1. L’institutionnalisation d’un risque professionnel émergent.
1.1. De la recommandation à l’obligation légale.
Jusqu’à présent, la protection des salariés contre les risques thermiques reposait essentiellement sur des préconisations émises par l’administration du travail, notamment par le biais d’instructions interministérielles reconduites annuellement.
Ces recommandations, bien que dépourvues de caractère obligatoire direct, trouvaient leur fondement dans les obligations générales de l’employeur en matière de santé et de sécurité des travailleurs [1].
La nouvelle réglementation opère une transformation fondamentale en intégrant ces dispositions dans le corpus réglementaire du Code du travail, créant ainsi un chapitre spécifique consacré à la prévention des risques liés aux épisodes de chaleur intense [2].
1.2. La définition normative de l’épisode de chaleur intense.
L’innovation majeure de cette réglementation réside dans la définition objective de l’épisode de chaleur intense, désormais déterminée par référence au dispositif national de vigilance météorologique "canicule" développé par Météo-France.
Constituent des épisodes de chaleur intense au sens du Code du travail les situations correspondant aux niveaux de vigilance jaune, orange ou rouge du dispositif météorologique [3].
Cette approche présente l’avantage d’une objectivation scientifique du seuil de déclenchement des obligations patronales, évitant ainsi les débats interprétatifs sur la caractérisation de la situation de risque.
2. Le renforcement des obligations patronales de prévention.
2.1. L’obligation d’évaluation et de planification des mesures préventives.
Le nouveau dispositif impose à tout employeur d’évaluer les risques liés à l’exposition des travailleurs à des épisodes de chaleur intense, qu’ils interviennent en intérieur ou en extérieur [4].
Lorsque cette évaluation révèle un risque d’atteinte à la santé ou à la sécurité des travailleurs, l’employeur doit définir des mesures ou actions de prévention qui seront consignées dans le programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail pour les entreprises de cinquante salariés et plus, ou dans le document unique d’évaluation des risques pour les structures de moindre importance [5].
Cette obligation s’inscrit dans la continuité de l’obligation générale d’évaluation des risques liés aux ambiances thermiques déjà prévue à l’article R4121-1 du Code du travail, mais en précise significativement le contenu et les modalités.
2.2. Le catalogue des mesures de prévention.
La réglementation nouvelle établit une liste non exhaustive des mesures de prévention que l’employeur peut mettre en œuvre [6].
Ces mesures s’articulent autour de plusieurs axes stratégiques : la modification des procédés de travail pour réduire l’exposition à la chaleur, l’adaptation de l’aménagement des lieux et postes de travail, l’ajustement de l’organisation du travail notamment par la modification des horaires et l’instauration de périodes de repos renforcées.
Le dispositif prévoit également l’utilisation de moyens techniques pour diminuer le rayonnement solaire, l’augmentation quantitative de l’eau potable fraîche mise à disposition, le choix d’équipements de travail appropriés permettant de maintenir une température corporelle stable, ainsi que la fourniture d’équipements de protection individuelle adaptés.
L’information et la formation des travailleurs constituent un volet essentiel de cette approche préventive, devant porter sur la conduite à tenir en cas de forte chaleur et sur l’utilisation correcte des équipements de protection.
2.3. Les adaptations spécifiques pour les travailleurs vulnérables.
La réglementation accorde une attention particulière aux travailleurs particulièrement vulnérables aux risques liés aux épisodes de chaleur intense, notamment en raison de leur âge ou de leur état de santé [7].
L’employeur doit adapter les mesures de prévention en liaison avec le service de prévention et de santé au travail pour assurer la protection spécifique de ces salariés.
Cette disposition s’ajoute à l’interdiction déjà existante d’affecter des travailleurs de moins de dix-huit ans aux travaux les exposant à une température extrême susceptible de nuire à la santé [8].
3. Les obligations spécifiques de mise à disposition d’eau et d’organisation des secours.
3.1. Le renforcement de l’obligation de fourniture d’eau potable.
Le nouveau dispositif précise et renforce l’obligation pour l’employeur de fournir une quantité d’eau potable fraîche suffisante en cas d’épisode de chaleur intense [9].
L’employeur doit également prévoir un moyen pour maintenir au frais, tout au long de la journée de travail, l’eau destinée à la boisson, à proximité des postes de travail, notamment pour les postes extérieurs.
Pour les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics, cette obligation est particulièrement renforcée : l’employeur doit mettre à disposition, sans limitation et en continu, de l’eau potable et fraîche permettant aux travailleurs de se désaltérer et de se rafraîchir [10].
Le minimum de trois litres par jour par salarié ne s’applique désormais que dans l’hypothèse où il serait impossible de mettre en place l’eau courante.
3.2. L’organisation du dispositif de secours.
La nouvelle réglementation impose à l’employeur de prévoir un dispositif permettant le signalement de toute apparition d’indice physiologique préoccupant, de situation de malaise ou de détresse, ainsi que l’apport de secours dans les meilleurs délais à tout travailleur, particulièrement aux travailleurs isolés ou éloignés [11].
Ce dispositif doit être porté à la connaissance des travailleurs et communiqué au service de prévention et de santé au travail.
Cette obligation prend une dimension particulière au regard des risques spécifiques liés aux fortes chaleurs, notamment le coup de chaleur, défini comme une hyperthermie majeure avec une température corporelle supérieure à quarante degrés Celsius, susceptible d’entraîner le décès ou des lésions cérébrales irréversibles.
4. Les modalités de contrôle et de sanction.
4.1. Les pouvoirs renforcés de l’inspection du travail.
Le décret du 27 mai 2025 confère à l’inspection du travail de nouveaux pouvoirs de contrôle spécifiquement adaptés à la prévention des risques liés aux épisodes de chaleur intense.
L’inspecteur du travail peut désormais mettre en demeure l’employeur de se conformer sous huit jours à son obligation de définir les mesures de prévention des risques associés aux épisodes de chaleur intense [12].
Cette possibilité de mise en demeure constitue un outil d’intervention rapide et adapté à l’urgence que peuvent représenter les situations de forte chaleur pour la santé des travailleurs.
4.2. L’intégration dans les documents de prévention.
Les risques associés aux épisodes de chaleur intense doivent désormais être pris en compte dans différents documents de prévention : le plan de prévention prévu en cas d’intervention d’une entreprise extérieure [13], le plan général de coordination [14], et le plan particulier de sécurité et de protection de la santé imposé aux entreprises du bâtiment et des travaux publics pour certains chantiers [15].
5. Les dispositions particulières au secteur du bâtiment et des travaux publics.
5.1. L’extension du chômage intempéries aux épisodes caniculaires.
L’arrêté du 27 mai 2025 précise les épisodes de canicule ouvrant droit au chômage intempéries dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.
Désormais, les périodes où les seuils de vigilance orange ou rouge sont atteints constituent des situations ouvrant droit à ce dispositif d’indemnisation [16].
Le montant du remboursement versé à l’employeur au titre de ces périodes est fixé à cinquante pour cent du montant prévu pour les autres intempéries couvertes par le régime, avec possibilité pour la CIBTP France de décider d’une majoration [17].
5.2. Alternative pour les secteurs non couverts.
Dans les secteurs d’activité non couverts par le régime de chômage intempéries, le dispositif d’activité partielle de droit commun peut être actionné en période de vigilance orange ou rouge ou en cas d’arrêté préfectoral ordonnant une suspension d’activité en raison de la canicule.
Toutefois, la prise en charge n’est pas automatique et dépend de l’appréciation par l’administration du caractère exceptionnel de la vague de chaleur et de ses conséquences sur l’activité de l’entreprise.
6. Entrée en vigueur et période transitoire.
Les dispositions du décret du 27 mai 2025 sont entrées en vigueur le 2 juin 2025.
Néanmoins, l’article 8 du décret accorde aux employeurs un délai d’un mois à compter de cette date pour se mettre en conformité avec ses dispositions.
Les dispositions de l’arrêté du 27 mai 2025 entreront en vigueur le 2 juillet 2025, soit un mois après sa publication au Journal officiel.
Cette nouvelle réglementation marque une évolution significative du droit de la santé et de la sécurité au travail, traduisant la prise en compte par le législateur des défis sanitaires posés par le changement climatique.
Elle impose aux employeurs une approche proactive et structurée de la prévention des risques thermiques, tout en leur fournissant un cadre juridique
précis pour l’évaluation et la gestion de ces risques émergents.