Cadre juridique de référence.
Les méthodologies Agile modifient la répartition traditionnelle des risques par une collaboration client-prestataire intensive, mais le cadre légal demeure. L’article 1112-1 du Code civil impose aux prestataires spécialisés une obligation d’information précontractuelle, tandis que l’article 1217 définit les sanctions en cas d’inexécution contractuelle.
Cette collaboration ne décharge pas le prestataire de ses obligations essentielles, comme le confirment trois arrêts récents.
Jurisprudence : enseignements pratiques.
Audit technique précontractuel : obligation renforcée du professionnel.
Les retours d’expérience confirment l’importance de la phase précontractuelle. Un arrêt de 2023 illustre cette problématique : l’expert judiciaire constate "l’absence d’audit alors que cette étape était prévue au contrat", avec seulement des "notes manuelles non discutées" (CA Rennes, 19 septembre 2023). Sur cette base, la cour retient la responsabilité du prestataire à hauteur de 70%. Le principe juridique retenu dans ce cas particulier : "En présence d’un client profane, il appartenait au prestataire d’aller au-delà de ses analyses fonctionnelles".
Un autre cas illustre les conséquences de cette négligence : la cour constate que le prestataire "a procédé à la livraison de l’application sans l’assistance d’un système de navigation GPS avec commande vocale, étant relevé que la présence de cette prestation relevait de ses engagements contractuels" (CA Poitiers, 3 octobre 2023). Cette impossibilité technique découverte tardivement révèle un défaut d’analyse précontractuelle et conduit à la responsabilité exclusive du prestataire.
L’Agile n’exonère pas les obligations contractuelles.
A l’inverse de ce que pourraient penser les sociétés de prestations informatiques (ESN), les tribunaux peuvent également rejeter l’invocation des méthodes Agile pour justifier des prestations défaillantes. Dans un premier cas, une décision précise que le prestataire "ne peut pas se retrancher derrière la méthode AGILE pour conclure à une insuffisance" de la solution livrée (CA Rennes, 24 septembre 2024).
Dans un autre cas, malgré l’argument du prestataire concernant "la marge d’aléa tenant au rôle du client", la cour constate le "manquement aux obligations contractuelles, fussent-elles de moyen" (CA Poitiers, 3 octobre 2023).
Cette position confirme que les méthodologies collaboratives n’atténuent pas les engagements contractuels du professionnel.
Responsabilité partagée : reconnaissance de la collaboration Agile.
Le cas le plus intéressant, qui est souvent celui imaginé par les deux parties avant de commencer un projet mené en Agile concerne le partage équitable des responsabilités. Face aux arguments des parties reconnaissant leurs responsabilités respectives (le client admettant une "responsabilité conjointe", le prestataire évoquant une "responsabilité mutuelle"), la cour retient dans ce cas précis une solution équitable : "chaque partie supporte financièrement la moitié du coût des prestations prévues" (CA Rennes, 24 septembre 2024). Cette décision illustre la spécificité de la collaboration Agile en matière de répartition des torts.
Grille de répartition des responsabilités.
Cette analyse de trois arrêts fournit une grille de lecture, en reprenant les éléments les plus importants de chaque décision et sous réserve des spécificités de chaque contrat :
| Répartition des torts | Cas d’application | Arrêt concerné |
|---|---|---|
| 70% prestataire / 30% client | Prestataire expert avec audit insuffisant + client "profane" mais collaboratif | CA Rennes, 19 sept. 2023 |
| 50% / 50% | Responsabilité mutuelle reconnue en contexte Agile dysfonctionnel | CA Rennes, 24 sept. 2024 |
| 100% prestataire | Défaut d’analyse précontractuelle + application inopérante | CA Poitiers, 3 oct. 2023 |
Recommandations opérationnelles.
Au regard de ces décisions et de l’analyse contractuelle précédentes, voici des recommandations pratiques pour chacune des parties tant que sur le contenu du contrat que sur le déroulement du projet :
Pour les prestataires : sécuriser les obligations contractuelles.
- Réaliser systématiquement une étude de faisabilité technique précontractuelle : le prestataire doit se protéger contre les engagements techniques impossibles à tenir, au risque d’engager sa responsabilité exclusive.
- Formaliser l’audit de l’architecture existante : un document technique précis, validé contradictoirement, constitue un élément probatoire essentiel.
- Distinguer méthodologie d’exécution et obligations contractuelles : l’Agile constitue un moyen d’organisation, non une limitation du périmètre d’engagement.
- Documenter chaque étape d’exécution : la traçabilité des prestations et des alertes détermine l’issue des litiges.
Pour les clients : optimiser la collaboration contractuelle.
- Évaluer objectivement les ressources internes disponibles : le niveau d’expertise technique du client peut influencer les obligations du prestataire.
- Formaliser systématiquement les validations : chaque validation d’étape et modification de périmètre doit faire l’objet d’un écrit signé.
- Maintenir une vigilance active : en contexte Agile collaboratif, la responsabilité peut être partagée équitablement selon les circonstances.
- Prévoir des mécanismes d’escalade amiable : la résolution collaborative des incidents peut conduire à des solutions équitables, comme l’illustre le partage 50/50 des coûts.
En synthèse : ces décisions confirment que les obligations contractuelles traditionnelles s’appliquent pleinement aux projets Agile, avec une attention particulière portée à la phase précontractuelle et à la documentation des prestations réalisées.
Avertissement : l’auteur n’est ni avocat ni expert du droit. Cette analyse se base sur une lecture de praticien expérimenté en gestion de projets informatiques et ne saurait se substituer à un conseil juridique professionnel. Pour toute situation contentieuse, il convient de consulter un avocat spécialisé.


