ÉDITORIAL
CHANTAL CUTAJAR
DIRECTRICE DU GRASCO
L’affaire mal nommée « Qatargate » est en réalité un scandale dont l’ampleur est loin d’être circonscrite. En effet, Pier Antonio Panzeri, ancien eurodéputé socialiste italien, soupçonné d’être à l’épicentre du scandale de corruption au sein du Parlement européen, est à la tête d’un vaste réseau regroupant d’anciens et d’actuels eurodéputés, des assistants parlementaires, des représentants d’ONG et d’organisations syndicales. Au sein de la galaxie qui gravite autour lui1, Eva Kaïli, députée européenne grecque, vice-présidente du Parlement européen, identifiée comme la pièce centrale du « Quatargate », n’est en réalité qu’un des rouages de cette organisation criminelle utilisant la corruption et le blanchiment à des fins d’ingérence dans la politique européenne.
Tout commence en 2022 lorsque les services de renseignements belges enquêtent sur des soupçons de corruption au sein du Parlement européen de la part d’agents marocains. C’est au cours de cette enquête qu’ils découvrent que le Qatar est également impliqué.
Les éléments publiés font apparaître l’existence, pour l’heure, de deux réseaux. Le premier implique Mohamed Yassine Mansouri, patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), le service de renseignement extérieur du Maroc soupçonné d’être l’instigateur de la tentative d’ingérence au sein du Parlement européen pour les intérêts politiques et économiques du Maroc et, le second, implique Ali ben Samikh Al-Marri, ministre du Travail du Qatar depuis 2021, président du comité qatari des droits de l’Homme.
Soupçonné de participation à une organisation criminelle à la tête d’un réseau de blanchiment d’argent et de corruption active et passive Pier Antonio Pianzeri a signé le 17 janvier 2023 un accord lui octroyant le statut de repenti avec le parquet fédéral belge. Aux termes du mémorandum, il admet sa participation criminelle à un réseau de corruption et s’engage à communiquer aux autorités de poursuites des informations « substantielles » sur les modes opératoires, les accords financiers passés avec d’autres pays, les structures financières mises en place, les bénéficiaires réels des structures et des prestations proposées, l’implication et l’identité des personnes qu’il reconnaît avoir soudoyées. En contrepartie, il bénéficiera d’une atténuation de peine.
Pour tenter de freiner l’onde de choc provoquée par cette affaire, le parlement a adopté le 15 décembre 2022 une résolution listant plusieurs propositions. Le 8 février 2023, les président de groupes parlementaires ont approuvé les propositions de présidente maltaise du Parlement européen Roberta Metsola lors de la Conférence des présidents4 qu’elle a présenté comme faisant partie d’un processus de réformes visant à rétablir la confiance du public dans le Parlement en renforçant son intégrité, son indépendance et sa responsabilité tout en préservant le droit des députés au libre exercice de leur mandat, y compris la liberté d’association.
Il est difficile de voir émerger dans ce premier train de réformes une volonté politique clairement affirmée de prévenir la corruption par la prévention des conflits d’intérêts au moyen de la transparence même si un certain nombre de mesures vont, incontestablement dans le bon sens.
En effet, la prévention des conflits d’intérêts constitue un enjeu majeur pour rétablir la confiance des citoyens dans les institutions européennes, érodée par les trop nombreux scandales qui les ont affectées. Or, seule la transparence peut contribuer à prévenir les conflits d’intérêts. Le mécanisme de corruption mis en place par l’ancien député Panzierri a pu prospérer sur le terrain de l’opacité et de l’absence de contrôle favorisant la multiplication des conflits d’intérêts, facilitant le passage vers la corruption.
Seule une véritable politique de prévention de la corruption élaborée dans le cadre d’un accord interinstitutionnel entre le Conseil européen, la Commission européenne et le Parlement européen pourrait permettre d’enrayer l’onde de choc provoquée par le scandale du Parlement européen et contribuer, comme l’espère sa présidente, à convaincre les citoyens « que la politique est une force pour agir pour le bien ».
À un an des élections européennes, si les députés européens veulent conserver une crédibilité auprès des citoyens ils devront parvenir à convaincre de la nécessité d’instituer un organe éthique indépendant dédié à l’ensemble des institutions de l’Union européenne et qui doit constituer le pivot d’une politique de prévention de la corruption. La candidate à la présidence de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen s’était engagée à le mettre en place : « I will support the creation of an independent ethics body common to all EU institutions. I will engage and work closely with the other institutions to make this happen” avait-elle écrit en 2019 dans son programme d’actions6.
Cependant, force est de constater que cet engagement ne figure pas parmi les six priorités de la commission européenne, ce qui a conduit les députés à adopter le 16 septembre 2021 un rapport demandant formellement la mise en place d’un Comité d’éthique indépendant (Independent Ethics Body (IEB)) doté de pouvoirs d’enquête complémentaires à ceux des autres institutions et organes de l’UE8. Mais la Commission n’a toujours pas donné sa position sur la création de l’IEB de sorte que les négociations interinstitutionnelles n’ont toujours pas débuté. Face à cette inertie, les députés ont demandé à débattre à nouveau de la création de cet organisme indépendant mardi 14 février. Au cours de ces débats la Commission, le Conseil et le Parlement ont exprimé leur accord pour que la Commission élabore une proposition en vue de sa création.
Que l’on ne s’y trompe pas : C’est l’avenir de l’Union européenne qui est en jeu. À l’heure où la guerre est à ses portes, il ne pourra être préservé que si le choix est clairement affirmé par l’ensemble des institutions et organes de l’UE d’en consolider l’édifice autour des valeurs humanistes dont la probité est le ciment. Les institutions européennes doivent être irréprochables et exemplaires en matière de probité si elles veulent être crédibles dans leurs injonctions faites aux pays en demande d’adhésion de lutter effectivement contre la corruption. Les mots ne suffisent plus. Des actes clairs et forts sont aujourd’hui nécessaires pour donner corps au rêve européen de Victor Hugo partagé par tant de citoyens : « Et de l’Union des libertés dans la fraternité des peuples naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir où commencera pour le genre humain, la vie universelle que l’on appellera la Paix de l’Europe ».
SOMMAIRE :
ÉDITO
ENTRETIEN AVEC UN AUTEUR, JACQUES DALLEST, AUTEUR DU LIVRE COLD CASES, UN MAGISTRAT ENQUÊTE
CONSTATS ET PRÉCONISATIONS :
LA MAÎTRISE DES RISQUES D’ATTEINTE À LA PROBITÉ DANS LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
COMMENT INSUFFLER UNE DYNAMIQUE AMBITIEUSE ET EFFECTIVE ?
PAR ÉLISE UNTERMAIER-KERLÉOJURISPRUDENCE :
ACTUALITÉ DU CONTENTIEUX DES DONNÉES DE CONNEXION
PAR PHILIPPE PETITPREZDOCTRINE :
SURVEILLANCE PAR L’ÉTAT ET SURVEILLANCE PAR LE SECTEUR PRIVÉ : LES ACTIVITÉS DE POLICE SOUS COUVERTURE
APPROCHES DE LA FRANCE ET DES ÉTATS-UNIS
PAR JACQUELINE ROSSDU CÔTÉ DES PRATICIENS :
LE TRAITEMENT DE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE PAR LA 8ÈME SECTION DE LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION DE LA COUR D’APPEL DE PARIS
BILAN DE DEUX ANNÉES D’ACTIVITÉ
PAR MICHEL LE POGAM
VERS UNE APPROCHE PARTENARIALE RENFORCÉE DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE
PAR DOMINIQUE LAMBERT
RANÇONGICIELS : ENJEUX, OUTILS ET STRUCTURATION DE LA RÉPONSE À LA MENACE
PAR FRANÇOIS BOUCHAUD ET ,PAR FLORE JAYETREGARDONS AILLEURS :
LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC ILLICITE DES MÉDICAMENTS EN DROIT CAMEROUNAIS À L’AUNE DE LA CRIMINALITÉ TRANSFRONTALIÈRE ORGANISÉE
PAR JOB DIDIER BAHANA