement injustifiées.
L’exemple de l’ordonnance « procédure pénale » est particulièrement criant.
Ce texte a en effet autorisé les prolongations des gardes à vue des mineurs âgés de 16 à 18 ans et les prolongations des gardes à vues en matière de criminalité et de délinquance organisée, sans présentation de la personne devant le magistrat compétent. Aucun mécanisme susceptible de garantir le principe du contradictoire n’a été prévu… Peut-être aurait-on pu au moins envisager le recours aux moyens de communication et prévoir une présentation, même virtuelle, au juge ?
Les dispositions relatives à la détention provisoire, largement critiquées, bafouent sans retenue les droits de la défense, le principe du contradictoire et la présomption d’innocence en décidant de proroger de plein droit les détentions provisoires, sans comparution devant un juge, ni assistance d’un avocat…
Comme l’a relevé M. Louis BORE, président de l’ordre des avocats du Conseil d’Etat et à la Cour de cassation « c’est la première fois depuis la loi des suspects de 1793 que l’on ordonne que des gens restent en prison sans l’intervention d’un juge ».
Face aux nombreuses critiques, les députés ont finalement voté le 7 mai la fin de la prolongation de plein droit, rétablissant ainsi le débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention dès le 11 mai.
Ce recul doit être salué. On voyait mal en quoi cette mesure se justifiait par la crise sanitaire actuelle.
Outre les ordonnances, on a assisté à la prolifération de mesures locales, parfois très discutables. En effet, l’article 2 de la loi d’urgence du 23 mars 2020 permet au ministre de la santé et au préfet de prendre toutes les mesures générales ou individuelles nécessaires à l’application des mesures prescrites par le Premier ministre .
Ainsi, à la date du 25 avril 2020, plus de 1200 arrêtés préfectoraux en lien avec l’état d’urgence sanitaire avaient été pris, venant s’ajouter aux mesures nationales.
Les mesures préfectorales ont notamment interdit l’accès à certains espaces ou à certains territoires. Dans le département des Alpes-Maritimes sont ainsi interdits d’accès les berges de fleuves, les canaux, le rivage de la mer et le littoral, les lieux de baignade y compris au sein de résidences privées…
Des couvre-feux ont également été instauré. Certains arrêtés ont aussi interdit la vente de certains biens (interdiction de vente de certaines boissons alcoolisées, interdiction de vente d’artifices de divertissements au motif qu’ils pourraient être utilisés contre les forces de l’ordre …).
Une telle accumulation de mesures locales aggravant celles prises au niveau national est-elle bien nécessaire et justifiée au regard de l’objectif sanitaire ? Nous sommes en droit d’en douter.
2. La loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire : le renforcement d’un régime d’exception.
L’état d’urgence sanitaire est prorogé jusqu’au 10 juillet prochain. Le Parlement vient en effet d’adopter définitivement ce samedi 9 mai la loi « prorogeant l’état d’urgence et complétant ses dispositions ».
« Et complétant ses dispositions ». La loi ne se contente pas de prolonger un régime d’exception. Elle crée également de nouvelles mesures qui, là encore, soulèvent des questions sur le terrain des droits et libertés fondamentales.
Mise en quarantaine de malades sur décision du préfet.
Le nouveau texte de loi vient compléter l’article L. 3131-15 du Code de la santé publique en apportant des précisions sur la mise en quarantaine et l’isolement des personnes.
Ces mesures peuvent être imposées aux personnes entrant sur le territoire national, en Corse ou dans une collectivité d’Outre-mer, lorsqu’elles ont séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l’infection. Ces mesures peuvent aller de l’interdiction de fréquenter certains lieux ou catégories de lieux, jusqu’à l’interdiction de toute sortie du domicile.
Elles sont prononcées par le préfet, en vertu de son pouvoir de police administratif, sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé, au vu d’un certificat médical.
C’est là quelque chose d’inédit. Nous sommes face à une mesure privative de liberté qui dépend de la préfecture et qui échappe au système judiciaire.
Certes, les personnes infectées peuvent effectuer un recours devant le juge des libertés et de la détention en vue de la mainlevée de la mesure. Le juge peut également s’autosaisir ou être saisi par le procureur de la république territorialement compétent. Il n’est pas certain toutefois qu’il s’agisse d’une garantie suffisante pour les personnes concernées, compte-tenu du fort ralentissement de l’activité des tribunaux en cette période.
Extension des pouvoirs de police à des agents privés.
Outre la création d’un régime de mise en quarantaine pour les personnes infectées, la loi étend les pouvoirs de police à de nouvelles catégories de personnes.
Sont ainsi habilités à constater les contraventions par procès-verbal les agents de la RATP, de la SNCF, les réservistes et les adjoints de sécurité. La loi confère donc un pouvoir de verbaliser à des agents privés, non formés aux contrôles de police et sans lien aucun avec le service public de la justice.
Quant au champ des infractions couvert, il est très large, la loi renvoyant en effet, s’agissant des réservistes et des adjoints de sécurité, au troisième alinéa de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique : « les interdictions ou obligations édictées en application des articles L3131-1 et L3131-15 à L3131-17 du Code de la santé publique » : il s’agit en somme de toutes les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
En ce qui concerne les agents de la RATP et de la SNCF, ils pourront constater les infractions aux mesures règlementant la circulation des personnes et l’accès aux moyens de transport : obligation de port du masque, interdiction d’utiliser les transports en commun aux heures de pointes sauf impératif professionnel, etc.
Cette mesure est inquiétante car elle accroît le risque de verbalisations abusives et absurdes. Comment sereinement transférer de tels pouvoirs de police à des agents privés non formés lorsque déjà, en situation normale, des débordements surviennent fréquemment ? On peut aussi légitimement s’interroger sur les recours dont disposeront les personnes concernées…
Cette mesure pose également la question de son bien-fondé et de son efficacité. Une telle surenchère sécuritaire était-elle bien nécessaire dans un pays où le confinement a, globalement, été scrupuleusement respecté ? A l’image des personnes sans-domicile fixe sanctionnées pour non-respect du confinement, allons-nous vers une verbalisation des personnes vulnérables qui n’auront pas réussi à se procurer de masques ?
On espère que les nouveaux détenteurs de pouvoirs de police en feront un usage raisonnable.
Création d’un système d’information aux fins de suivi épidémiologique.
La nouvelle mesure phare de la loi est le déploiement d’un système de suivi épidémiologique afin d’enrayer les chaines de contamination.
Dérogeant à l’article L1110-4 du code de la santé publique selon lequel toute personne prise en charge par un professionnel de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant, l’article 6 du texte adopté le 9 mai prévoit que « des données à caractère personnel concernant la santé relatives aux personnes atteintes par ce virus et aux personnes ayant été en contact avec elles peuvent être partagées, le cas échéant, sans le consentement des personnes intéressées, dans le cadre d’un système d’information créé par décret en conseil d’état ».
Ce système d’information, piloté par le ministre chargé de la santé et l’agence nationale de la santé publique a pour but d’identifier les personnes infectées et les personnes présentant un risque d’infection « par la collecte des informations relatives aux contacts des personnes infectées et, le cas échéant, par la réalisation d’enquêtes sanitaires ».
Les médecins renseigneront dans un fichier la liste des contacts de leurs patients infectés par le Covid-19. Les informations seront ensuite transmises aux agents de l’assurance maladie qui prendront contact avec les proches des malades (les « cas contacts ») afin de les interroger, les orienter et les inciter à ses faire tester. Il s’agit là des fameuses « brigades sanitaires » annoncées par le Premier ministre lors de son discours du 28 avril dernier.
Des personnes, non professionnels de santé, auront donc désormais accès à des données couvertes par le secret médical, alors qu’elles n’ont normalement pas vocation à en connaître.
Se pose la question du devenir des données contenues dans ce système d’information.
Chacun mesure en effet la sensibilité d’un fichier contenant des données permettant d’identifier des personnes infectées par le Covid-19 et leur entourage proche. Si l’objectif poursuivi est pour l’heure justifié, enrayer l’épidémie, il ne faudrait pas que ces données puissent être partagées et réutilisées pour d’autres finalités moins honorables…
Le Parlement a introduit quelques gardes fous. Les données ne pourront pas être conservées plus de 3 mois et les personnes qui auront à en connaître seront soumises au secret professionnel.
Il conviendra de suivre avec vigilance la mise en œuvre de ce dispositif et d’être attentif au devenir de ce nouveau fichier sanitaire.
Auditionnée le 5 mai dernier par l’Assemblée nationale, la CNIL a d’ores et déjà indiqué que des contrôles seront diligentés dès les premières semaines du dispositif.
Sources :
Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19
Ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020
Code de la santé publique : articles L. 3131-1 à L. 3131-17
Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions adoptée définitivement par le Parlement le 9 mai 2020
Pour des exemples d’arrêtés préfectoraux : arrêté préfectoral de la Marne en date du 15 avril 2020 et portant interdiction d’accès dans les parcs, jardins, gravières, forêts, berges, plans d’eau, aires de jeux, terrains de sports urbains ; arrêté préfectoral des Alpes-Maritimes en date du 30 mars 2020 et portant interdiction d’accès aux berges des fleuves canaux et rivières des Alpes-Maritimes ; arrêté préfectoral des Alpes-Maritimes en date du 22 mars 2020 et interdisant l’accès au rivage de la mer sur le littoral des Alpes-Maritimes ; arrêté préfectoral du Morbihan en date du 16 avril 2020 interdisant la vente à emporter des boissons des groupes IV et V ; arrêté préfectoral des Yvelines en date du 30 mars 2020 relatif à la cession, à l’utilisation et au transport par des particuliers d’artifices de divertissement.
Les mesures locales d’aggravation de l’état d’urgence sanitaire, La revue des Droits de l’Homme, Avril 2020.
Discussion en cours :
Bonjour Chère Maître
Merci pour cette contribution très instructive.
Depuis la rédaction de votre article d’autres mesures gouvernementales ont été adoptées pour faire face au COVID19.
Aussi ma question est : pensez vous mettre en ligne un nouvel éclairage concernant le dispositif adopté le 29 octobre 2020.
Mes respects,
Safia Elaber