Par Hannelore Mougin, Avocat.

La protection fonctionnelle des militaires et des gendarmes.

Issue d’un long processus législatif et jurisprudentiel (1), la protection fonctionnelle est un droit reconnu à tous les agents publics dont les militaires et les gendarmes (2). Dans cet article volontairement synthétique, seule cette qualité d’agents sera abordée. L’expression de ce droit, par une procédure pénale ou administrative ouvre la voie à une multitude d’actions de l’administration (3) en faveur des bénéficiaires pour mettre un terme à l’atteinte constatée. Tout au long de la procédure, l’avocat, librement choisi par l’agent victime ou mis en cause, assure tour à tour ses fonctions de conseil, d’accompagnement et de défense notamment en définissant la meilleure stratégie au regard des voies et délais de recours (4).

1. Une protection aux origines lointaines.

La protection fonctionnelle est un principe général du droit [1] qui garantit une protection particulière aux agents publics en raison de leur qualité de fonctionnaire.

Cette protection s’analyse comme une contrepartie de l’engagement de l’agent au service de l’administration.

La finalité de ce régime de protection est de permettre à l’agent victime d’effectuer sa mission de manière sereine pour satisfaire la mission de service public qui lui incombe en vertu de son statut.

La protection fonctionnelle s’analyse aussi comme une expression de solidarité de l’Etat envers ses agents dès lors qu’ils n’ont commis aucune faute personnelle. Cet esprit de solidarité se justifie d’autant plus que, derrière leur statut, les agents publics sont soumis à des obligations particulières qui font naître, en retour, des droits.

Rappelons, sur ce point, que le Code de la défense précise s’agissant des militaires et des gendarmes, que

« l’état militaire exige en toutes circonstances esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême » [2].

Historiquement, nous trouvons trace de ce régime de protection dans l’article 75 de la constitution du 22 frimaire an VIII instaurant le Consulat dans le cadre de la Première République. Cet article prévoyait que :

« Les agents du gouvernement autres que les ministres ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à l’exercice de leurs fonctions qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État » [3].

Il faut voir derrière ces dispositions, qui faisaient dépendre d’une décision du Conseil d’État l’ouverture d’une poursuite d’un agent du gouvernement, une volonté de protéger les intérêts de l’administration.

Les règles appliquées aujourd’hui dans la fonction publique sont le fruit d’une longue évolution et résultent d’une création prétorienne.

Par sa décision Pelletier, du 30 juillet 1873 [4], le Tribunal des conflits a consacré la distinction entre faute personnelle et faute de service ainsi que, avec elle, la possibilité d’engager la responsabilité d’un agent de l’administration en cas de faute personnelle.

Cette décision a marqué le partage de responsabilité entre l’administration et ses agents constitue, en droit administratif, l’aboutissement de l’idée de la protection fonctionnelle [5].

La Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors, a consacré légalement ce devoir de protection de l’administration envers ses agents.

Plusieurs lois ont ensuite complété et généralisé cette protection légale à certaines fonctions aux règles de sujétions particulières.

Le Code de la sécurité intérieure commun aux gendarmes et aux policiers consacre cette protection en son article R434-7.

Le dernier acte de cette évolution s’est joué le 20 avril 2016, lors de la promulgation de la loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires qui a inscrit un article L4123-10 au Code de la défense. Cet article clarifie et réécrit l’article 11 de la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires en donnant un fondement législatif à des solutions jurisprudentielles.

La protection fonctionnelle fait désormais l’objet d’un cadre légal clair et elle est soumise au contrôle du juge administratif.

2. Les acteurs et les bénéficiaires de la protection fonctionnelle.

L’obligation de protéger le militaire ou le gendarme incombe à l’employeur public qui emploie ou employait l’agent public à la date des faits en cause justifiant la demande. Elle relève ainsi du ministère des Armées ou du ministère de l’Intérieur en leur qualité d’administration d’emploi.

Les acteurs institutionnels.

A l’intérieur de chaque ministère, des bureaux dédiés à cette problématique ont été institués afin de recueillir les demandes des personnels, les instruire et statuer sur celles-ci.

Au sein du ministère des Armées, les services locaux du contentieux (SLC) dont, dépendent administrativement les militaires, sont en principe compétents pour apprécier les demandes de protection fonctionnelle présentées. Ces services sont rattachés à la direction des affaires juridiques (DAJ), qui a compétence pour les demandes émanant de personnels stationnés ou domiciliés en outre-mer ou à l’étranger [6], ainsi que sur les affaires les plus sensibles et les demandes urgentes, notamment celles présentées par des militaires victimes ou mis en cause dans le cadre de leur déploiement au titre de la mission Sentinelle.

En parallèle, en ce qui concerne les personnels de la Gendarmerie nationale, le ministère de l’Intérieur a institué au sein de la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale (DGGN) le bureau des recours et de la protection fonctionnelle (BRPF) à qui il revient d’apprécier les demandes formulées.

Les bénéficiaires.

Est éligible à la protection définie aux articles R433-7 du Code de la sécurité intérieure et L4123-10 du Code de la défense, tout militaire ou gendarme mis en cause dans le cadre de poursuites pénales à condition que les faits ne revêtent pas le caractère d’une faute personnelle, ou victimes de menaces ou d’attaques volontaires au sens des dispositions susvisées, dans l’exercice de ses fonctions.

Selon les termes de la loi, la protection dévolue par l’État s’étend par ailleurs, à la famille du militaire : conjoints, concubins, partenaires liés par un pacte civil de solidarité, enfants, ascendants directs, lorsqu’elle est victime de menaces, d’attaques ou lorsqu’ils engagent une procédure civile ou pénale contre les auteurs d’une atteinte volontaire à l’intégrité du militaire, du fait de ses fonctions

Notons que la qualité de bénéficiaires de la protection fonctionnelle fait l’objet d’une approche extensive puisque la Haute Assemblée a précisé que le principe général du droit de protection des agents publics s’étendait également aux agents recrutés localement sous contrat de droit local [7].

Pour accorder sa protection, l’administration doit apprécier le fait générateur. Elle dispose enfin d’une pluralité d’action pour répondre à la demande de protection de l’agent victime ou mis en cause pénalement.

3. Les limites et la portée de la protection de l’État.

Les limites.

La protection accordée par l’Etat fait l’objet d’une appréciation au cas par cas. Elle ne peut être accordée de manière automatique ou illimitée.

Elle n’est due que s’il existe un lien avec la qualité professionnelle de l’agent et ce faisant, l’exercice du service.

Plusieurs conditions tiennent également au fait générateur justifiant la demande de protection du militaire ou gendarme.

Depuis 2016, le Code de la défense protège l’ensemble des militaires et gendarmes, à l’instar des autres agents publics, contre « les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les menaces, violences, harcèlements moral ou sexuel, voies de fait, injures, diffamations ou outrages ».

L’État accorde ainsi sa protection à toutes les victimes d’infractions volontaires liées au service et survenues à raison de la qualité de militaire de l’agent victime.

Il est dès lors impératif qu’il existe un lien de rattachement au service.

Les militaires et les gendarmes sont aussi protégés lorsqu’ils sont mis en cause dans le cadre de poursuites pénales.

Sous les termes de « poursuites pénales », il y a lieu de prendre en considération tous les faits commis dans le cadre du service susceptibles de revêtir une qualification pénale à la condition que ces faits ne présentent pas le caractère d’une faute personnelle.

La protection fonctionnelle peut également être octroyée lorsque le militaire ou le gendarme fait l’objet de certaines mesures préalables aux poursuites comme le placement en garde à vue ou le placement sous le statut de témoin assisté.

La faute personnelle, qui exclue de facto le bénéfice de la protection fonctionnelle, s’entend des comportements qui se détachent du service car l’auteur de la faute est animé par des fins personnelles, hors le cadre de la mission de service confiée ou faute d’une exceptionnelle gravité [8].

A la lecture du Code de la défense, le législateur a entendu exclure du périmètre d’application de la protection fonctionnelle toutes les « atteintes involontaires ».

Ne donne ainsi pas lieu à la protection fonctionnelle, pour le militaire ou le gendarme victime, les infractions involontaires et les faits accidentels, mêmes si ceux-ci sont intervenus sur le temps et le lieu du service.

Pour exemple, un gendarme victime d’un accident de circulation pendant qu’il se rendait à une formation, ne peut prétendre à la protection fonctionnelle [9]. Dans ce contexte particulier et afin d’obtenir la réparation de ses éventuels préjudices, le militaire ou le gendarme victime bénéficiera, selon sa situation, des régimes d’indemnisation de droit commun des militaires à savoir : la pension militaire d’invalidité, la réparation complémentaire des préjudices extra-patrimoniaux dite « Jurisprudence Brugnot » [10]. 

La portée.

L’engagement des forces armées sur le territoire national depuis plusieurs années à travers les opérations Sentinelle ou Vigipirate, par exemple, ou encore le risque inhérent pesant sur les gendarmes, parfois malmenés dans l’exercice de leur mission accroît le risque d’exposition aux menaces et à l’engagement de responsabilité pénale.

A titre d’exemple, l’ouverture du feu, dans le cadre exceptionnel de l’opération Sentinelle peut justifier une demande de protection fonctionnelle afin d’accompagner l’auteur du tir dans la procédure pénale qui sera ouverte et diligentée par le Parquet.

De la même manière un gendarme victime de violences volontaires lors d’une intervention bénéficiera de la même protection et du même accompagnement de la part de son institution dans le cadre d’une plainte pénale et ses suites procédurales.

Dans ces exemples, l’administration d’emploi accordera le bénéfice de la protection fonctionnelle prenant la forme d’une protection juridique c’est-à-dire un accompagnement juridique et une prise en charge des frais et honoraires d’avocat encadrée [11].

Ce même accompagnement peut être octroyée pour toutes les victimes d’infractions volontaires commises dans l’exécution du service comme par exemple, les victimes de harcèlement ou de violences volontaires.

L’administration dispose par ailleurs de la faculté d’exercer une action directe par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale et, de se retourner contre l’auteur des attaques pour obtenir le remboursement des sommes allouées à la victime en réparation de ses préjudices.

Il est important de relever que la protection fonctionnelle ne se limite pas à une protection juridique consistant en la prise en charge des frais d’avocat pour les procédures civiles et pénales.

La protection fonctionnelle peut, en effet, donner lieu à une pluralité d’actions comme le rappelle la jurisprudence administrative.

Pour illustrations, la protection due par l’administration peut prendre la forme d’une réponse au délit de diffamation [12], d’une mesure dans l’intérêt du service [13] ou encore d’un programme d’accompagnement psychologique [14] et d’une indemnisation [15].

Le Défenseur des droits, autorité administrative indépendante constitutionnelle, a aussi rappelé aux termes de sa décision cadre n°2021-065 du 12 avril 2021 relative au harcèlement sexuel subi par les fonctionnaires exerçant dans les forces de sécurité publique [16], que la « protection fonctionnelle n’a pas pour unique objectif d’accompagner les victimes dans le cadre d’une procédure pénale mais de leur accorder toute mesure de protection utile » et qu’elle recouvrait trois obligations à savoir : une obligation de prévention, une obligation d’assistance juridique et une obligation de réparation.

Le ministère des Armées et le ministère de l’Intérieur, en leur qualité d’emploi des militaires et des gendarmes, ont toute latitude pour prendre les mesures les plus adéquates dans la préservation des intérêts de leurs agents - sous le contrôle de la juridiction administrative.

4. Voies et délais de recours.

Notons que la décision octroyant la protection fonctionnelle notifiée à l’agent est une décision créatrice de droits. Elle ne peut être assortie de condition suspensive ou résolutoire.

Si l’administration refuse d’accorder la protection fonctionnelle, le militaire ou le gendarme peut contester cette décision dans un délai de deux mois suivant la notification de cette décision.

Sur ce point, il convient d’avoir à l’esprit qu’à l’exception de certaines procédures limitativement énumérées, tout recours contentieux introduit par un militaire ou un gendarme à l’encontre d’un acte relatif à sa situation personnelle doit obligatoirement être précédé d’un recours administratif préalable obligatoire devant la Commission des recours des militaires [17].

Chaque militaire se voyant refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle pourra contester cette décision défavorable en saisissant d’abord la Commission des recours des militaires, puis, le juge administratif.

La protection fonctionnelle s’analyse comme un principe efficient pour tous les agents publics y compris les militaires et les gendarmes. Cette évolution suit l’évolution de la société comme en témoigne l’inscription du harcèlement moral dans le Code de la défense depuis 2014.

Garantie attachée au statut d’agent au service de l’Etat, les personnels sont très attachés à cette protection et en retour, l’application de la loi doit rendre serein l’exercice du service.

Hannelore Mougin
Avocat associé du cabinet Fidelio Avocats
Barreau de Paris
Spécialiste en droit pénal et droit pénal militaire
www.fidelio-avocats.fr

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[1Conseil d’Etat, Assemblée, 16 octobre 1970, Martin, JCP, 1971, II. 16577.

[2Article L4111-1 du Code de la défense.

[4TC, 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. Concl. David ; GAJA, 21e ed. 2017.

[5Les récentes évolutions de la protection fonctionnelle du fonctionnaire, N. Pauthe, Revue française d’administration publique, n°166, 2018, ed. Institut national du service public.

[6Art. 9, arrêté du 23 décembre 2009 fixant les compétences du service du commissariat des armées en matière de règlement des dom- mages causés ou subis par le ministère de la défense, de défense de ce ministère devant les tribunaux administratifs et de protection juridique de ses agents militaires et civils.

[7Cette analyse découle de la décision du 1er février 2019 du Conseil d’Etat (n°421694) statuant sur la situation d’un ressortissant afghan ayant exercé les fonctions d’interprète entre les mois de septembre 2011 et septembre 2012 auprès des forces armées françaises alors déployées en Afghanistan.

[8En ce sens voir : Cass.Crim. 1er février 1989, n°88-85618.

[9CE, 9 mai 2005, Afflard, n°260617.

[10CE, 1er juillet 2005, n°258208.

[11Décret n°2014-920 du 19 août 2014 relatif aux conditions et limites de la prise en charge par l’Etat de la protection fonctionnelle des agents publics pris en application de l’article L 4123-10 du Code de la défense et décret n°2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants cause.

[12CE, 25 juillet 2001, SGEN-CFDT, n°210797.

[13CAA Bordeaux, 13 juillet 2021, n°19BX03028.

[14CAA Paris, 2 mai 2017, n°16PA02471.

[15CAA Nantes, 26 décembre 2002, n°01NT00614.

[17Art. R4125-1 du Code de la défense

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