Quand l’humour sexiste devient un harcèlement collectif.

Par Noémie Le Bouard, Avocat.

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Ce que vous allez lire ici :

Le harcèlement sexuel au travail peut se manifester par des comportements et propos sexistes, créant un climat dégradant. La jurisprudence reconnaît désormais le harcèlement d'ambiance, où l'atmosphère hostile impacte la dignité des femmes, engageant la responsabilité de l'employeur face à des preuves insuffisantes d'une réelle enquête.
Description rédigée par l'IA du Village

Le monde du travail n’échappe pas aux problématiques liées aux comportements discriminatoires ou sexistes, qu’ils soient implicites ou explicites. Les différentes juridictions, qu’il s’agisse des conseils de prud’hommes ou des cours d’appel, ont progressivement précisé la portée des textes en vigueur, afin de protéger chaque salarié contre tout agissement portant atteinte à sa dignité ou créant un environnement de travail hostile.

En particulier, un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 26 novembre 2024 (n°21/10408) met en évidence la notion de harcèlement « d’ambiance », traduisant une atmosphère collective empreinte de sexisme. Dans cet article, nous analyserons le cadre juridique applicable, les principes de preuve en matière de discrimination, le fondement légal du harcèlement d’ambiance à connotation sexuelle, ainsi que les obligations pesant sur l’employeur pour remédier à de tels comportements.

Nous nous attarderons également sur les conséquences en cas de défaillance de l’entreprise à faire cesser des propos ou agissements nuisibles, dont la nullité possible d’un licenciement prononcé contre une salariée qui dénonce ces faits.

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Le harcèlement sexuel, au sens juridique, se matérialise souvent par des propos récurrents ou des comportements explicites. Cependant, la jurisprudence récente élargit la notion à des agissements plus diffus, de nature à constituer un « climat » dégradant pour les femmes. Certains salariés se retrouvent ainsi confrontés à des plaisanteries ou à des remarques sexistes quotidiennes, à la diffusion d’images inappropriées, voire à des critiques stéréotypées visant spécifiquement leur sexe. Lorsqu’un tel environnement s’installe, on parle d’un harcèlement environnemental ou d’ambiance.
Le fondement légal de ce harcèlement d’ambiance repose notamment sur :

  • Les dispositions relatives aux discriminations, prévues par [1] et suivants, interdisant toute mesure défavorable motivée par le sexe ou tout autre critère prohibé.
  • Les articles sur le harcèlement sexuel, tels que [2] et suivants, qui encadrent les propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés.
  • Les textes sanctionnant les agissements sexistes, à l’instar de [3], visant tout acte ou comportement lié au sexe d’une personne ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement humiliant ou offensant.

Toutefois, l’affaire jugée par la Cour d’appel de Paris (26 novembre 2024, n°21/10408) illustre la possibilité de qualifier un harcèlement discriminatoire à connotation sexuelle, sans se limiter à l’article dédié au harcèlement sexuel lui-même. Cette approche traduit la diversité des fondements permettant de reconnaître l’existence d’un harcèlement, dès lors qu’il repose sur un motif prohibé, en l’occurrence le sexe.

1. Les faits : une ingénieure confrontée à un climat sexiste.

1.1. Un surnom à connotation genrée.

Dans l’affaire examinée, la salariée, ingénieure études et développement, forme avec une collègue un « binôme » ayant remporté un concours interne. À l’issue de cet événement, plusieurs collaborateurs masculins affublent leur équipe du surnom « équipe Tampax ». L’intéressée se plaint auprès de son manager, lequel ne réagit pas ou ne tente pas de faire cesser ces moqueries sexistes. Cette passivité contribue à l’établissement d’un climat vexatoire, car la salariée perçoit ce surnom comme un rappel constant de sa condition de femme, assorti d’une note condescendante.

1.2. Un harcèlement d’ambiance en open space.

De surcroît, un groupe de salariés masculins échange régulièrement, par messagerie électronique, des photos de femmes partiellement dénudées ou dans des attitudes suggestives, assorties de commentaires inappropriés. Ces contenus circulent dans l’open space, où la salariée ne peut s’isoler, son poste de travail se trouvant à proximité. Ce climat, qualifié de « relâchement de nature à mettre mal à l’aise l’ensemble des femmes », crée une tension latente.

Plusieurs salariées formulent d’ailleurs des plaintes à ce sujet.
La salariée, qui n’est pas directement prise pour cible par un unique collègue, se retrouve tout de même exposée à un environnement discriminatoire et dégradant. Ainsi, l’ambiance collective devient oppressive, ce qui caractérise la notion de harcèlement « sexuel » sous forme d’ambiance ou de harcèlement discriminatoire lié au sexe.

2. Le cadre juridique : discriminations et agissements sexistes.

2.1. La distinction entre harcèlement sexuel et harcèlement discriminatoire.

Le Code du travail propose deux régimes distincts :

  • Le harcèlement sexuel défini : des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste répétés, portant atteinte à la dignité ou créant un environnement offensant.
  • Le harcèlement discriminatoire fondé sur le sexe, la grossesse ou un motif prohibé, prévu et complété par l’article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008. Il englobe tout agissement lié à un critère interdit ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant ou humiliant.

Dans l’affaire de la Cour d’appel de Paris, les juges ne se fondent pas stricto sensu sur l’article relatif au harcèlement sexuel au sens classique, car les faits datent de 2018, avant l’extension légale du harcèlement sexuel à des comportements ou propos sexistes.

2.2. L’intégration du sexisme au harcèlement sexuel depuis 31 mars 2022.

La loi n°2021-1018 du 2 août 2021, entrée en vigueur en mars 2022, a étendu la définition du harcèlement sexuel pour y inclure « les propos ou comportements à connotation sexiste » répétés. Depuis, il est plus aisé de qualifier un harcèlement sexiste comme relevant du harcèlement sexuel. Toutefois, dans un litige antérieur à cette date, les juges peuvent s’appuyer sur le régime du harcèlement discriminatoire pour parvenir à une conclusion similaire.

2.3. La charge de la preuve.

Le Code du travail [4] encadre la charge de la preuve. La victime doit présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ou d’une discrimination. Ensuite, il incombe à l’employeur de prouver que les actes dénoncés répondent à des critères objectifs étrangers à toute discrimination ou harcèlement. Cette répartition probatoire se retrouve dans l’affaire de la Cour d’appel de Paris, où la salariée étaye la situation et où l’employeur doit apporter un éclairage justifiant l’absence de comportement sexiste.

3. Un harcèlement d’ambiance : la reconnaissance de la victime même sans ciblage direct.

3.1. L’absence de ciblage individuel.

Ce qui ressort particulièrement de cet arrêt, c’est que la salariée, sans être la cible privilégiée de l’un ou l’autre collègue, subit malgré tout un « harcèlement d’ambiance ». Certains groupes de salariés masculins affichent librement des images sexualisées, usent de propos sexistes qui, selon les juges, altèrent la dignité de toutes les femmes présentes dans l’open space. Même si la salariée n’est pas appelée par un surnom infamant à titre individuel (même si l’équipe est collectivement désignée « équipe Tampax »), elle se sent diminuée et mise à l’écart en raison de son sexe.

La notion de harcèlement d’ambiance [5], signifie qu’une victime peut invoquer le harcèlement sexuel ou discriminatoire dès lors que l’atmosphère au travail se montre hostile et imprégnée d’allusions sexuelles ou sexistes.

3.2. L’open space comme facteur aggravant.

Les faits mettent en évidence que l’aménagement spatial de l’open space rend impossible toute fuite face à ces contenus déplacés. La salariée subit passivement un environnement inapproprié, là où la direction reste passive. Cette passivité contribue à légitimer, aux yeux de ceux qui diffusent ces images, un climat de normalisation sexiste. La responsabilité managériale est donc engagée, du fait que le manager n’a pris aucune mesure pour faire cesser les pratiques inconvenantes.

4. Les obligations de l’employeur : prévenir et faire cesser les agissements sexistes.

4.1. Obligation de sécurité et prévention.

L’employeur est tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des salariés. Cela implique :

  • Des actions de prévention contre les agissements discriminatoires ou sexistes,
  • La mise à disposition d’un référent harcèlement sexuel, au moins dans les entreprises d’envergure ou via le CSE,
  • Un suivi attentif des plaintes internes, afin de diligenter des enquêtes approfondies.

En cas de défaillance, les juridictions qualifient d’ordinaire ce manquement de manquement à l’obligation de sécurité, justifiant l’allocation de dommages-intérêts.

4.2. Diligenter une enquête interne sérieuse.

Lorsque plusieurs salariées rapportent des échanges de mails ou des photos dégradantes, l’employeur doit mener une enquête rigoureuse. Cela implique :

  • D’interroger les témoins potentiels,
  • D’analyser les messageries professionnelles (dans le respect des chartes informatiques),
  • De prendre des sanctions disciplinaires à l’encontre des salariés fautifs, si les faits sont avérés.
  • Le refus ou la négligence de l’employeur à enquêter peut consolider la présomption de harcèlement, comme ce fut le cas dans l’arrêt du 26 novembre 2024 [6], où la cour d’appel sanctionne l’entreprise pour l’absence d’enquête rigoureuse.

5. La sanction d’un licenciement en lien avec une dénonciation de harcèlement discriminatoire.

5.1. Nullité du licenciement.

Le Code du travail protège les salariés qui dénoncent des faits de harcèlement ou de discrimination et prévoit qu’aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné ou signalé un harcèlement ou une discrimination. Si le salarié est licencié dans un contexte de dénonciation de faits sexistes, les juges peuvent déclarer la nullité du licenciement dès lors que l’employeur ne démontre pas la mauvaise foi de l’intéressé [7].

Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Paris, la salariée est licenciée pour insuffisance professionnelle alors qu’elle a dénoncé un harcèlement discriminatoire. Les magistrats estiment que la lettre de licenciement la discrédite en la qualifiant, en substance, de diffamatoire. Or, le harcèlement étant prouvé, la salariée n’est pas de mauvaise foi et bénéficie de la protection légale, entraînant la nullité de la rupture.

5.2. Effet indemnitaire.

La nullité rend la rupture de contrat inexistante en droit. La salariée peut alors réclamer :

  • Des indemnités pour licenciement nul,
  • D’éventuels dommages-intérêts pour réparer le préjudice moral lié à la violation de ses droits,
  • La réintégration dans l’entreprise ou, si elle renonce à celle-ci, l’allocation d’indemnités compensatrices (incluant indemnité de préavis, indemnité de licenciement, etc.).

Dans l’affaire en question, la salariée obtient 29 000 euros à titre de dommages-intérêts. S’y ajoutent 6 000 euros pour le préjudice de harcèlement discriminatoire et 5 000 euros en réparation du manquement à l’obligation de sécurité.

6. La notion de référent « harcèlement » et l’obligation de l’employeur.

6.1. Une obligation légale pour les entreprises d’au moins 250 salariés.

Depuis la loi n°2018-771 du 5 septembre 2018 et la loi n°2021-1018, complétées par les décrets d’application, l’employeur doit, dans les structures d’au moins 250 salariés, désigner un référent chargé d’orienter et d’informer en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes [8]. Lorsque l’entreprise ne satisfait pas à cette obligation, il y a manquement à son obligation de prévention, susceptible de faire naître sa responsabilité.

6.2. Conséquences du défaut de référent.

Dans le cas d’espèce, la cour d’appel relève l’absence de référent au sein de la société. Ce manquement, combiné à l’absence d’enquête diligente, aggrave la carence patronale. Les salariés concernés ne disposent alors d’aucun interlocuteur interne officiel, et leurs réclamations restent lettre morte. La cour considère que cela participe à la violation de l’obligation de sécurité, ouvrant droit à une indemnisation distincte.

7. Les suites pratiques et la posture à adopter pour les entreprises.

7.1. Mettre en place une charte de bonne conduite.

Au-delà de la charte informatique, qui interdit l’envoi de contenus licencieux, l’employeur est tenu de définir une politique de tolérance zéro vis-à-vis des comportements sexistes. Cela peut prendre la forme d’une charte anti-harcèlement ou d’un code de conduite, explicitant :

  • La définition du harcèlement [9],
  • Les règles d’utilisation des outils numériques,
  • Le rappel des sanctions encourues en cas d’infraction.

7.2. Sensibiliser et former les managers.

En outre, la jurisprudence reproche parfois aux managers de ne pas réagir quand un salarié se plaint de propos sexistes. Pour éviter toute passivité, un cycle de formation managériale s’avère utile. Les superviseurs doivent comprendre leurs obligations, ainsi que la nécessité de documenter et de transmettre toute plainte aux services compétents (RH, référent harcèlement, direction).

7.3. Enquêter rapidement et adopter une méthodologie fiable.

Lorsqu’un collaborateur dénonce un harcèlement, l’entreprise se doit de :

  • Constituer une équipe d’enquête (composée, par exemple, du référent harcèlement, du responsable RH, etc.),
  • Recueillir les témoignages de toutes les parties concernées,
  • Consigner les preuves et les analyser objectivement,
  • Tirer les conséquences disciplinaires au besoin (avertissement, mise à pied, voire licenciement en cas de faute grave).

Conclusion : un rappel formel contre les dérives sexistes dans l’entreprise.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2024 (n°21/10408) démontre à quel point la tolérance d’un « harcèlement d’ambiance » peut engager la responsabilité d’un employeur. Les propos ou agissements sexistes, même lorsqu’ils ne ciblent pas une salariée de façon directe et individuelle, suffisent à constituer un environnement professionnel défavorable à l’égard des femmes. Le harcèlement, ici qualifié de discriminatoire, aboutit à la condamnation de l’entreprise, laquelle doit assumer la nullité du licenciement et l’octroi de dommages-intérêts.

En pratique, l’employeur doit veiller à un climat irréprochable, qu’il s’agisse de plaisanteries grivoises, de diffusions d’images suggestives ou de surnoms sexistes. La référence légale aux articles [10] prouve l’évolution du droit vers une protection accrue contre tout acte lié au sexe qui porte atteinte à la dignité ou crée une atmosphère insultante. Les entreprises d’une certaine taille ont, de surcroît, l’obligation de nommer un référent « harcèlement » ou de veiller à ce que le CSE en désigne un.

Toute absence de réaction, couplée à une enquête interne superficielle, peut être jugée comme une violation de l’obligation de sécurité et renforcer la qualification de harcèlement. Enfin, la protection offerte à tout salarié ayant dénoncé de tels faits se révèle stricte : la moindre sanction encourt la nullité si elle survient sans motif étranger à la dénonciation du harcèlement.

En définitive, cette affaire souligne la nécessité d’une sensibilisation soutenue au sein des entreprises, qu’il s’agisse de programmes de formation, de codes de conduite, de référents dédiés, ou de procédures d’alerte clairement formalisées. Le but n’est pas de restreindre la liberté d’expression, mais de poser des limites fermes aux attitudes sexistes, évitant ainsi les dérives qui minent la santé mentale et la dignité des femmes (comme des hommes) victimes d’un environnement dégradant.

En se montrant proactifs, les employeurs se prémunissent contre un contentieux sévère, tout en répondant à l’exigence légale d’assurer la sécurité et la santé de leurs salariés [11] et au principe général de l’absence de discrimination.

Noémie Le Bouard, Avocat
Barreau de Versailles
Le Bouard Avocats
https://www.lebouard-avocats.fr
https://www.avocats-lebouard.fr/

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Notes de l'article:

[1C. trav., art. L1132-1.

[2C. trav., art. L1153-1.

[3C. trav., art. L1142-2-1.

[4Articles C. trav., art. L1134-1 et C. trav., art. L1154-1.

[5CA Orléans, 7 févr. 2017, n°15/02566.

[6CA Paris, n°21/10408.

[7Par exemple Cass. soc., 13 janv. 2021, n°19-21.138.

[8C. trav., art. L1153-5-1

[9Selon C. trav., art. L1153-1.

[10C. trav., art. L1132-1 et C. trav., art. L1142-2-1.

[11Conforme à C. trav., art. L4121-1.

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